L'année du rat (fin)

matt-anasazi

Les grues et les porte-containers témoignaient de l’essor portuaire de la ville ; maintenant, les restes éparpillés des barrages militaires témoignaient de batailles sanglantes et désespérées. Il s’agenouilla et fouilla les dépouilles des soldats, espérant trouver de quoi survivre. Le premier attira son attention : noir, une musculature de footballeur. Tout comme Bryan.

Ses mâchoires se crispèrent : six mois après, Jason sentait toujours la même colère contre sa direction le submerger. Bryan avait toujours été l’assistant parfait, au courant de toutes les démarches, précédant tous les événements. « L’Igor » du docteur Frankenstein, selon leurs détracteurs tant leur complicité née à la fac agaçait les jeunes loups d’ICAR. Quelques mois après la commercialisation des nanotechs, Bryan s’assurait encore de la santé des cobayes. Le prolongement de la durée de vie devait être mesuré de manière exacte ; l’argument commercial principal d’ICAR en dépendait.

Un soir, il vit une carcasse de rat dans une cage : un jeune avait été mis en charpie par ses congénères. Ce comportement ne correspondait pas du tout avec ce qui avait été observé depuis le lancement des tests. Il débloqua toutes les sécurités, les grilles, barrières électriques et électromagnétiques. Il s’apprêtait à prendre le cadavre quand les rats se ruèrent sur lui de manière coordonnée : un éclaireur grimpa sur son bras et lui attaqua le visage pendant que le gros des troupes tailladait ses jambes. Alertés par ses cris, ses collègues lui apportèrent les premiers soins durant de longues minutes ; ce n’est qu’à ce moment que Jason se rendit compte de la disparition des cobayes de tous les labos. Tous les rats s’étaient enfuis en même temps, même les groupes témoins qui n’avaient subi aucune injection de nanotechs. Il fit remonter non seulement l’attaque mais également la planification et l’évidente communication entre les rats des différentes salles. La direction choisit d’étouffer l’affaire. « Quelques rats ne décideront pas de la marche en avant de l’humanité » fut la conclusion du conseil d’administration. Défiguré, abattu, phobique au dernier degré, Bryan attendait le cortège d’opérations et la retraite anticipée promise par ICAR comme prix de son silence.

L’histoire se précipita. Un mois après l’attaque de Bryan, une nuée de rats envahit une station de New York. Une centaine de morts, des milliers de blessés, une humanité traumatisée. L’armée décida de mener la campagne d’extermination dans les couloirs du métro. Il n’était question que de massacrer des rongeurs de quelques kilos et à l’intelligence primaire. Une semaine plus tard, tous les centres névralgiques de la ville furent pris d’assaut : centrales électriques, hôpitaux, centrale de police. Partout, la même panique, les mêmes cris, les mêmes carnages.

Perdu dans cette folie, Jason ne put que préserver sa vie. Il vit s’effondrer son monde quand il se retrouva mêlé à une foule hystérique, rendue folle par les horreurs vues, entraperçues, imaginées. Sa vie s’acheva enfin quand son immeuble fut la proie des rats. Ses forces l’abandonnèrent quand la vague de rongeurs se mit à envahir toutes les voies d’accès. Ce n’est qu’une heure plus tard qu’il se rendit compte qu’il n’avait cessé de courir pour fuir la scène.

Les champs à perte de vue étaient en friche. Les plants pourrissaient sur pied et de larges parcelles étaient dévastées. Jason marchait depuis des jours, fuyant New York. Il perçut des couinements aux abords du champ. Il vit un mulot suivi d’un énorme rat blanc. Le type même de rat que son équipe avait soumis toute l’année dernière aux tests. Je devrais me dépêcher, pensa-t-il.

Autour de son feu de camp, Jason entendit sur les grandes ondes que les rats se propageaient dans tout le pays et déjà le Canada et le Mexique signalaient des colonies entières de rats, organisées et en ordre de bataille. Les reportages énuméraient les villes détruites, les efforts vains de l’armée, incapable d’endiguer cette armée d’un nouveau genre.

Jason plaignit l’humanité car elle s’était construit son pire cataclysme. Les rats qu’elle avait fabriqués étaient non seulement d’une longévité et d’une santé inégalées mais surtout ils superposaient à leur fonctionnement social un comportement social de fourmis qui renforçait leur cohésion. Un évolutionniste avait affirmé que le rat serait devenu le maître de l’évolution s’il avait pesé une vingtaine de kilos. Le destin en la personne de Jason Mc Intyre avait rétabli le déséquilibre des forces de l’évolution.

Le lendemain, il reprit la route. Il n’avait plus le choix, il devait avancer. Aussi, il avançait, les sens en alerte. Guettant l’ennemi, traquant sa nourriture.

Comme un rat.

  • Merci, Rafi. Très heureux que la nouvelle te plaise (je n'ai pas beaucoup de mérite, c'est ma première nouvelle que j'ai eu le temps de retravailler !)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • J'ai eu les frissons pendant ma lecture, les rats qui s'échappent, comment dire, j'aime pas trop du tout ça ! ^^'
    Mais en tout cas l'histoire est vraiment top, bien écrite et la fin est comme il fallait, les dernières phrases surtout, le point final est parfait !

    · Il y a presque 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Merci de cette remarque. Comme je le disais à Octobell, je lance souvent des idées dans des nouvelles et si les idées plaisent je les garderais pour un développement ultérieur ! Grâce à vous tous, je classe mes idées pour de futurs romans !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • ah la suprématie des rats sur l'homme....ta nouvelle peut s'apparenter comme un sypnosis sur une suite....l'idée de base mérite à être encore plus exploitée à mon humble avis.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Ciel %c3%a9toiles2

    bella-leff

  • Oui... du moment qu'il n'y a pas pas d'apprenti sorcier ! (lol) Mais je veux bien jouer le chevalier servant au service de sa dame pour vous !!!

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Brrrr...tu promets que c'est une fiction totale hein??? ;)

    · Il y a presque 11 ans ·
    Noir

    suzelh

  • Merci, Octobell ! Le concept n'est pas de moi, j'ai juste trouvé l'idée pour que les rats aient la suprématie sur l'homme.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Ah bouaarrh... Je suis pas du genre très phobique, mais alors les rats.. Ca me foutrait presque envie de vomir tiens ! Une invasion de rats ? Mon dieu, la pire de mes hantises ! Brrr ! Il foutait quoi le joueur de flûte de Hamelin, pendant ce temps là hein ?
    Un texte excellent en tout cas, et un concept qui mériterait vraiment d'aller plus loin ! Bravo Matt !

    · Il y a presque 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

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