Le charme des tropiques

Finalement, Au Roi Merlin m'a mis sur les rotules. Après le magasin de Lyon, j'avais intégré le tout nouveau service du Commerce Electronique. On était des pionniers.

Mes collègues de la centrale d'achats n'ont jamais compris comment je faisais. De neuf heures à dix-sept heures, les heures officielles de travail, je passais mon temps à préparer des coups fumeux où à leur balancer des liens de site à la noix du type Rotten.

Mon secret était simple, j'avais gardé l'amplitude horaire acquise en magasin. Ainsi, j'arrivais à sept heures et je repartais vers vingt heures. J'effectuais donc très sérieusement trente heures hebdomadaires et les week-ends, je les tuais à bosser.

Lors d'une soirée où était annoncé le montant de la revalorisation de la part de l'entreprise qui n'est pas cotée en bourse, je fis un magistral coup de Jarnac.

Mes camarades de travail étaient en majorité de jeunes diplômés, du type geek. Malgré les apparences, il n'y avait pas que les bytes qui les intéressaient. Faute de place, le tout nouveau service avait été installé dans un couloir. Nos postes de travail étaient en enfilade. Quand Caroline débarqua le premier jour pour se présenter, je me serais cru dans une mauvaise pub pour un parfum. Derrière les lunettes à double foyer de ces petits génies de l'informatique s'alluma un regard lubrique. J'étais plus âgé et donc plus vicieux. Je gardai un air détaché tout en plaçant une ou deux épigrammes dont j'ai le secret.

Ainsi, à la soirée, ils furent plus prompts à se jeter sur le champagne qui coulait à flot que sur les petits fours. La désinhibition aidant, ils ne manquèrent pas d'attaquer de front la nouvelle recrue. Je jouai alors aux preux chevaliers pour la sortir d'un mauvais pas et en faisant la morale à ces petits cons.

Caroline tomba facilement dans mon escarcelle. Elle venait de terminer une maîtrise en communication et elle vivait encore chez ses parents. Ses besoins de liberté étaient donc proportionnels à l'idée que je me faisais de nos futurs ébats. Après lui avoir fait mon très classique coup du mec décalo-cultivé, elle fondit.

Mais je m'ennuyais sur Lille. Le temps gris et l'ambiance provinciale me pesaient. Je saisis donc l'occasion quand un directeur de magasin de la petite couronne parisienne me proposa de le rejoindre. Caroline était ravie de rejoindre ses amies qui avaient migré à la capitale.

Nous ne sommes restés que deux années ensemble. Mes horaires étaient incompatibles avec ses envies de sorties. D'autant plus que j'étais tombé dans le piège du travail dominical pour augmenter mon salaire de manière substantielle.

Je me retrouvais sur le carreau, célibataire et au chômage. Les deux avaient interagi l'un sur l'autre.

Je retrouvai du travail au bout d'un mois. Et pour noyer mon chagrin sentimental, je m'inscrivis sur un site de rencontre pour trouver l'âme sœur.

Bien évidemment, je n'avais pas envie de refaire ma vie dans l'immédiat alors que j'étais dans le creux de la vague. Je faisais contre mauvaise fortune bon cœur et je fis don de mon être à corps perdu durant un trimestre. Ce n'est pas très compliqué d'aller à la pêche. L'Ile de France est une réserve naturellement inépuisable de femmes divorcées ou de provinciales paumées. Il suffit juste de mettre en place une stratégie épistolaire qui consiste à être un peu moins bourrin que 90% des mâles qui confondent ce genre de support avec le Bois de Boulogne, la tarification en moins, et le tour est joué.

Je me lassais de ces rencontres éphémères. J'utilisais alors l'outil pour découvrir le monde. Une fois le tri des Algériennes, Malgaches et Camerounaises qui tombaient éperdument amoureuses de moi, je me fis une joie de découvrir d'autres cultures.

Pour revenir sur les visées de certaines de ces demoiselles, je me suis un jour amusé à faire un test. J'avais mis en photo de profil celle d'un jeune cadre dynamique au sourire du genre Pepsodent et je déclarai gagner plus de cent mille euros annuels. Je n'ai pas fait cramer le serveur mais si nous étions restés à l'époque de SVP 1212, j'aurais fait sauter le standard téléphonique.

J'ai donc échangé avec l'Arménie, le Pérou, le Lesotho. Plus le pays m'était inconnu, plus j'étais intéressé.

Et un jour, je suis tombé sur les Philippines et sur Karen. Allez comprendre les arcanes de l'amour. Six mois après nos premier s échanges, je m'envolai pour Cebu.