La révélation

petisaintleu

Suite d'Arthur : Où, en rentrant par la rue Watt, je me retrouve en mauvaise posture. Souvenirs spirites.

Le scanner ne donna rien. Mon médecin m'insulta, me traita d'hypocondriaque et me conseilla de consulter un psychothérapeute. Je frisai la paranoïa. Je n'osai plus remettre les pieds durant un trimestre au Louvre. Un ami, dans la confidence, me surnommait Jeanne d'Arc. Je m'inscris dans un cours de yoga. La relaxation entraînait des flatulences et je me rabattis sur le jogging.

Un soir, je restais vautré sur le canapé. Ça ne me réussissait pas de vouloir faire le malin. Une tendinite me clouait au sol. Après une heure de zapping qui transforma mon pouce en chair à saucisse, j'optai pour RMC 24. J'adore leurs programmes du samedi soir qui traitent des théories des anciens astronautes. Les Vénusiens et les autres intelligences extra-terrestres restèrent cloisonnés dans leurs soucoupes. Aucun humanoïde ne chercha à me lobotomiser ou à m'introduire une puce dans le cerveau. On y traitait ce soir-là de sujets plus terre-à-terre, de l'au-delà et de phénomènes que la science ne s'explique guère. À la combustion spontanée succédèrent les esprits frappeurs et les télépathes. L'endormissement me guettait quand un mot frappa mon esprit, ubiquité. En 1845, Emilie Sagée, une enseignante française exerçant en Lettonie, médusa son auditoire de l'institut de jeunes filles où elle professait. Un double l'accompagnait comme son ombre.

 

Je fixais ainsi le cadre, je pouvais à priori me définir comme ubiquiste. Des recherches sur la toile m'apprirent que les cas pullulaient : saint Antoine, saint François, Padre Pio ; beaucoup de gens de bonne foi donc. Depuis quelques mois, je fréquentais les églises. Une soudaine crise de spiritualité s'abattit un jour, sans prévenir. Je comprenais au fil des semaines combien je m'étais jusqu'alors fourvoyé. L'évidence se trouvait en mon sein. Je pris alors la décision de lâcher du lest. Je me fatiguais de mon cynisme, de mon manque d'écoute et des souffrances bien frivoles. Je ne voyais pourtant aucun rapport entre ces saints hommes et la très récente conversion de mon immodeste personne.

 

Je ne suis pas fermé aux sciences dites occultes. Je me dis qu'il y a à peine cinq siècles, l'Inquisition  se serait fait un plaisir de traîner au bûcher bien de nos savants. Sans être crédule, des pans de la science restent encore à découvrir. Il me revint à l'esprit qu'à mon adolescence, mon esprit flirtait déjà avec les phénomènes inexpliqués, à défaut de pouvoir découvrir les mystères de l'amour.

Je ne sais plus comment nous nous mîmes au spiritisme. Nos goûts musicaux et littéraires devaient nous y aider. À force d'écouter Bauhaus et de lire Rampa, nous cheminâmes vers l'au-delà.

 

Au début, rien que du classique. Du Scrabble et ses mots qui comptent triple, nous ne conservâmes que les lettres en plastique, un par caractère de l'alphabet. Les chiffres furent maladroitement découpés dans du carton.

Après quelques fous rires, liés au ridicule de se trouver attablés autour d'un verre vide et retourné, plongés dans la pénombre de la chambre de mon frère, nous évoquâmes les esprits. Lors des premières séances, le contenant se contentait de tourner avec douceur pour former, lettre par lettre, les mots qui répondraient à de bien innocentes questions. Cécile était-elle amoureuse de moi, aurai-je la moyenne à ma prochaine interro de maths ?

 

Puis Thibaut entra dans la danse. Avec lui, elle ne pouvait être que macabre. Bien que l'âge bête nous hantât, nous comprenions que nos états d'âme, liés à une adolescence ingrate et boutonneuse, ne dureraient pas. Faire tourner les tables n'était qu'une récréation parmi d'autres, histoire de se donner quelques sensations inédites. Pas pour lui.

Il prit les choses en main. Il recherchait l'esprit mauvais, provoquait les limbes dans l'espoir que Chtulhu vienne hanter les lieux. Il prenait Lovecraft et le Necronomicon pour paroles d'évangile. Effectivement, un esprit malin prit rapidement demeure. Je ne me souviens plus de son nom. De mémoire, il sonnait comme les diphtongues d'une langue ancestrale et oubliée des vivants depuis des lustres.

 

Quand Franck se découvrit des talents de médium écrivain, les choses se compliquèrent. Le stylo noircissait une feuille de papier à une vitesse impressionnante. Le tout, sans tricher. Quand je le prenais, il suffisait que Franck pose le bout de son index sur le dessus de ma main pour qu'elle se mette à faire la danse de saint Guy.

Nous migrâmes rapidement chez Franck. Il possédait une cave voûtée que nous estimions plus propice pour faire honneur aux forces du mal. D'autant plus que son père collectionnait dans sa bibliothèque de superbes masques africains qui nous permirent de mieux nous éclairer sur l'obscurité des ténèbres.

 

Ainsi, séance après séance, nous connaissions des expériences difficiles à croire pour ceux qui ne les ont pas vécues. Le mur se fissura derrière la tête de lit de Franck, je prenais froid même quand le chauffage fonctionnait à fond. Nous faisions tous des rêves étranges. Nous en oubliions jusqu'à nous échanger nos Penthouse. Nous devînmes obsédés.

 

En février, en début de soirée, sonna le glas. Un esprit, se présenta comme l'envoyé du bien. Il nous annonça qu'il venait pour redonner de la quiétude à nos âmes chancelantes, missionné pour chasser la force maléfique.

Ne me croyez pas si vous le voulez. Un verre qui traînait au sol se mit à se déplacer vers le dressing. Alors que nous le suivions pour y pénétrer, la porte se referma en claquant. Nous entendîmes clairement deux personnes se frapper. En ressortant, le silence. Une raie de lumière venait se frayer un chemin entre les rideaux pour se poser sur le bureau.

 

Deux semaines plus tard et en guise d'exorcisme final, j'obtins un 19,5/20 en rédaction. Monsieur Chevallier, mon professeur de français, fut impressionné. Suite à l'étude d'Edgard Poe, il nous demanda de rédiger un texte fantastique. Je décris les neuf cercles de l'enfer avec une précision photographique.

 

Je me rendis à l'évidence que les sceptiques faisaient fausse route. Il m'importait peu de connaître les ressorts de ce qui m'arrivait. L'ivresse de la découverte, même fantasque, me suffisait. Cependant, je m'interrogeais. Les différents protagonistes rencontrés faisaient-ils parti d'un dessein qui m'échappait où existait-il un lien qui me serait bientôt révélé ? Quel rôle aurions-nous à jouer ? Resterions-nous maîtres de notre destin ou deviendrions-nous le jouet d'une mécanique qui dépassait notre entendement ?

 

La réponse ne tarda pas. J'habitais à l'époque Ivry-sur-Seine. Aux beaux jours, j'aimais à rentrer à pied quand mes sorties parisiennes se bornaient à une distance raisonnable de mon domicile. Je revenais d'une soirée rue du Chevaleret dans un bistro qui ne payait pas de mine et dont j'appréciais l'ambiance de quartier, de celle qui n'existe plus depuis que les prix de l'immobilier sont devenus prohibitifs. Je n'optai pas pour les quais et je choisis de prendre par la rue Watt. Paris, Ville lumière, possède ses zones d'ombre. Depuis quarante ans, le périphérique masque les anciennes fortifications, dont à peine quelques traces restent perceptibles à la hauteur de la porte de Bercy où un bastion subsiste. Par leur qualité architecturale, nombre de barrières d'octroi survécurent en s'intégrant aux nouveaux paysages urbains. L'ancien chemin de la Croix Jarry ne possède aucun intérêt de ce type. Sur la moitié de sa longueur, un pont ferroviaire le recouvre et lui donne des allures de coupe-gorge. Jean-Pierre Melville ne s'y est pas trompé pour y camper une scène du Doulos et Tardi l'adopta dans Brouillard au pont de Tolbiac.

Je m'y engageai sans crainte. Pour franchir les cinq-cents mètres, six minutes devaient me suffirent. La rue débouchait sur la Seine. Ma montre indiquait trois heures. Du fleuve, un brouillard me masquait le bout de l'artère dans une ambiance fantomatique, semblable aux pires bas-fonds londoniens. Je n'appréhendais pas la traversée de la nappe. Plus d'une fois, j'y étais passé.

D'un bruit sourd derrière moi s'ensuivit un bruit mat au niveau de la nuque. En sortant de mon évanouissement, un corps reposait à mes côtés. Ma main droite se noyait dans une flaque de sang, tiède et visqueuse. Je me relevai pour rentrer en courant chez moi, m'arrêtant plusieurs fois pour vomir.

 

Les jours qui suivirent, les informations circulaient en boucle sur ce que les journalistes surnommèrent « l'empalé ». Le médecin légiste conclut à une blessure mortelle par baïonnette.

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