L’appartement [Rue de Seine – 6ème arrondissement]

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Réveil dans le lit d’un autre, dans un appartement que je ne connais pas.
Je l’avais accompagné chez lui à Saint-Germain-des-Prés, quartier que j’exècre. Aucune envie de m’y balader, de me perdre dans le dédalle de ses ruelles déjà bondées, ni d’échouer dans un de ses cafés prétendument  lettrés.
Alors qu’il m’avait abandonnée à Morphée quittant le lieu dont il était pourtant l’hôte et s’échappant du guet-apens comme on fuirait le diable, j’émergeais avec difficulté.
Piquée d’une certaine curiosité, j’avais pris la décision de localiser cette merveille boisée, trop savamment décorée.
Je me penchais par la fenêtre, appuyais mes seins sur la balustrade, jouant avec le vis-à-vis comme une actrice prépubère, gauche et allumeuse.
J’avais immédiatement identifié la galerie Berthet-Aittouarès au 29 avant de me laisser déstabiliser par la caricature d’un italien qui passait sur un vélo faussement usagé, les mains ballantes traînant insolemment le long du corps. Ce détournement avait aussitôt ameuté la ville et son raffut : passants, camions-poubelles, chiens errants, cloches dominicales, automobiles ronchonnes, talons poinçonneurs de trottoirs, enfants braillards, mères fouettardes et le marché du Buci en toile de fond. Le tintamarre tentait de se taper la douce léthargie qui me berçait. Au 31, l’appartement où Georges Sand avait élu résidence.

[Si ce contexte était fictif, il eut été nécessaire d’analyser la dimension symbolique du 29 et du 31. La véracité des propos importe peu, le jeu du hasard m’intéresse encore moins mais si ce dernier se joue de moi je ne réponds plus de rien.]

J’éteignais le bruit de la capitale et farfouillais à droite, à gauche pour retrouver la lingerie fine que j’avais égarée. Je me promenais dans l’appartement en tenue dévêtue afin de m’habituer au nouvel espace et avec pour secrète ambition de le faire mien. Mes talons étaient habilement disposés au cœur du salon dans une position que je jugeais immédiatement indécente voire intolérable. La droitière se reposait sur sa coquine de coéquipière qui feignait quant à elle de ne rien avoir remarqué alors qu’elle attendait lascivement d’être chaussée.
Je me servais un thé trop chaud, trop fort ; le goût, la qualité et les sensations importaient peu, il s’agissait d’adopter les positions naturelles de l’habitant.
En premier lieu : scruter les horizons. Les codes culturels étaient ici trop apparents pour être pleinement sincères : large affiche disposée de façon appropriée, bibliothèques peuplées de coffee-table book et de classiques littéraire. Aucun signe apparent de débordement si ce n’est mon corps affalé dans le canapé.

[On a récemment dit de moi que j’étais en très grande partie responsable de la quantité d’entropie créée dans ce monde. C’est avec une jouissance démesurée que j’ai appréhendé la justesse, la perspicacité et la qualité scientifique de cette remarque.]

En deuxième lieu : habiller l’espace. Je choisissais d’investir un large tee-shirt coincé dans le canapé, enfilais mon casque Sony : troisième oreille depuis déjà trop longtemps, suffisamment pour avoir endommagé, comme il convient, mon audition.

Ordre d’écoute, sélection aléatoire établie de façon autoritaire par la technologie Nano :
Take sword pt.1
The RZA
Ballade de Melody Nelson
Gainsbourg
Hearth of Gold
Neil Young
Chris’ Number
, The Yardbirds
The police walked in for jazz,
London Calling [morceau exceptionnel extrait de "The Vanilla Stapes"]

En dernier lieu : s’inscrire dans le paysage. Je dansais en écoutant ce dernier morceau - enfin en l’écrivant je pensais que c’était quelque chose qu’il était nécessaire de proprement réaliser - alors je me levais sur la pointe des pieds et commençais à exécuter une chorégraphie post soixante-huitarde en essayant de ne pas toucher les rainures du parquet. Je n’avais jamais réussi à me défaire de ce toc hérité de l’enfance quand nous jonglions entre les zébras, dalles, carreaux et divers impacts de chewing-gums blancs incrustés dans le bitume noire. Lorsque la musique s’est arrêtée, j’éprouvais un sentiment diffus d’ennui.
L’appartement manquait d’attrait sans l’œil de son propriétaire sur moi. Il devait rentrer plus tard et m’avait proposé de l’attendre si je le désirais. Je ne le désirais pas mais j’avais pour ambition de réinvestir son logis, d’y écrire quelques mots et de lui voler définitivement cet espace qui me revenait de droit. Je rédigeais donc une note pour qu’il ait mon numéro de téléphone.

L’appartement et moi avons passé un très bon moment ensemble. Je serais ravie de pouvoir m’entretenir avec lui une nouvelle fois.
Appelle-moi si tu n’y vois pas d’inconvénient.
Anne-Charlotte
06 69 ** ** ** 5

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