Le Jaky

elyde

Doté de la panoplie intégrale qui nous permet de le classer chez les loosers, les beaufs… Il est l’incarnation vivante de Robert Bidochon.


    On connaît tous dans notre entourage un homme répondant au doux stéréotype du “Jaky” (prononciation anglaise, s'il vous plaît). Là, parmi nos oncles, frères, connaissances ou voisins, cet individu est sans artifices, directement issu de la caverne et nous réconciliant avec le mythe du prince charmant. Doté de la panoplie intégrale qui nous permet de le classer chez les loosers, les beaufs… Il est l'incarnation vivante de Robert Bidochon. Dans son univers rempli d'objets cultes et indispensables à sa propre définition, il s'installe dans votre vie comme une étiquette dont vous n'arrivez pas à arracher correctement le papier. Mais qui est ce bouffon ?


En mannequin des temps modernes, Jaky porte les cheveux longs sur la nuque comme personne, enfin surtout comme MacGuyver, avec un blond platine qui décoiffe ! Une boucle d'oreille très virile et une chaîne à grosses mailles argentée, achetée à crédit, ont un charme ravageur sur Karine, sa femme “forever”. Inscription qu'il a pris soin de faire tatouer sur son biceps, entrelacée de roses avec pour fond un cœur. Gonflé aux relents anisées du Ricard, il met son corps en valeur dans un débardeur saillant, offert par ses rejetons à la fête des pères, et dans un jean bleu élimé aux poches par le portefeuille de bikers tenu en laisse par une chaînette. Les pieds en surchauffent dans des santiags en peau de serpent directement importées des States. Jaky déambule dans nos rues à bord d'un bolide spécialement bricolé par ne pas passer inaperçu.


Il pilote une superbe Renault 19 Chamade Tuning, avec spoiler et des flammes jaunes qui ressortent sur le rouge vif de la carrosserie. Le pot d'échappement chromé fait vrombir la caisse sans pour autant la faire avancer. Un autocollant délavé de supporter du Paris-Saint-Germain barre la vue de la lunette arrière de super R-19. Un arbre magique au parfum lavande bringuebale autour du rétroviseur et sur les fauteuils avants, on trouve des protèges en perles de bois. Vraiment, il ne manque plus que la moumoute sur le volant et le cliché serait à son paroxysme. Non, Jaky n'est pas celui-là, il a quand même du style (prononciation anglaise là aussi). Dans sa boîte à gants, il entasse les compil' de Johnny Hallyday, son idole de toujours, et chante à tue-tête “quoi ma gueule, qu'est-ce qu'elle a ma gueule ?”.

Il a aussi un couteau de trappeur rangé dans un magnifique étui en skaï sculpté, acheté sur le marché pendant les vacances d'été à Pyla-sur-mer. Sur le tableau de bord, il a collé un dispositif, commandé sur Auto-magazine, lui permettant de poser ses lunettes de soleil aux verres bleutés anti-reflets de chez Alain Prost. Son porte-clés arbore un ballon de foot en mousse et un mousqueton attache le trousseau au passant de son pantalon. C'est au bruit qu'il génère, lui et sa marmaille braillante qu'il faut redouter du pire.


Père de deux enfants, Kevin et Kimberley font sa fierté. Avec sa femme Karine, ils se connaissent depuis le collège où ils ont découvert ensemble les premiers émois amoureux. Les baisers trop baveux, les capotes qui craquent et les règles qui ne viennent pas ! Depuis, ils crèchent dans la banlieue ouvrière d'Orléans où le berger allemand “Zlatan” a ravagé le petit jardin bucolique. Du lundi au vendredi, Jaky part travailler aux services techniques de la commune où ils se retrouvent entre Jaky, où ils parlent dans un dialecte de Jaky, avec des références de Jaky. Choses incompréhensibles pour le reste du monde. Il s'agit là d'une société dans la société, un groupe ethnique à part entière. “Pelles, râteaux c'est la chanson des municipaux” scandent-ils fièrement comme une ode à leur condition. Des véritables Etienne Lantier dans l'âme, ils ne plaisantent pas avec les valeurs. Syndiqué depuis toujours, Jaky est un homme fiable sur lequel on peut compter lors des revendications multiples et variées. Toujours armé du chasuble fluo qu'il dégaine au moindre conflit et des mêmes pancartes rangées dans le coffre de la Renault, il a déjà vu passer un nombre incalculable de conseils municipaux. Il s'occupe comme personne de la logistique des grèves. Bières, saucisses et gobelets, il est le popotier incontesté de ses congénères.


A l'été, il emmène sa tribu en vacances à la dune du Pyla. Il trimballe la vieille caravane héritée de son père et ils s'installent dans le camping de la ville où ils ont leurs habitudes et leurs vieux amis de toujours. Avec Dédé et Nanard, ils s'affrontent en parties de pétanques endiablées jusqu'à pas d'heure. Le perdant offre naturellement l'apéro! Entre cacahuètes et chips, ils sirotent leurs pastis flamby. La truffe rougeoyante par l'alcool ou le soleil, ils s'affrontent dans une battle d'interprétations musicales à la soirée karaoké du camping ! L'honneur de la famille est en jeu et notre Jaky récolte un franc succès en jouant au gros dur sur “les portes du pénitencier” de Jojo. Sous les applaudissements, il adresse un baiser imaginaire à sa Karine d'amour qui remue sur place telle une groupie en trans', en lui murmurant les yeux mi-clos : “pour toi, bébé”.


Attablés au Mac'Do du coin, la petite famille envoie une carte postale à mamie restée à l'hospice d'Orléans dans laquelle ils signent avec ingéniosité, “les 4 K”, Karine, Kimberley, Kevin et Jaki (in english please). Sans aucun doute des cas uniques !


Le propre du Jaky c'est qu'il n'a pas vraiment de style à lui, il est un savant mélange entre tout ce qu'il y a de plus kitch chez les uns et les autres, créant ainsi son genre unique. Le manifeste du pauvre type, résolu à transmettre ce gène à sa descendance. Il en existe de plusieurs sortes et comme une marque vous garantirait un produit régional, les Jakis ont leur spécificité en fonction de l'endroit où ils évoluent. Évidemment un Jaki du sud aura la collection de l'OM, les espadrilles et le bob vissé au crâne !

  • J'ai une certaine sympathie pour lui. Pourquoi "pauvre type" ? Il a peut-être trouvé le secret du bonheur ?

    · Il y a presque 9 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

    • Oui sans doute il a sa formule du bonheur, mais vu à travers les yeux du narrateur il incarne le pauvre type, personne n'a dit que le narrateur était un type bien, qui avait de la compassion pour ses semblables !

      · Il y a presque 9 ans ·
      Dsc 0144

      elyde

    • Exact ! Et, ce n'est pas une critique de ton texte, qui est très bien. La preuve : il m'a fait réagir et j'ai eu envie de défendre ce pauvre Jaky.

      · Il y a presque 9 ans ·
      Couv2

      veroniquethery

    • Non je sais bien, mais je me suis longuement posée la question pour savoir si je laissais le pauvre type ou non ? mais en fait, justifié ou non, je voulais être honnête et faire passer pour une commère le narrateur! C'est avec plaisir que j'aime lire des annotations sur un de mes textes, au contraire cela permet d'avoir la vision des choses. On l'aime bien le Jaky, on sait tous qu'en vacances c'est le voisin de camping idéal, mortellement drôle!

      · Il y a presque 9 ans ·
      Dsc 0144

      elyde

  • Y manque rien au Jaky ! Et encore selon les régions où il sévit, son accent renforce ce cliché humoristique.

    · Il y a presque 9 ans ·
    479860267

    erge

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