La rue
petisaintleu
La rue ne portait pas de nom. Avant la crise de 1974, elle était promise à un avenir glorieux, fruit du cinquième Plan et de ses illusions d'équipements collectifs. Les maquettes de la bibliothèque et de la résidence pour personnes âgées finirent aux Archives départementales, dans l'attente d'une rétrospective glorifiant les années de béton. Elle devint une impasse, les quelques hectomètres de bitume échouant sur une lande herbue qui suivit le progrès mercantile pour se transformer en une montagne d'immondices.
Au fil des ans, les enfants qui jouaient au ballon la transformèrent en grandissant en lieu de beuveries, de rendez-vous interlopes ou en discothèque à ciel ouvert. Ils s'assagirent pour donner naissance à de nouvelles générations. Elle muta au gré des modes en piste de BMX, en cirque improvisé ou en jardin potager. Même les petites frappes du quartier l'avaient sanctuarisée en souvenir de leur innocence d'avant leur premier séjour derrière les barreaux.
À la suite de quinze jours de pluies diluviennes, le tas d'ordures fut lessivé. C'est alors qu'au grand jour apparurent les souterrains creusés par la myriade de rats qui n'eurent d'autre solution que de réintégrer leur habitat naturel que sont les égouts.
Mus par la curiosité qui est l'apanage des marmots désœuvrés, les gamins de la cité quittèrent les canapés défoncés et délaissèrent les consoles de jeux avec l'idée qu'ils trouveraient au bout d'un tunnel l'Eldorado. Insensibles aux risques d'effondrement des galeries, méprisant la saleté et les menaces de tétanos ou de choléra, ils se firent spéléologues urbains, empruntant le bleu de chauffe d'un papa mécanicien au black, le casque d'un tonton grutier ou les gants d'une femme de ménage qui se démenait pour jouer à la maman en rentrant exténuée de son labeur.
C'est Kevin, celui de la tour Balzac, et plus précisément du 8e étage, à ne pas confondre avec ceux du 3e et du 11e, qui atteint le premier la cavité. Il poussa un cri de surprise en attendant les gémissements qu'il confondit avec les grognements d'un ours des Pyrénées qu'il ne verrait jamais, faute de pouvoir franchir les frontières invisibles des barres d'immeubles.
Vaguement éclairé par une lampe frontale habituée aux sombres desseins qui se tramaient dans les sous-sols et guidé par une odeur nauséabonde qui lui rappelèrent l'appartement de Marcel Lambert et ses quarante-deux chats, il découvrit un tas de chiffons sur lequel reposait une forme inhumainement incongrue.
Il existe dans les banlieues un code d'honneur où, tout comme dans les campagnes les plus reculées, il est préférable que tout se règle au sein de la communauté. Le caïd qui régnait sur le trafic de drogue vint trouver Kevin et ses camarades qui avaient participé à l'expédition ou mis dans la confidence. Le soir-même, un bulldozer emprunté sur un chantier voisin vint aplanir toute velléité d'enquête allogène. Les victimes collatérales furent les frangines à qui on interdit toute sortie.
Les rongeurs reprirent le terrain. Affamés, ils ne mirent pas beaucoup de temps pour creuser une galerie et pour atteindre le corps. De la surface, on pouvait voir le sol onduler de leurs grouillements.
Fatima ne sut jamais ce qu'il advint de ces batailles intestines et du cadavre de son enfant. À quinze ans, elle s'était rêvée devenir vétérinaire. Mais le comportement de bêtes, elle le découvrit dans les caves. Violée durant des mois, elle tomba enceinte. Elle n'eut pour seul remède qu'un déni de grossesse et d'accoucher comme une chienne dans le terrain vague par une nuit de pleine lune, hurlant sa douleur et son désespoir aux seuls regards d'une meute de chiens errants.
Fort opportunément, on lui trouva un cousin au pays dont le crétinisme interdisait tout espoir de trouver l'âme-sœur. On aspergea discrètement les draps de sang de brebis pour laver tout risque d'affront. L'honneur fut sauf. Fatima expie désormais ses fautes sous les coups de son mari.
Dehors il y a le monde de fous, dedans il y a le sage qui sait... une bise pour toi Christophe !
· Il y a presque 5 ans ·Apolline
ça me glace le sang tant je sais que ce n'est pas une imagination perverse, oui c'est la réalité, sauf que les rats sont supplantés par les punaises de lits, sauf qu'ici bas, les piqûres des suceurs de vies ont plus d'une âme! :0(
· Il y a presque 5 ans ·flodeau
Moi, aussi, j’ai eu une enfance de caves dans une banlieue pas bleue, c’est à se demander où sont passés les natifs de Neuilly. :o))
· Il y a presque 5 ans ·Hervé Lénervé
Quel triste destin, concernant cette femme, hélas, il doit y en avoir d'autres dans des situations identiques...cela fait du bien de te revoir par ici...tâche de revenir plus souvent, si ton emploi du temps le permet...
· Il y a presque 5 ans ·marielesmots
J'en ai croisé quelques unes des Fatima dans ma banlieue glauque, où les caves avaient fini par être murées....
· Il y a presque 5 ans ·caza
Tu sors de prison ?
· Il y a presque 5 ans ·Le bonjour chez toi :)
Mario Pippo
Non, je reviens d'une tournée de dédicaces inter-cantonale qui m'a conduit de Neuville-en-Ferrain à Wattrelos.
· Il y a presque 5 ans ·petisaintleu
Je n'étais évidemment pas sérieux - quoiique...
· Il y a presque 5 ans ·Mario Pippo