Le château des Râteaux.

- Nous y Voilà ! Admirez-moi ces poutres ! Du XVI ème suspendu ! C'est pas du tir à l'arc sur une botte de foin à la MJC de Sentois-les-doigts, qu'on a là! Bon ok, faut casser la cloison qui sépare la cuisine de la salle à manger, puis la cloison qui sépare la salle à manger du salon... le mur de l'escalier... non celui-là il est peut-être porteur... si ça se trouve, on le casse pas ! On le garde quand même... on sait jamais... et puis comme dit l'expression: un qui tient vaut mieux que deux tu l'auras ! Il est pas mal en fait ce mur-là, hein ? Vous en pensez quoi vous ? Il tient le tout et puis il peut servir à accrocher des portraits naturalistes; un bateau bleu, un poisson rouge, ou même un coucher de soleil à Zanzibar pendant qu'on y est, hein ? C'est sympa Zanzibar ! Vous y êtes déjà allé vous ? Moi non... et puis on s'en fout ! Bon...  pour le premier étage on verra plus tard... ! Alors, reprenons depuis le début... enfin depuis le bas...

- Excusez-moi, mais...

- Oui alors... et qu'on soit bien d'accord ! On récapitule... Nous allons tomber la cloison qui sépare la cuisine de la salle à manger... puis la cloison qui sépare la salle à manger du salon, pour que d'une petite cuisine toute rikiki, puis d'une petite salle à manger là et du petit salon plus loin, vous ayez enfin un bel espace, un grand salon-cuisine-salle-à-manger-espace-bisous-nours-baffes-tarot-bœuf-mayo-convivial-structurée ! Ensuite on arrache le parquet et on implante la fameuse CUISINE Mary Poppins suspendue sur un béton ciré - je vous donnerai l'adresse de mon cuisiniste... un artiste vous verrez... il sait fabriquer des trucs au milieu de rien et pour 3 fois que dalle et aussi des îles flottantes avec juste ce qu'il faut de gousses de vanille dedans ! Donc récapitulons à nouveau... de ces trois pièces-là on n'en fait plus qu'une seule, vous comprenez ? Trois font un, ou 7 moins 2 font 6 si vous préférez ! C'est pas pareil en raisonnement mais identique en résultat, n'est-ce pas ? Plus besoin de cloisons là et là, ni là puis aussi là-bas... l'espace est à vous, il vous appartient... la cuisine, la salle à manger, le salon, pffffff tous dehors... tout à la benne  ! Vous comprenez ou il faut que je vous explique encore ?

- Excusez-nous...

- Tenez par exemple, imaginez... vous êtes là, là où je me trouve... ici même !... ou on va dire là, près du frigo... là voilà, le frigo c'est bien, c'est frais... bon maintenant, imaginons que là c'est le four mitigeur et ici le nouvel évier mufti-fonctions... ou inversement, je sais plus... mon Dieu, il existe tellement de choses auxquelles on aurait pu penser si on avait réfléchi avant de savoir où les poser dans le bon sens ! et qu'a ce moment là vous êtes censés rentrer d'une partie de tennis avec votre épouse, et que holà comme il fait chaud, ben qu'est-ce que vous faites ? Je vais vous le dire moi: vous vous servez d'une main une bière tandis que de l'autre elle vous tient la votre... - la main, j'entends bien !-... puis vous longez tous les deux la cuisine-îlot-Poppins-what-else-Rosières du milieu -qui n'est pas encore intégrée puisque pas encore construite mais qu'on peut très bien imaginer avec un peu d'imagination sur un catalogue Disney en ligne – pas celles de la main... les lignes ... ha ha ha, je rigole !-... puis nonchalamment  vous profitez de votre passage pour prendre une petite olive dans la coupe, cette petite soucoupe bleue impériale très chinoise et très chic de mon ami Patrick, Patrick l' antiquaire qui fait aussi de la gnôle de poire le samedi dans son garage en attendant la  récolte des coings. Vous voyez la scène ? Patrick... le cognassier... la cocotte Seb... vous la voyez pas vous la scène ? Moi si !

- Excusez-nous...

- ... Mon Dieu mon Dieu ça va être chic tout ça... et puis là, en faisant pas plus que trois mètres cinquante, moins de quatre pas d'un architecte socialiste, vous vous retrouvez devant l'immense.... que dis-je... la gigantesque BAIE VITREE ALU de la véranda... et où par dessus la pelouse ensoleillée vous pourrez jeter un œil sur le jardinier penché sur la taille de vos rosiers... ou peut-être alors que vous vous écraserez le nez sur celui de vos petits enfants qui jouent avec la gueule du chien pour se la mettre dedans et se faire peur, en criant: - Coucou Mamie... coucou Mamie chérie, on s'amuse bien avec Happy... on lui tourne la queue pour l'envoyer le plus loin en l'air... et toi Mamie ?

- Excusez-moi...

- Vous voyez... avec tout cet espace, vous allez quand même avoir un putain de panorama sur toute cette vue de merde !... alors qu'avant ç'aurait été comment dire... pas possible et plus chiant... avec toutes ces cloisons et toutes ces portes à la con... il aurait fallu que vous ouvriez celle de la cuisine, puis que vous la refermâtes pour pas que le courant d'air ne claque celles du salon et de la salle à manger, que vous poussiez le tapis du chien et la chaise du milieu, que vous tirassiez la belle-mère de derrière le rideau de la vieille fenêtre en bois pour enfin pouvoir regarder dehors... Et voir quoi, hein ? Que le chien ils l'ont noyé dans la piscine avec le nonosse... et que le jardinier il s'est tapé la rose de la bonne en fumant une Marlboro derrière les thuyas !

- Excusez-moi...

- Là, ce que je vous propose, c'est plus pareil ! Là, vous allez être dans le direct, dans le vrai de la vie... dans le live... Vous allez avoir une vision GLOBALE, vous allez pouvoir d'un coup d'œil surveiller et intervenir tout de suite sur toutes les situations... vous allez gérer par vous même tout le business ! Vous allez être l'acteur de votre propre vie... tout en gardant les deux pieds dans votre château et bien sur la terre... on est d'accord ?

- Excusez-moi...

- Oui... quoi ?

- On voulait vous dire qu'on avait réfléchi et sans vous faire du mal, qu'on prenait plus le bien !

- Ben là alors vous... vu que je vous ai déjà tombé les cloisons et déplacé la belle-mère de la fenêtre pour plus qu'elle puisse  vous emmerder derrière les rideaux, enterré le chien et supprimé les mômes par aspiration dans le puits Canadien, déduit les frais de copropriété sur la maintenance du parc en tirant avec une balle en mousse sur le goudronneux et sa Bécassine...  vous auriez voulu quoi de plus ? Une remise  au fond de la cour pour les râteaux ? Derrière la baie vitrée, vous auriez préféré une vue sur le Connemara avec en fond un poster de Michel Sardou ? Vous, vous vous les sentez parfois les doigts ?