Le monstre (Chapitre 2)

Léo Noël

Baron vit le reste de sa vie s’anéantir. Il fut d’abord heureux de posséder une si belle femme, et souvent, on le félicitait. Il recevait, enfin, une reconnaissance notable, car sa compagne était réellement admirable. Seulement Mérédith n’aimait pas Baron. Elle avait découvert de quoi était morte sa mère. Une idiotie. Une bouteille d’alcool de mûre, que sa mère mélangeait avec de l’eau et du jus de citron. Elle prenait ce sirop tous les soirs, et appelait cela sa "potion des miracles". Le mélange était posé au dessus des toilettes, sur les étagères avec les produits d’entretien. Une autre bouteille, d’essence de térébenthine, était percée, et chaque jour, une goutte venait plonger dans la potion. Sa mère était morte ainsi, petit à petit, et rien n’aurait pu y être fait. Lorsque Baron l’avait laissé assister à la mort de sa mère, Mérédith s’était juré de lui faire subir le même sort. Il fallait qu’il souffre de la même manière, qu’il crie comme sa mère avait crié, et pour cela, elle devait être à ses cotés. Tous les jours.

Mérédith était vite tombée enceinte. Baron était pressé d’avoir des enfants, car sa vie commençait à lui échapper, et qu’il voyait, en la création d’un enfant, une façon de recommencer. Baron n’avait, bien évidemment, pas compris qu’il avait agi de la meilleure manière pour s’enchainer définitivement à celle qui cherchait à le tuer. Mérédith feignit une grossesse des plus douloureuses, des plus irrationnelles, des plus insupportables. Baron acceptait tout pour ne pas retrouver sa solitude. Les habitants, d’abord heureux de trouver leur médecin épanoui, ne le virent plus du tout. Baron refusait les consultations, refusait les soins, était devenu avare, détestait les gens. C’est après la naissance de Paul que Mérédith commença le long périple du meurtre à petit feu. Baron prenait tous les jours des sirops qui remplaçaient le sucre, contre son diabète. Mérédith empoisonnait chaque bouteille avec une goutte d’essence de térébenthine.

Paul nourrit très vite une grande admiration pour son père, et chose relativement singulière, Paul se montrait d’une intelligence largement supérieure à celle des enfants de son âge. Dès ses 5 ans, Paul venait assister aux consultations de son père. Il lui fallut moins de trois années pour pouvoir diagnostiquer lui-même la plupart des patients. La complicité entre Paul et son père venait de la maladie de Baron, un étrange affect qui jaunissait son teint et qui lui détruisait la santé, tout doucement. Paul voulait comprendre la médecine, et pouvoir apporter à son père, le soulagement qu’il méritait.

Paul ne comprenait pas l’intérêt que son père pouvait porter à sa mère. Il lui semblait qu’elle était une femme frêle et capricieuse, qu’elle ne savait rien. Il voyait que son père était encore plus faible qu’elle, mais seulement en sa présence. Il ne supportait pas de la voir assise dans sa chaise, droite et tendue, dans l’attente de voir rentrer son mari, et de l’accueillir avec ses médicaments. Paul fut vite persuadé que l’état physique d'un homme était lié à son état psychologique, mais d’une manière moins scientifique que ce qu’il avait appris auprès de son père. On ne pouvait que théoriser à ce sujet. Il était pourtant clair que sa mère, d’une certaine manière, dévorait son père. Il la détestait pour cela.

Mérédith n’était pas aussi bête qu’on aurait pu le croire. Chaque fois qu’elle avait senti que Baron pourrait lui échapper, elle avait agi. Elle écartait tous ceux qui devenait ses amis en dévoilant les pires cotés de Baron. Elle était même allée jusqu’à se proclamer violée par son mari, pour éloigner un ami qui devenait trop présent dans la vie de Baron. Elle s’était réfugiée dans les bras de cet ami, et, donnant de son corps, elle avait réussi à séparer les deux hommes, et créer entre eux, le silence de la haine. L’amour qui se dessinait entre Baron et Paul la rendait folle furieuse. Elle se surprenait à accélérer le processus de la mort de Baron en ajoutant plusieurs goutte à la dose habituelle, oubliant sa volonté primaire de le faire souffrir le plus longtemps possible. Ce qu’elle fit pour éloigner Paul de son père est aussi monstrueux que vous pouvez l’imaginer. Elle créa une intimité forcée avec son fils, le type d’intimité dont on ne peux pas parler, dont on ne peux pas se plaindre, et qu’on ne peux pas comprendre. Elle était la grande personne, et dans la tête de Paul, tout était confus au sujet de sa mère. Bientôt, ce fut une habitude. Paul devenait violent avec les gens de son âge.

Votre mère, Elena, qui avait le même âge que Paul et fréquentait la même école, fut la première à le rencontrer. D'abord amis, elle s’était retrouvée enfermée dans un vieux four à pain et Paul avait tranquillement allumé le foyer. Paul l’avait insulté, l’avait frappé, l’avait touchée à plusieurs reprise, puis l’avait enfermée. Paul l’avait laissé prendre peur jusqu’à ce qu’elle le supplie, puis il l’avait sortie de là. Elle avait du se montrer reconnaissante ensuite.

Après cet épisode, la famille de Baron était définitivement bannie de toutes les discussions, et plus personne ne voulait avoir le moindre lien avec eux. Mérédith en était parfaitement heureuse. Paul ne pouvait plus aller dans aucune école, et il apprenait la médecine auprès de son père. L’état de Baron s’aggravait de jour en jour, ses maux de crânes étaient ahurissants. Paul paniquait à l’idée de perdre son père, qui représentait la seule chose qu’il n’aura jamais aimé. Paul se ruait dans les livres et les avalait les uns après les autres. Il faisait des tests réguliers à son père, dans l’espoir de trouver un moyen, une cure. Lorsque Baron mourut, Paul avait trouvé la cause, mais pas le traitement. L’empoisonnement avait été si insidieux : si long, qu’il n’y avait rien que l’on aurait pu faire pour le sauver.

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