La tournante de mémé la pente

Christophe Paris

positif, pour se détendre voire se marrer


C'est aujourd'hui le grand jour pour Rodolphe, sa première tournante avec une vieille. Légèrement en retard, il angoisse,  le parisien trois pièces rapportées dans ce petit Village provençal qui sent la garrigue. Jamais il ne se serait douté qu'à cette soirée à la mairie, où il fut adoubé du titre de citoyen d'honneur, on lui annoncerait un truc pareil. Faire partie de la tournante d'une septuagénaire. Le parigot tête de veau devenu chouchou du bourg, s'était figé comme un dealer pris en flag, pour finir dans un fard couleur tomate locale à l'annonce de la chose.
Après le rouge de gêne, c'était le vert de honte de s'être fourré dans un repaire de maniaques gérontophiles. Catapulté brutalement dans son inconscient qu'il avait toujours pris soin d'éviter, le pauvre Rodolphe s'imaginait dans une cave lugubre accompagné du conseil municipal, ceintures de maire en guise de strings, dans une orgiaque partouze pour cartes vermeilles. C'est à l'appel de son prénom par le maire que Rodolphe remonta de sa cave pour se retrouver à vider celle de la mairie de ses meilleurs crus. L'élu en profita pour le mettre au jus sur la meilleure façon de prendre la mémé .
Une petite vieille mimi comme tout, un ti bout d'humain tout sec, tout fripé, comme un champignon déshydraté dont le chapeau aurait fait une couleur chez Dessange. Une petite voix si fluette qu'aux premiers sons émis elle lui hôte un sept à ses soixante-dix-sept ans. Pas le genre qui vous double au marché en vous ruinant les métatarses avec son caddie d'assaut. Pas le type d'article à parler du passé comme d'un paradis perdu. Pas le modèle de vieille carne faisandée à l'amertume qui vous balance du fiel à chaque mot. Un amour de petite vioque au caractère bien trempé.
En effet mémé se refuse à utiliser une canne pour se mouvoir. Tant qu'elle évolue sur du plat c'est roule ma vieille poule, pas de soucis majeur excepté une vitesse à déprimer un radar routier. En revanche à la moindre petite inclinaison d'un sol sans empathie pour son âge avancé, c'est panique à bord, blocage total, elle fige sur place jusqu'à ce qu'une âme charitable lui vienne en aide, d'où son surnom de La pente. C'est pour cette raison que le maire avait instauré un système de planning tournant une fois par semaine. Une équipe de tire-fesses ou plutôt de pousse-aux-culs fut établie avec dates fixes pour chacun des participants.
Contrainte. Il fallait mettre les mains, non pas à la pâte, mais au paquet de la grand-mère. Miss La pente pourrait se faire pousser par les hanches mais elle préfère le séant prétextant une douleur lombaire.
Rodolphe n'est plus très loin de son rendez-vous mais il a du mal à se projeter avec ses mains au cul de la retraité. Ça le gêne un peu, ça le dégoûte beaucoup, s'imaginant les mimines toucher une matière flasque et flétrie. Pendant ce temps Paule Lafosse, de son vrai nom, poireaute au feu rouge. Les caisses ronronnent pendant que mémé bougonne. Feu vert, ça crisse côté vieux pneus, ça crise côté vieille peau. La miss peste sur les trois minutes de retard de Rodolphe qui s'excuse platement recevant comme réponse «  Bon allez zou, prenez moi les fesses vite fait sinon je vais être en retard pour la moule de Catherine. Le pousse-au-cul se marre mais perd vite le sourire au moment d'apposer ses mains. A sa grande surprise les demie-lunes sont musclées et rondouillettes ne manquant pas de le souligner à l'intéressée. Petit compliment qui décrispe la cocotte âgée, une femme restant toujours sensible aux compliments quel que soit son âge. Dégel, ce qui sous un soleil de plomb enlassant le village de sa torpeur rend les choses plus faciles. Le donzelon et sa protégée sont maintenant en position de croisière. De loin on dirait un centaure avec une tête de centenaire, l'ancêtre raide comme un « I » mais en italique, avec un Rodolphe en angle droit comme une table Ikéa. La rue est longue et la mémère lance la conversation en vantant les mérites de pousseur de l'ex-parisien fustigeant ses petits vieux habituels aussi libidineux les uns que les autres surtout après les petites pilules bleues que leur vend le pharmacien. Rodolphe se marre tout en poussant Paule à une vitesse qui lui permet de percevoir le village différemment.
Caméra humaine, il cinémascope la rue même si pour l'instant il a la tête dans le cul. Ses deux objectifs s'arrêtent sur ce village, si paumé, si vieux, si pourri, mais tellement attachant. Ces façades mordues par la lèpre du temps aux couleurs affadies volées à l'arc-en-ciel. Chaque mur est comme un monochrome buriné par ces vents si typiques qui tournent la tête et les sens. Cette odeur de tilleul et d'herbes sèches qui titille les narines lorsque les perles du matin s'évanouissent sous le charme du rayon doré. Ces vieux porches et leurs pubs en émail aux numéros de téléphone à six chiffres. Leurs poutres striées de rides profondes et desséchées, grisées par les larmes de là-haut. Quel charme que cette usure qui ride un village comme les rides façonnent un visage.
« Hey, oh qu'est-ce qui se passe, pourquoi on ralenti ? » braille l'ancêtre. Oups retour à la réalité pour Rodolphe dont la rêverie avait sérieusement entamé la vitesse de croisière de son escorte. La pente c'est la star qui monte, tous ceux qui la croisent ont un petit mot gentil, surtout les ados qui demandent à Mémé si elle sera bien là comme prévu à la fin de son marché. « Bah dites donc ils vous apprécient les teenagers ici », «Oui oui c'est normal à chaque fois je leur fous une tannée ». Une tannée ? Le pousse-pousse cul veut en savoir plus, mais mémé coupe court aux questions s'apercevant qu'au loin la queue pour la moule de Jacqueline ne cesse de grandir. Ça rouspète et tempête tellement que Rodolphe passe en mode rugbyman énervé.
Coup de boost.
Miss La pente passe en mode dragster et double sa vitesse, à croire qu'elle tourne à la nitro avec deux roquettes aux fesses. Rodolphe entend les commentaires de ceux qu'ils croisent.

« Oh purée il en veut le cakou », « Té, vé le ptichoune sûr qu'il a avalé un TéGéVé », « Va battre son record de montée la Pastisette ». Pastisette l'autre surnom de Paule. L'ex-citadin cherche à en connaître l'origine mais il n'obtient qu'un « C'est une longue histoire ». Décidément elle lui cache des trucs. Arrivée à la moule de Jacqueline, nom de la poissonnerie itinérante, Miss pastisette propose à Rodolphe de l'attendre pour récupérer les courses à descendre. Le provençal d'adoption qui n'était pas au courant lui demande s'il doit se mettre en sens inverse dans la descente du retour. La carte vermeille sur pattes répond que ce ne sera pas nécessaire et que de toute façon elle serait en bas bien avant lui. Rodolphe veut en savoir plus mais Paule est déjà en train de parler des derniers ragots avec la poissonnière.

Pastaga.

Direction la terrasse du troquet, le pastisette. Il se fait tout de suite brancher. « Aloreuh c'est ta premiaîre montéeuh petit, pas facile la cagolette hein … Moi c'est la prochaine fois et sûr qu'elle va m'escagasser vue que je pousse moins vite que toi » lui balance un vieil édenté mort de rire. «  Ah ça l'est toujours aussi chiante qu'à sa grande époque » rétorque un autre tout froissé à la peau tannée comme un vieux sac en cuir. « Grande époque ? » s'étonne Rodolphe, « Oh fils personne t'as dit qui c'est la mémère ? », « ben… non , qu'est-ce qu'elle a fait ? ». Encore zéro réponse pour Rodolphe qui rapplique vite fait vers mémé qui lui fait signe. Huit sacs de victuailles, ça pèse sévère pour ses p'tits bras d'ex-urbain, un peu paumé il ne remarque pas qu'autour de lui s'attroupe toute la populace, mômes en tête, en skates et rollers. A leur arrivée les uns crient « Pastisette, Pastisette », les autres « La pente, La pente ». Rodolphe se demande ce que c'est que tout ce bordel, c'est en apercevant mémé qu'il est sur le cul après en avoir poussé un vieux. La miss déboule en version blindée, casquée, genouillée, coudée sur un skate de descente de folie. Un Long-board bambou et acajou, une vraie bombasse avec trucks en Carbonne, roues larges et roulements céramique.

Jeff hallucine, la vieille a disparue. Elle est comme ces batteurs de Jazz des années soixante aujourd'hui cassés de partout mais qui une fois derrière l'instrument oublient arthrose et rhumatismes retrouvant une jeunesse de corps qui semblait évanouie. Elle paraît incroyablement souple et à l'aise sur sa planche, au contraire du maire qui visiblement débute arrivant sur sa board pour donner le départ… de la course. Tous les mômes sont le pied riveté au sol pour un meilleur démarrage, chacun se disant qu'un jour ils arriveraient bien à la battre. Pan ! Une vingtaine de skates se lancent dans la descente tels des squales affamés de bitume. Ça frotte de l'épaule, zigue et puis zague, mais mémé est déjà devant grâce à sa technique. Elle est au taquet, ses roues rugissent, scriiiiitch, un backward, elle est maintenant dos à la descente regarde ses adversaires et leur fait un double doigt d'honneur. Les mômes sont morts de rire et du coup lâchent l'affaire, totalement déconcentrés. Déboule Raplapla le cleps qui traîne dans le village et dont personne ne sait vraiment à qui il appartient. Le clébard lent du bulbe et ensuqué des pattes se fiche en plein milieu de la rue droit dans l'axe de descente de la vieille skateuse. La foule pousse un cri d'effroi s'imaginant le pire mais mémé envoie un saut et une rotation à 360° pour retomber sur les deux roues arrières et franchir la ligne d'arrivée roues avant en l'air.

C'est l'hystérie totale, tout le monde congratule Paule excepté les mômes une fois de plus dégoûtés. C'est sur le chemin du retour après que mémé eut signé des autographes et répondu aux questions de quelques télés venues immortaliser la scène que Rodolphe obtint enfin les réponses qu'il attendait. Paule lui explique qu'elle fut la première femme à skater en France, qu'elle avait passé plusieurs nuits au postes de police pour avoir « rider » les piscines vides des villas aux alentours. Qu'elle avait construit un mini skate park dans sa chambre et qu'à force d'entrainement elle avait été plusieurs fois championne y compris aux states. Pendant des années le village devenu la Mecque des skateurs européens bénéficia des retombées du business en découlant et que c'était pour le maire une façon de la remercier que d'organiser tout ce barnum. L'école, la maternité, le médecin généraliste étaient encore en fonction grâce à elle  plutôt qu'aux subventions. Elle termina sa conversation en lui expliquant que pastisette lui venait du fait qu'elle s'enfilait un pastis pur avant chaque finale au grand dam de son entraîneur. Surprenante la mamie.

Rodolphe a retrouvé un job, mais à mi-temps, pour profiter de mémé, de ses leçons de vie et de skate qu'il ne raterait pour rien au monde au côté de cette éternelle jeunesse.

  • Je me suis bien amusée tiens!
    Pour te répondre, j'aime tes textes parce qu'ils se lisent sans gène, qu'ils sont agréables et que je trouve ton style très fluide. A vrai dire, j'ai quelques lacunes en ce qui concerne cela, et je dois t'avouer que j'admire la façon dont tu déroule une histoire!
    (Désolée pour ce commentaire, je ne pouvais pas te répondre par message, je ne peux en envoyer qu'à ceux qui se sont abonnés =/ je trouve ce système dommage d'ailleurs)
    Au plaisir de te relire!
    Andréa

    · Il y a plus de 9 ans ·
    21765009 129430894369158 8985084520168090888 n

    koya-al-gaad

    • oki c'est gentil c'st ce que j'essaye de faire une écriture fluide à lire et sans gêne comme tu l'écris si bien merci bôcou :)

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

  • c'est dingue et positif! D'accord!!! Kissous

    · Il y a plus de 9 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

    • Merki vivi de ton com passage et avis toujours éclairé bises

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

  • C'est malsain,
    j'aime bien !!!

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Default user

    jonathan

    • Du tout tu te trompes équivoque c'est tout rien de malsain juste un jeu de mots merci de ton passage et de bien l'aimer me suis amusé à l'écrire je viendrai te lire à mon tour

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

  • mais je ne veux pas être gentille ,j'ai eu un réel plaisir à te lire! merci à toi

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Image pixelmator 465

    mylou32

  • j'ai adorééééé! si toutes les mamies pouvaient être comme cela!

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Image pixelmator 465

    mylou32

    • merci beaucoup pour le adoré c'est cool merci de ce com et de ta lecture et de tes cdc je suis gâté et touché c'est très gentil

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

  • Très sympa, bien écrit , on se laisse entrainer...dans la pente !

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Mycjq3xv

    Christian

    • merci christian c'est gentil d'être passé par ici et de laisser ce cool com

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

  • Vraiment sympa à lire, merci pour ce petit délire.

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Gabjournal

    gabryel

    • c'est gentil merci du passage et du com, et de lire si tard :-)

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

  • Ton imagination couplée à ta prose me clouent littérairement le bec. Respect!

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Kalvmxlw

    minuitxv

    • tu vois j'ai les poils qui se dressent quand je lis ça suis touché, vraiment, pure baume au coeur, énorme merci

      · Il y a plus de 9 ans ·
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      Christophe Paris

    • Merci à toi !

      · Il y a plus de 9 ans ·
      Kalvmxlw

      minuitxv

  • Pour le coup, c'est moi qui me suis amusée!

    · Il y a plus de 9 ans ·
    Kalvmxlw

    minuitxv

    • bon suis content de lire ça j'avais besoin de déconne ça m'a fait beaucoup de bien de l'écrire j'avais envie de faire marrer chic :-) oh grand merci vraiment et pour ta gentille note bises

      · Il y a plus de 9 ans ·
      P 20140419 154141 1 smalllll2

      Christophe Paris

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