La vérité et la vertu
petisaintleu
À l'instar des petits garçons, j'admirais mon papa. Il trimait dur et il se levait très tôt, non pas pour prendre un train de banlieue et arriver exsangue à 6h30 au bureau, mais pour débarrasser au plus vite les traces d'inconnus qui lui succéderaient trois heures plus tard. Nous habitions sur son lieu de travail. Il appartenait également à cette catégorie d'acariens humains, indispensables pour nettoyer la fange, mais récoltant le fruit du mépris. C'est sans doute pour cela qu'il se montrait gentil et mesuré, toujours habillé d'un sourire bête et contraint à force de s'excuser.
Il était le concierge de l'Institut de France. Vous qui me lirez, vous êtes un public averti. Vous le jalouserez, le suspectant même d'être un privilégié. Il est vrai qu'en nos jours sombres, même un poste d'égoutier est enviable. Mais il y a quarante ans, personne ne désirait pratiquer ce métier. C'est un cousin qui lui avait dégoté cette place. Son épouse exerçait la profession de gardienne d'immeuble rue Saint-Dominique. Ce fut par l'entremise d'un de ses hôtes qu'elle en apprit la vacance. La fonction se transmettait de père en fils. L'occupant précédent, héritier de sept générations, n'était pas immortel et s'était éteint sans descendant. La charge de serpillière des grands hommes fut dévolue à mon papa.
La loge donnait sur le quai Conti. Elle ne faisait pas plus de vingt mètres carrés. Nous nous en contentions. Nous n'étions que deux. Maman, je ne l'avais pas côtoyée, emportée par une septicémie alors que je n'avais que trois mois. La pièce nous plaisait. Elle était discrètement enchâssée au-dessus de l'entrée, à droite de l'avant-corps central que surmonte le dôme. Un œil-de-bœuf nous reliait au monde. Orientés au nord, nous vivions comme des troglodytes de septembre à mars. Lorsque je me faufilais entre l'armoire, le lit et la table crasseuse qui me servait de secrétaire, je me croyais sous-marinier. Ce n'était pas pour déplaire à papa. Pour ne pas être repéré par un torpilleur ennemi, je chuchotais à peine.
À la sortie de l'hiver, j'allais m'épanouir à l'extérieur. Mon visage s'était teint des couleurs incertaines de la Seine qui charrie au printemps les limons arrachés aux terres de l'amont. L'esplanade présentait une superficie suffisante pour que j'organise des matchs de foot. Hormis que je n'avais pas assez d'amis et que mon papa me l'interdisait. Son statut de balayeur de l'Académie ne l'avait pas entièrement dénué d'instruction et il saisissait le poids de l'institution. Il m'invitait donc à aller musarder le long des berges où, disait-il, mille ans d'histoire m'attendaient. J'étais rapidement devenu un spécialiste du transport fluvial. Les mariniers me saluaient d'un air entendu. Ils devinaient que mentalement, je les accompagnais par-delà les boucles du fleuve.
Au fil des saisons j'ai traîné des tonnes de rêves quand j'avais le cafard. Puis, je suis rentré au collège. Je dénotais un peu avec mes camarades de Saint-Germain-des-Prés. J'étais la condescendante attraction, les pauvres étant pour ces enfants nantis des prodiges qui seraient ignorés une fois les portes de l'établissement franchies.
Je ne me suis pas vraiment fait de copains. Je ne m'en formalisai pas. J'étais habitué dans ma propre cosmogonie à me passer des autres, évoluant dans un univers où j'étais la puissance fondamentale issue de mon imagination.
Le temps coula, du pont de Bercy au pont Mirabeau. D'un premier roman très remarqué, j'ai immédiatement enchaîné les succès littéraires. Je cachai mon passé non pas par honte, mais pour me soustraire aux raccourcis. J'ai préféré ne pas y penser. L'écriture n'a jamais eu de finalité revancharde. Je voulais éviter que l'on puisse soupçonner que j'avais bâti mon œuvre dans la prévision de cet instant.
Quand je fus reçu par mes pairs, je conviai mon papa à la cérémonie. Je le lui devais autant qu'à mes illustres prédécesseurs qui usèrent leurs fesses sur ces bancs quand lui s'éreintait les genoux à récurer les sols. À défaut de n'avoir pas découvert Platon, il s'est refusé à renier sa condition. C'est ce qui le rend philosophe à mes yeux. Non nobis solum.
Un très beau texte, bien écrit et qui pourrait être les prémices d'un roman.
· Il y a environ 10 ans ·veroniquethery
Je préfère les préliminaires.
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
Un connaisseur et un esthète ;-)
· Il y a environ 10 ans ·akhesa
Je confirme !
· Il y a environ 10 ans ·veroniquethery
Je ne dis rien ...
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
Du très beau travail, l'imaginaire de l'écrivain prend de l'ampleur...
· Il y a environ 10 ans ·marielesmots
A mettre au compte de mes nouvelles ? ;)
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
J'aime beaucoup! et je me pose une question... le problème de la vérité est-il une vertu pour l'écrivain? Kiss
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri
Madame est philosophe ce soir ! Je te laisse 4 heures pour rendre ta copie.
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
Faut plus que cela... Toute une nuit... Kiss
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri
Tu n'es pas occupée la nuit ?
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
Je fais énormément de choses la nuit... je veille , je dors, je rêve et je me fiche de ma vertu, c'est la vérité!!! Kiss et bonne journée. Je dois travailler...
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri
je n'en doutais pas un instant.
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
;o))))
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri