"Le je ne sais quoi" appliqué à Carla Bruni
blanche-dubois
Pour être penseur, balancer une idée, comme çà, dans le vide ne suffit pas. Nous le dédirons aux publicitaires. Une idée cela s'explicite, cela s'étaye en concept. Le concept se démontre, se développe etc., et prend exemple sur des cas concrets. (Dans la démarche, la philosophie est proche des maths. Sœurs jumelles. C'est pour cela qu'elle vous fait mal à la tête. C'est compréhensible, moi aussi parfois je ressens cela). Ainsi, Vladimir Jankelevitch a développé le concept de Je ne sais quoi presque rien à partir de mots-clefs. Sorte de petit manuel pour les nuls ? Euh non pas vraiment.
Mais venons à Carla Bruni en 2008. Carla est allongée sur le canapé de son grand salon de 250 m2 situé au dernier étage de son hôtel particulier. Elle a le regard rivé au plafond. Elle reste pas mal de temps comme çà. Comme moi, elle est neuro-droitière et a besoin de longues plages de vide autour d'elle. Les neuro-droitiers sont vus à tort comme de grosses feignasses. J'sais pas quoi faire qu'est ce que je peux faire ? Comme le susurre le groupe Téléphone où officiait son ex, Louis Bertignac qui l'a aidée à pousser la chansonnette.
Raphaël a fait ses valises et s'en est allé un peu malheureux d'avoir perdu autant de place dans le cœur de sa bien-aimée et de son logement parisien. C'est fou ce que le fric d'une femme la rend libre. Libre de larguer ses mecs, vivre ses petites histoires, qui alimenteront les éternelles petites histoires que l'on retrouvera dans l'éternelle presse people et qui rendra la française lambda jalouse. Des presques rien qui gloseront sur du je ne sais quoi. Moi, mes petites histoires alimenteront les ragots des commères du quartier. Carla a-t-elle versé une pension alimentaire à Raphaël, le penseur ? Non, heureusement, elle n'a pas fait comme Madonna : se marier avec Guy Ritchie, souvenez vous, le réalisateur raté, qui avait saisi la bonne opportunité. Mais le revers de la médaille est que le je ne sais quoi presque rien se fait ressentir à la longue. Dans le Je ne sais quoi c'est une conviction qui survient. Presque rien souligne que quelque chose manque.
Elle est allongée et son cerveau turbine : c'est cela la pénible vérité du neuro-droitier. Elle prend les données des derniers jours : les séances chez le psy, les possibles thèmes de son prochain album qu'elle a esquissé dans son studio privé, les coups de fil des copines, le déjeuner surprise avec Karl, le shopping chez Vuitton, les emails, SMS reçus, envoyés. Oui. Cela fait beaucoup de choses. Elle mélange tout et attend que cela décante, très intuitive.
Elle refait une mise au point sur un email reçu avant hier.
Salut ma belle,
Arrête de faire la gueule. Parait qu'avec Raphaël c'est fini ? Allez viens on va se faire une soirée see, sex and fun avec un invité surprise. Non, ce n'est pas Frédéric B. T'inquiète. Tu vas bien te marrer, toi qui t'ennuies tellement. C'est ce samedi, allez viens ! ;-)
Allez Ciao bella.
Jacques
NB: Je précise que Jacques est ce célèbre publicitaire, ce genre d'artiste raté qui contribue à rendre les cerveaux humains disponibles pour Coca Cola avec l'aide de la TF1 D'ailleurs, j'ai toujours trouvé que Séguela et Berlusconi auraient pu naitre de la même mère.
Monia, la gouvernante lui emmène les dernières revues sur un grand plateau en argent massif : des magazines people de la semaine, Vogue, Libé et le Monde, et là, son cerveau s'arrête. Pas son cœur, son cerveau je vous le précise. Affalée dans son canapé, Carla attrape le dernier Paris match de la semaine : Nicolas et Cécilia : c'est fini ! Une petite conscience s'éveille dans le cerveau de Carla. C'est Vladimir qui lui parle.
Vladimir : Le courage est l'épuisante réaction de l'homme qui se reprend et refuse de somnoler, le sursaut par lequel nous luttons sans trêve contre l'engourdissement irrésistible et contre le ronronnement de la continuation.
Carla se lève
- Carla : oui c'est l'heure d'un nouveau départ ! Il est temps que j'agisse !
- Vladimir : Le « presque » se rapporte à l'unique exception qui empêche à notre savoir d'être complet, à la seule unité qui nous manque encore pour compléter la collection. Une allusion à celui qui nous faut pour avoir bouclé la boucle.
- Carla : Oui, Vladimir, tu as deviné ! Je suis une collectionneuse d'hommes et comme tout collectionneur je m'angoisse face à l'objet manquant. Et puis, j'ai presque tout donc il ne me manque presque rien ! Oui, ce presque rien, c'est…Nicolas ! Je sais, je sens que cet infini qui nous sépare est un rien par rapport au je ne sais quoi qui pourrait nous réunir. Je ne sais pas…Mais je ne dis pas qu'il y aura quelque chose, peut-être qu'il n'y aura rien du tout ! Mais c'est cette urgence qui me dit que ma reconnaissance, mon ultime reconnaissance passe par ce rien du tout. Car le temps a passé, ce déjà plus. Il ne me reste pas grand chose pour que tout soit fini, à 40 ans. Alors, encore un élan pour accéder à ce tout. Un élan, un petit rien qui fera tout pour avoir ce futur. Ce pas encore. Et entre les deux, presque rien. Il manque peu de chose en somme.
- Vladimir : L'être passe d'être en être continuellement, l'être statique n'étant à chaque moment qu'une coupe instantanée dans ce transfert. L'être devient un autre être pour peu qu'il y mette du temps. Ainsi l'on peut dire : je sais ce que je ne sais pas et j'ignore ce que je pressens, je sais avant de savoir (…) je sais sans savoir quoi ! Devenir, c'est être en n'étant pas.
- Carla : Tu as raison Vladimir, j'ai trop glandé ces derniers temps. J'en ai marre de passer pour une dilettante que son fric seul permet de briller aux yeux du public. Je sais ce qu'est mon être n'étant pas : une opportuniste ! Etre chanteuse n'était pas mon véritable être étant. C'était un hobby, une lubie.
- Carla : Je ne deviendrai jamais Madonna ! Même en étant Madonna, je ne pourrai pas faire ce qu'elle fait, des albums de plus en plus mauvais en montrant des fesses de plus en plus musclées. Trop vulgaire ! Elle est américaine, moi européenne. Je mérite mieux pour ma postérité et ma reconnaissance. On ne vit qu'une fois. Vite, vite ! J'irai voir Séguéla, ce gros dégueulasse, quand même.
- Vladimir : Le je ne sais quoi n'est pas la chose manquante, mais le charme qui habille la totalité et en fait un tout.
- Carla : Oui ce sera pour demain soir. Je le sais, je le sens. Je sens que je vais être métamorphosée. Là, je ne le suis pas mais il y a presque rien pour que je le sois ! Oui Vladimir, je ne sais pas en quoi mais à la rigueur on s'en fiche ! Là, je me suis posée un peu dans mon existence de gosse de riches mais ma vraie existence s'accomplira dans l'accomplissement total. Le temps presse.
- Vladimir : Le temps n'est pas une chose mais un presque rien. L'écart, à force de s'allonger, sera peut être un jour pérennisé par l'oubli. L'instant est, dans une vie brève, l'occasion brévissime et cette flagrante occasion suppose que les deux amants n'arrivent ni trop tôt ni trop tard : car il s'en faut d'une minute, d'un presque rien pour qu'ils se manquent à jamais.
-Carla : Donc il faut que je me grouille ! Zut ! Où est-ce que j'ai mis mon Mac book ? Je dois répondre à Séguéla ! L'invité surprise je pense que c'est Nicolas. Je le sais même si je suis dans la méconnaissance. J'en ai l'intuition !
- Vladimir : Pour un instant favorable qui est celui de la juste visée, il y en a une infinité d'autres qui forment l'océan indéterminé du retard et des occasions manquées.
- Carla : Non, non … Cette fois-ci, c'est un bon plan. Fini les artistes et autres rigolos, j'en ai ma claque .
- Vladimir : Il s'en faut d'une minute, d'un presque rien pour qu'ils se manquent à jamais .
- Carla : Ah ce con de Séguéla, il s'est mis en réponse automatique sur sa boite email !
- Vladimir : Hélas ! La durée de notre vie est limitée et les possibles que l'avenir garde pour nous en réserve ne sont pas inépuisables. Le temps presse, et le mal d'une dissociation séparant mérite et récompense, démérite et punition ou bien séparant l'apparition du génie et la reconnaissance, s'aggrave jour après jour d'un retard qui risque à la longue de ne pouvoir être rattrapé ; L'écart à force de s'allonger sera peut être un jour pérennisé par l'oubli.
- Carla : La ferme ! Ça me déconcentre ! Mince j'ai perdu tous les codes d'accès de son triplex du 7eme. Comment vais-je faire ? Je suis à un doigt de mon futur destin ! J'ai la possibilité de me recaser comme Première dame de France ! Moi l'italienne partie de son pays natal à cause de ces fachos de gauche. Quelle belle revanche !
- Vladimir : Reconnaître, c'est apprendre ce que l'on savait déjà mais l'inverse arrive aussi : on peut reconnaître ce que d'aucune manière on ne connaissait. Et loin que cette reconnaissance soit fausse, elle est au contraire plus vraie que la vraie.
- Carla : Oui je savais que j'étais intérieurement presque de droite tout en m'étant fait passer pour une artiste de gauche. Cela ne me gène pas de retourner ma veste. J'ai vécu dans de tels simulacres depuis mon enfance que cela ne me gène pas sincèrement. Cela me trouble juste une fois de plus. Vrai-faux père, vrai père, tous se revendiquant comme vrai. Alors oui, je suis une vraie-fausse femme de gauche, tout en étant une femme de gauche vraiment fausse !
Bon je ne vais pas m'éterniser vous connaissez la suite…
Carla a bien réussi au final. Ils se sont bien trouvés les deux tourtereaux chez Jacques. Elle ne restera pas dans l'histoire de la chanson, certes, mais dans l'Histoire tout court oui… Même si j'aurai honte de raconter cela à mes petits-enfants. Vladimir dit : L'apparence hypertrophiée éclipse la vérité.
Marilyn Monroe, après ses 35 ans révolus, cherchait un moyen par-dessus tout pour se recaser. Elle enrageait que le Prince Rainier ne l'ait pas choisie comme possible future princesse avec qui se marier dans le catalogue des actrices américaines à recaser (car trop vieilles pour Hollywood). On lui a fait savoir qu'elle avait une image moins « propre » que Grace, c'est à dire "trop sexuelle" (véridique). Quelle humiliation! Tant mieux toutefois, Marilyn est passée à une vraie postérité et elle a évité le mauvais biopic de Dahan. Quelle humiliation supplémentaire cela aurait été pour elle ! A quand le biopic sur Carla ?
Que dit Jankélévitch pour conclure sur cette angoisse existentielle ? Pour s'accomplir il suffit d'avoir conscience d'un presque rien, d'un je ne sais quoi. Car on ne devient pas soi-même, encore faut-il le vouloir.
Commencez donc par la fin ! Commencez, et, du même coup, terminez ! Commencez par vous décidez, ou mieux : veuillez vouloir. Après cela tout est dit, et ce qui s'ensuit appartient à l'histoire anecdotique. (…) Pour vouloir il n'est pas nécessaire d'être un athlète, il ne faut que Le vouloir. Mais il faut le vouloir.
Fin
Excellent. (Je ne m'attendais pas à lire un truc pareil ce soir)
· Il y a plus de 9 ans ·ellis