L'Atelier d'Art Thérapie - Espace hétérotopie

zgack

Petite folie passagère d'un Art brut exceptionnel.
Journée hivernale dans un hôpital psychiatrique de province. Je me retrouve face à une entrée douteuse et grisâtre. Frissons. Devant moi une porte. Je la pousse. C'est lourd. Ca grince. Je pousse plus fort. Elle s'ouvre. Doucement, lumière. Je me retrouve bel et bien dans un monde imaginaire que bien des artistes souhaiteraient contempler : l'Atelier d'Art Thérapie.
La stigmatisation de la santé mentale ne date pas d'aujourd'hui. Autrefois aliénés, insensés phénomènes cloîtrés entre quatre murs d'un asile acrimonieux. Aujourd'hui, patients prêts à tout pour l'obtention de la cure miracle dans des centres hospitaliers psychiatriques à la pointe de la technologie.
Retour à l'Atelier d'Art Thérapie, on pourrait penser que les œuvres créées par des patients s'apparentent à des dessins d'écoliers de moins de dix ans. Retirez cette idée abrupte de vos pensées. En entrant, je découvre un long couloir timbré de dizaines de tableaux, d'œuvres réalisées dans le cadre de l'Art Thérapie. Des patients, non ! Des artistes habitent ce lieu de création en peinture, écriture, arts plastiques, sonores, visuels…Autour de moi, des œuvres, encore des œuvres. J'aperçois des artistes en situation de création. Les consignes sont claires, représenter le monde, la société, comme ils les voient. Même si la clarté de ce concept ne laisse aucun doute sur sa signification, le résultat prend, dans cet atelier, une toute autre dimension. Entre deux coups de pinceaux quelques fois violents, quelques fois doux, je vois les formes fantasmagoriques d'un monde qu'ils imaginent meilleur. Chaque personne possède sa vision de notre bonne vieille Terre ainsi que de son fonctionnement assez hilarant je vous l'accorde, mais là, le chaos d'un mouvement rend tout tellement plus clair et simple. Derrière chaque œuvre, un sentiment, une idée, un message, une tentative humble et cachée de demande d'aide. Les tableaux sont magiques, magnifiques, surprenants, formidables. Un Art brut, pur et prodigieusement sincère.
Une œuvre m'interpelle. Elle doit bien mesurer quatre mètre carrés. Je m'approche. Frissons, encore. Des frissons originaires d'une certaine explosion de sensations, de saveurs, d'émotions. Tristesse, horreur, surprise, étonnement, espoir, rire…tous se mélangent. Trois couleurs : le noir, le blanc et le rouge. Une forme se dégage, une silhouette hypothétiquement humaine, visage obscur, serré, les mains levées au visage dans un environnement pourtant blanchâtre. Extase. Sur le côté, une phrase calligraphiée à la « Omar m'a tuer » avec sa faute de grammaire légendaire, en rouge sang. On imagine que ce coup de pinceau s'est produit de manière très violente, dans un élan de haine envers autrui, peut-être lors d'une mise en chambre de contention. On ne saura jamais. Le texte me propulse dans une méditation immédiate : « Les fou, c'est vous. Moi je suis libre ». Même si la première pulsion est de corriger la faute, je m'interroge sur le sens de cette phrase. Qu'a-t-il voulu dire ? Peut-être que nous sommes tous aliénés par une société matérialiste où nous devons obligatoirement travailler et gagner de l'argent pour avoir le droit d'acheter ce dont nous croyons avoir besoin afin de s'amuser, manger, vivre. Peut-être que la folie se mesure par le degré de liberté émotionnelle de chacun, internée dans ce monde de chimère. Tout va trop vite, le « vite fait bien fait » égare nos pensées. Sommes-nous en train de construire un monde digne du film The Others, d'Alejandro Amenàbar, où les morts sont finalement les vivants et les vivants sont morts ?  Sommes-nous tous fous ? Divagation…
L'Atelier d'Art Thérapie de cet établissement psychiatrique m'enferme dans un aller-retour psychotique, me fait réfléchir sur ma place dans cette société emplie de visions et de stigmatisations de l'autre. Espace hétérotopie de Michel Foucault. Comme le cimetière, qui est le lieu où les morts sont en opposition aux vivants, l'Atelier d'Art Thérapie, lieu des fous en opposition aux « normaux ». Ces artistes recherchent, par l'Art, un moyen d'expression déstigmatisée, d'humilité. C'est la mise en Art de leur chaos intérieur, de leurs douleurs personnelles sublimées, d'illuminations individuelles sans nul besoin de reconnaissance extérieure. Enfermés dans l'espoir atavique et cette fois-ci bien utopique d'une illusoire guérison.
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