Le grenier de mémé

tantdebelleshistoires

C'est le jour du déménagement, la petite fille raconte ses derniers jeux dans le grenier de sa mémé.

Ce matin, j'ai entendu papa dire que la maison était vendue et qu'il  fallait la débarrasser et la nettoyer au plus vite.

 Maman et tata sont toutes tristes. Depuis que mémé est entrée à la maison de retraite, je les vois souvent pleurer ou se disputer.

Il parait que mémé a un peu perdu sa tête mais qu'il ne faut pas le dire, c'est secret !

Moi, je suis tout excitée de retourner dans la grande maison que j'aime tant. Nous allons y retrouver la famille et tout déménager. On va bien s'amuser avec mon frère et ma cousine.

La grande bâtisse n'a pas bougé, elle est tout aussi charmante que dans mon souvenir avec son lierre tout rouge et son banc de pierre.

Elle ressemble au vieux manoir de mon livre d'histoires.

Que d'aventures extraordinaires ai-je vécu dans les allées étroites ou sous le gros noisetier !

Véro, rend toi utile me dit ma mère me faisant sursauter.

Et tout à coup chacun s'active pour remplir des cartons, jeter des vieux papiers et compter des assiettes ébréchées.

J'entraine Olivier et Isabelle dans une course effrénée au milieu de la salle à manger.  Coiffée du vieux chapeau de pépé, je tourne autour de la table encombrée ; à  mes trousses mon petit frère qui brandit un chausse pieds à long manche tandis que ma cousine Isabelle chevauche un manche à balai.

Ça suffit les gosses clame mon père en colère Montez jouer au grenier.  

C'est ainsi que peu après, nous nous retrouvons dans l'escalier  raide, aux marches inégales et branlantes.

De là-haut, les bruits de la maison nous parviennent étouffés et c'est à pas de loup que nous  pénétrons dans le noir et la poussière.

Le grenier est une  succession de salles au parquet brut et aux poutres massives.

Il fait tellement sombre que s'en est effrayant, nous avons perdu tout entrain.

Ça sent l'antimite là-dedans et dans un coin gît un squelette de souris, beurk !    

C'est la première fois que nous y venons sans mémé et aucun de nous trois n'en mène large.

Isabelle pousse un cri, ses longs cheveux bouclés viennent de  se prendre dans une toile d'araignée.

Je repère le bouton de porcelaine et lorsque la lumière jaillit, les lieux  reprennent un air plus familier.

Dans la grande pièce centrale il y a des fils à linge,  une grande armoire en chêne, des caisses en bois, des meubles cassés, des outils de jardin et tout un bric-à-brac oublié.

Y'en a des antiquités ricane Isabelle, toute fière de ce mot savant.

J'ouvre précautionneusement une caisse tandis qu'Isabelle, toute peur effacée,  virevolte autour d'une vieille  coiffeuse au marbre fêlé.

Olivier vient de dénicher  des craies.

Je le rejoins d'un bond souple et lui arrache sa trouvaille pour tracer au sol une grande marelle avec le ciel, la terre et l'enfer.

Et nous voilà à cloche pied  sautant dans les cases géantes et faisant un boucan du diable qui nous vaut une nouvelle semonce.  

Je me précipite ensuite vers une nouvelle caisse que j'ouvre plus vivement. Elle est remplie de livres. Je farfouille un moment et je retrouve  tous les ouvrages de la comtesse de Ségur que j'aime lire et puis La case de l'oncle Tom, Tom Sawyer, Le tour du monde en 80 jours, La petite Fadette…   

La caisse suivante regorge de poupées et de leur trousseau. Il y a les vieilles poupées à tête de porcelaine de mémé et le baigneur au polo rayé rouge et blanc qui s'appelle Christophe.  Je le serre très fort contre moi et lui murmure quelques secrets avant de l'abandonner pour d'autres découvertes.

Isabelle promène la poupée Natacha dans une petite poussette et lui donne le biberon avec beaucoup de précaution.

Je viens d'ouvrir une autre boite et j'y ai trouvé des billes.

 O L I V I ER,  t'es où ?

 Mon petit frère surgit,  échevelé, de la pièce voisine.

Tu f'sais quoi ?

T'es d'la police ? me répond-il

Il vient de remarquer les billes et s'accroupit pour saisir une belle agate.

Tu fais une partie ? Lui dis-je. 

Bin oui répond-il  mais je prends le gros calot vert.

Dac, je prends le bleu.

Nous nous partageons les billes et entamons une partie de poursuite d'un bout à l'autre du grenier.

Isabelle quant à elle continue de bercer les poupées et vient de les installer dans un petit lit en fer. Fille unique, elle a l'habitude de jouer toute seule et se tient loin de nos chamailleries.

C'est chouette de jouer chez mémé murmure-t-elle aux poupées.

Olivier gagne rapidement toutes mes billes, il est trop bon à ce jeu-là.

Je prends subitement ma moue fâchée, j'joue plus ! lui dis-je en le quittant brusquement.

Olivier hausse les épaules en ramassant son butin.

La bouderie est de courte durée, la curiosité nous gagne de nouveau, Nous n'avons pas encore exploré l'armoire. Je tourne la clé et tire la porte qui grince à grand bruit. Sur les étagères des dizaines de boites à chaussures et des cagettes remplies de trésors. Tous les jeux de société ont été remisés ici, le 7 familles, le jeu de l'oie, le damier, le micado, le nain jaune…

Olivier tire l'autre porte et trouve son garage et ses voitures, son établi et ma marchande.

Accrochés dans la penderie de vieux habits, des sacs à mains et des chapeaux que mémé gardait pour jouer à se déguiser.

On dirait qu'on serait des princesses et toi un chevalier. Nous nous entortillons dans des rideaux mités, merveilleuses robes de cour qui marque notre rang royal.

Chevalier Olivier, il faut sauver la France ! ordonne Isabelle.

Tagada, tagada, tagada Olivier parade sur son cheval imaginaire…

La nuit est tombée, le lampadaire de la rue projette son halo jaunâtre au travers de la lucarne œil de bœuf. Il va falloir revenir dans le monde des grands.

On pourrait descendre dans le garage, chercher les trottinettes. On pourrait tracer des maisons dans la cour et jouer au papa et à la maman ou à Zorro, ou à l'école, ou à Tarzan... Je ne taris plus d'idées pour faire encore durer ce moment.

Les enfants, nous allons partir. L'appel de ma mère met fin à nos jeux. Nous descendons l'escalier sans enthousiasme.

En trois heures de temps, la maison est devenue méconnaissable.

Les meubles sont démontés, des piles d'objets s'entassent un peu partout et dans l'air ne flotte plus l'odeur du biscuit de Savoie et de la confiture de framboises.

Et soudain je comprends que c'était la dernière fois que je jouais dans la maison de ma grand-mère.

Alors je me mets à pleurer et papa me traite de bébé.

C'est un peu de mon enfance qui aujourd'hui s'est envolée. Mais je sais que pour toujours, tout au fond de mon cœur,  je garderai le grenier et les câlins de ma mémé.

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