L'autre.

zoeylou

L'autre. Je sens s'abaisser mes paupières, tout devient rouge-gris-folie. Je presse plus fort, des points de lumière noire me vrillent les yeux. L'autre. Il ne reste plus qu'un rempart entre la paix et la furie. L'autre. Mes paupières s'emplissent, doucement, lentement, avec ténacité, d'une chaleur sourde. L'autre. Je reconnais trop bien cette chaleur, signature des larmes. Dans un dernier effort, je mords violemment, consciencieusement l'intérieur de ma joue, renvoie mes yeux vers l'arrière. Je garde les yeux fermés. L'autre. Les larmes ne passeront pas. Ma gorge n'explosera pas, qu'importe cette boule de douleur qui me vrille le larynx. L'autre. C'est arrivé. J'ai mal aux mains, la migraine m'entraîne dans un ailleurs de douleur. Cette douleur est mienne, je m'y enroule, m'y recroqueville. L'autre. Il me touche, ce sont ses mains sur ma peau, leur chaleur me glace, je voudrais hurler. Le mal est lancinant. Je me retiens, si j'émets un son, un seul, le rempart cèdera. Je me concentre sur cette douleur, sur cette horreur, tout plutôt que penser. L'autre. Je cherche à rassembler la force et le courage de me lever, l'énergie suffisante pour le laisser dans la pièce, celle pour quitter le contact moribond de ses doigts posés, presqu'enroulés dans ma nuque. L'autre. Je ne sais pas s'il y a beaucoup de sang, mais je le sens dans ma bouche, mes joues sont lacérées, je protège mon cœur de l'effroi. Je me prends à penser que cette boule que je sens au fond de ma gorge est réelle, si réelle qu'elle va me détruire. L'autre. Une autre vague de chaleur derrière mes paupières suffira, c'est maintenant ou jamais. Je me dresse sur mes pieds, sent qu'il tente de me retenir. Je vacille, c'est la douleur, celle du corps, celle du cœur, je ne sais plus. L'autre. J'ouvre les yeux, renvoie les larmes d'où elles viennent. Je n'ai que dix pas à faire pour m'oublier. L'autre. J'entends sa voix, il me dit parle-moi, il me dit regarde-moi, il crie, il est face à moi, je cherche à fuir son regard qui me poursuit. L'autre. C'est arrivé. Il me dit écoute-moi, je peux t'expliquer. J'ai la nausée, c'est la première fois je crois, la toute première fois que je la savoure. Elle m'occupe l'esprit. J'ai la nausée et je n'ai pas peur d'elle, j'ai peur de lui, j'ai peur des mots qu'il veut m'imposer. L'autre. Il me dit écoute-moi, et sa voix se brise. Quelque chose en moi aussi, je souris, j'étais sûre que tout est déjà brisé, défoncé, massacré. On est jamais assez loin dans la douleur. L'autre. Il tourne mon visage vers le sien, avec violence, j'ai le tournis, arrivée à hauteur de ses yeux, je clos les miens. Il me secoue, j'ai mal partout, la nausée s'en va. J'articule, péniblement, tu dois me lâcher, je dois m'en aller. Il me fait mal, je sens la marque de ses doigts s'imprimer dans ma joue, sa force me surprend, jamais il n'en a usé auparavant. Il me repousse, il crie pardon, je hurle non. Il ne peut pas dire pardon, il a parlé d'une autre, il n'a pas le droit de dire pardon. Il faut que ces mots soient les derniers. Je trébuche, tangue, attrape mes sandales par la bride et dévale les escaliers. Je l'entends derrière moi. Il crie écoute-moi, tu ne peux pas faire ça. Je ris entre mes larmes, j'ai si mal. L'autre, l'autre, l'autre. Je vais m'écrouler, mais si je m'écroule, j'aurai vraiment tout perdu. J'atteins la porte, l'ouvre, la referme, doucement. Je prends le temps de refermer le loquet, de tourner la clé. Je suivrai les règles jusqu'au bout. L'autre, l'autre, l'autre, je ne lutte plus. Le sol se rapproche, je crois que je tombe, j'espère que je meurs, j'espère un réveil lointain. Il a dit qu'il y en avait une autre, et moi, je meurs devant sa porte.

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