L’amante déchue

plume-aiguisee

« J'ai de tes caresses dessinées Comme un automne sur mon dos» La louve - Lynda Lemay

J'ai ton souvenir tenace. Ton odeur au bout des doigts. Un battement de cil au creux du cœur et tu apparais, sourire ultra-bright et yeux joueurs. Et j'ouvre les miens. Je me fais l'effet spécial des films américains des années soixante, où le magicien disparaissait dans une nuée explosive. Un Shoot de toi...


Début de journée, pas encore tout à fait réveillée malgré la 6eme sonnerie du réveil, je me love dans ma couette, paupières fermement tenues je me revois, c'était quand déjà ? Un matin de mars, c'était hier, c'était il y a des années, je ne sais plus et je m'en fiche au fond. Je veux juste retourner là, dans cette chambre trop grande pour moi, attendant impatiemment ta venue. Chaque mèche de cheveux était savamment pensée, mon habit déshabillé, savamment étudié. L'effeuillage pourrait bientôt commencer. L'amante désireuse n'a guère besoin de maquillage, son corps tout entier est rosi de cette attente lancinante, suppliante d'être écourtée. Je ne sais plus si j'ai envie de te voir arriver, ou rester indéfiniment dans cette attente, délicieuse torture que les embouteillages m'imposent. Mais déjà il est temps de se lever, débuter la journée. Premier shoot de toi...


Prête à affronter le monde, je m'arme de mon dernier rempart, une touche de parfum, sur chaque point de pulsation, et ton souvenir s'impose. Tu m'as confessé sur l'oreiller qu'il te rendait fou la première fois que tes doigts ont frôlé ma main. J'applique, goûte à goûte, derrière chaque oreille, le précieux nectar. Je le laisse filer dans la nuque, en joue dans le pli des coudes et sur les poignets, avant d'en pulvériser une nuée dans laquelle je passe le pas de la porte d'entrée. Le miroir de l'ascenseur me renvoi le reflet vert de mes yeux bruns, signe de l'émotion charnelle que mon esprit réveille en pensant à toi. Deuxième shoot de toi...


La journée s'enchaîne, de réunion en compliment que je n'entends guère, de dossier finalisé en pause-café, je lutte particulièrement aujourd'hui pour ne pas baisser ma garde. La fatale reste concentrée, objectif en ligne de mire que rien ne peut dérouter. Se donner corps et âme à son métier pour qu'il se sente vivant, rempli, épanoui, l'habitude a mis en place toute sorte de stratagèmes pour combler comme il peut les brèches qui menacent de s'ouvrir. Le combat est perdu d'avance, je le sais bien, mais la louve se bat de toutes ses forces. Jusqu'à une phrase, anodine, posée sur un post-it au retour de réunion, qui ne pose qu'une seule question du haut de son carré jaune « j'adore ton parfum, c'est lequel ? » Mes paupières se touchent, mon cœur manque un battement, un frisson me parcourt l'échine, et te voilà passant la porte laissée ouverte de notre chambre, berret sur la tête, veste en cuir, rayban et levi's, et le tourbillon dans ma tête me ramène à cet instant précis ou tes bras m'ont presque soulevée, tes lèvres contre les miennes ont susurré «je me languissais de toi » dans un premier baiser. « Tu m'as manqué ».  Troisième shoot de toi...


Le cœur un peu serré et les yeux brillants je continue ma course effrénée. Il faut que tu sortes de ma journée. Je plonge un peu plus dans le travail, m'évade de toi, de nous, mais ta présence me colle à la peau. J'ai beau m'entourer l'esprit, dresser des remparts entre ton souvenir et mes pensées, tu les abats d'un revers de main. Cette main que je revois sur moi, ton pouce caressant ma joue pour me dire que je suis belle, glisser sur la fermeture éclair qui ne retient déjà plus mon corsage, Mes mains qui parcourent ce pantalon trop étroit, libérant ton envie de reprendre possession de moi. Mes lèvres s'approchent de toi, avides et gourmandes, mise au défi depuis notre précédente entrevue d'allonger leur étreinte. Sauront-elle te rendre fier des prouesses qu'elles accomplissent avec leur acolyte lapant tel une petite chatte ton désir de découvrir des contrées lointaines et jamais foulées. Jusqu'à présent ? L'annonce du terminus du bus me rend mon esprit égaré. Il est temps de rentrer. Quatrième shoot de toi...


Soirée arrosée entre copines, le temps file, embrume l'esprit, l'apéro festif tambourine dans ma tête jusqu'à cette question, « la sauce soja, salée ou sucrée ? » Le plateau de sushis livré par ton livreur habituel se demandant ce que tu fais là refait surface. L'éclat de nos rires résonne dans mes tempes, je ne réponds même pas. Cette bulle hors du temps m'emporte, chaque couleur se colle à ma rétine, chaque son se loge au creux de mon oreille. Chaque instant de ce moment repasse encore et encore. Déconnectée de la réalité. Emportée. Cinquième Shoot de toi...


La nuit est avancée, le lit trop grand pour moi accueille mon corps fatigué. Blotti contre moi, le chat ronronne encore. Couchée sur le flan, ma main caresse les restes de mon maquillage nocturne, quand elle se loge au creux de mon cou. Là où toi seul place ta tête pour mieux te remplir de ma fragrance. Là où je t'enivrais de moi. Là où personne d'autre ne va. Mes paupières de ferment sur le souvenir de ta voix. Moi aussi je me languis de toi. 

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