Le mérite agricole

Au lycée agricole, la caille se faisait rare. Quand Joëlle arriva en première, elle rejoignit les douze mâles sur un total de treize élèves qui composaient le classe de D'.

L'intelligence de Joëlle était à l'opposé de son physique. Elle avait un corps de ferme, contrairement aux façades bourgeoises du lycée Banville que je n'avais pas le plaisir de côtoyer.

Elle était très intelligente ; elle avait deux ans d'avance. Mais son QI m'importait peu, sauf quand je faisais appel à ses services pour un devoir de maths. Si je l'aidais pour les compositions de français, je me faisais surtout un plaisir à l'initier à des occupations plus terre-à-terre, telle une marquise de Merteuil prenant sous son aile Cécile de Volanges.

A dix-sept ans, j'étais incapable de contrôler mes excès hormonaux. Qu'importe le flacon, la Jojo me servait de champ d'expérimentations.

Nous étions souvent l'un à côté de l'autre en cours. Rapidement, elle se prit au jeu des billets que nous échangions J'attendais avec une impatience non feinte et très concrète ses réponses que j'exigeais précises. Je découvrais vite qu'elle était une fausse candide et que je titillais sa curiosité scientifique.

Chaque lundi, je la débriefais sur les devoirs que je lui avais demandé de préparer durant le week-end et je dressais une liste très exhaustive pour occuper notre semaine.

Mes camarades n'étaient pas dupes et bien que moins urbains que moi, ils compensaient par un physique sculpté lors de leurs travaux culturaux. Je ne pouvais pas lutter. Le handicap était d'autant plus important que mon statut de demi-pensionnaire ne me permettait pas de contrôler ce qui se passait une fois que le bus me récupérait pour me conduire sur Moulins.

Un matin, elle m'avoua : elle avait offert sa virginité à François, un blondinet avec un faux air de Depardieu et un humour que n'aurait pas renié Fernand Reynaud. Le tout, sur une couverture jetée à même le sol dans la chaufferie. Je me disais qu'ils s'en étaient accommodés, habitués depuis leur plus tendre enfance à regarder les ébats entre veaux, vaches et cochons.

Je ne comprenais pas pourquoi, d'autant plus que les prétendants se firent rapidement nombreux et en étaient réduits à patienter sur une liste d'attente, elle se refusait à moi. C'est tout à mon honneur qu'elle finit par se confier : je l'intimidais avec ma personnalité. Certes, je dénotais de mes condisciples mais dans le cas présent je n'en demandais pas tant.

J'étais donc réduit pour le reste de l'année scolaire à coller mentalement son visage sur les Penthouse, histoire de rendre les charmes de ces demoiselles plus proches de mes préoccupations quotidiennes.

Le dernier jour de cours, alors qu'après les épreuves du bac de français je devais rejoindre mes parents dans le Nord, elle me demanda de la suivre. Même si la compensation ne fut pas à la hauteur de mes espérances, je dois reconnaître qu'au moins elle n'était pas ingrate.

Il y a quelques années, mon jumeau m'a avoué dans une de ses très rares confidences, aidée par l'alcoolisation d'une soirée, qu'il avait eu également droit aux honneurs de la belle des champs.