La robe blanche

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LA ROBE BLANCHE

 

 

 

            La nature se réveillait. Les rayons du soleil comme une baguette magique jouaient sur la naissance des fleurs. Les forsythias laissaient éclater leur couleur jaune d’or sur les bords des chemins. Le vert tendre des feuilles des arbres pétillait sur les branches. Les mésanges, les rouges-gorges, les troglodytes chantaient la bienvenue. C’était le printemps.

            Madeleine, à l’automne de sa vie, revivait. Elle avait quatre-vingt ans. Elle se sentait jeune ce jour là. La chaleur des premiers faisceaux lumineux réchauffait ses rhumatismes. Elle ranimait l’iris de ses yeux bleus. Ses mains étaient longues et fines. Qui pouvait dire qu’elle avait travaillé toute sa vie dans les champs ? Sa mémoire était aussi vive qu’à vingt ans. Du présent comme du passé, elle racontait toutes les histoires extraordinaires du canton. Elle peaufinait au fil des années ses histoires et sa voix. Qu’elle était douce. Aujourd’hui, Madeleine c’est ton histoire que je révèle. Pourras-tu la raconter ? Madeleine, tu es l’amie de tout un champ de blé. Les épis ont relevé la tête pour écouter cette romance d’amour. Je souffle chaque brin pour que le vent récolte ce que tu nous as inculqué.

            Madeleine n’était pas une mamie comme les autres. On la surnommait la « fée conteuse ». Les jeunes comme le plus âgés écoutaient la bouche béante ses histoires tantôt tendres, drôles ou tristes. Les fées connaissent les secrets de l’âme. Nos esprits partaient en fumée lorsque tu nous confessais, les soirs d’hiver, à côté de la cheminée, tes histoires extraordinaires.

            C’était le printemps. Il parlait de toi ce jour là.

            Madeleine évoquait son premier bal à l’âge de dix-sept ans. Ce renouveau rafraîchissait sa mémoire. Aujourd’hui, elle avait cet âge. Elle eut envie de revivre ce moment et décida de se préparer pour aller au bal voisin comme autrefois. Furtive, elle rentra dans la maison. Elle ouvrit sa grande armoire en bois de chêne qui grinçait. Elle chercha sa robe blanche et son chapeau en paille. Madeleine avait toujours eu une robe de cette couleur pour les grandes occasions. Le noir, c’était pour les vieux. Les gens du village colportaient aux nouveaux arrivés qu’elle avait été une très belle femme. Nombre d’entre eux avaient essayé de la courtiser.

            Madeleine se souvenait que quelques années auparavant, elle s’était sentie belle dans les bras de son Jean. Il avait dix-huit ans. Il l’avait remarquée assise sur son banc. Madeleine regardait les couples de danseurs se former. Elle n’avait pas appris à danser, elle ne connaissait que la danse du râteau qui ramassait le foin dans les prés. La musique du rythme régulier de la traite des vaches. Le chant des poules que l’on appelait à l’heure des repas. Jean, le bras accoudé sur un tronc d’arbre observait Madeleine à travers un feuillage. Elle ne voyait pas son sourire d’angelot et ses yeux chasseurs. Il avait trouvé une jolie biche égarée qui se présentait douce et sauvage. Madeleine l’a vu avancer d’un pas assuré vers elle. Les mains dans les poches, comme un homme. Elle pinça ses lèvres pour étouffer un rire moqueur. Elle relevait son buste et ressortait sa poitrine. Jean esquissa un sourire du coin des lèvres. Elle se sentait une femme tout d’un coup. Jean se présenta et d’une main avancée, lui proposa de danser. Leurs sourires complices s’unissaient. D’une voix étouffée par l’émotion il la rassura en lui susurrant qu’il maîtrisait la danse. Madeleine, déjà une femme intuitive sentait bien qu’il n’en était rien mais se laissa mener car Jean était déjà son homme. Le flonflon de la musique la faisait tourbillonner. Sa tête aussi.

            Cette valse, Madeleine l’a dansée toute la vie avec Jean. La flamme de leur amour ne s’est jamais éteinte. Une enfant est née Le fruit de votre amour. Je suis née et je suis là pour raconter cette histoire. J’aime cette valse que tu nous as fait partager. Je la sens tourner encore lorsque ma fille enfile sa robe blanche et me sourit dans la glace. Je vois dans ce miroir tes dix-sept ans ! La danse de l’amour ne cessera jamais de tourner.

            Un jour d’automne, à soixante-dix ans Jean s’en est allé. Il faisait beau ce jour là. Tu as pensé que c’était un beau jour pour mourir mais que la mort avait été cruelle de n’avoir pas voulu de toi. Tu semblais nous oublier. Nous avions tant besoin de toi. Qui aurait pu faire valser notre cœur lorsque tu nous racontais tes histoires ?

            À l’enterrement, tu as revêtu ta robe blanche et ton chapeau de paille. Je te trouvais très belle même si la famille pensait que cette couleur n’était pas digne d’un enterrement. Je savais que ta tenue était le plus beau cadeau que tu offrais à Jean. Il aurait aimé te voir et je suis sûre qu’il te voyait. Lorsque tout le monde est parti tu t’es assise sur le rebord de la pierre tombale et tu lui as parlé. Je ne sais pas ce que tu lui racontais mais tu ne semblais pas triste, ni accablée. Puis, tu es montée sur la pierre et tu as dansé en serrant tes bras contre ta poitrine. Ta robe blanche tournait, tournait, tandis que ton chapeau est tombé sur les bouquets de fleurs. Je ne pourrais décrire le bonheur qui envahissait ton visage, ni ce sourire que tu offrais à la lumière comme un ange privé d’ailes. Pourtant, mon regard impudique voyait qu’il s’infiltrait dans tout ton corps comme une histoire secrète que tu garderais tendrement le soir de la veillée.

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