Le monument aux morts

tantdebelleshistoires

Augustine a perdu son époux lors de la grande guerre et quelques années plus tard, elle est invitée à l'inauguration du monument aux morts...

Augustine décacheta le pli de l'administration avec les yeux brouillés.  

Que lui voulait donc encore cette République Française qui sept ans plus tôt l'avait laissé seule avec ses deux petits.

Madame,

C'est avec une émotion profonde que nous venons vous annoncer, pour que vous puissiez y assister, l'inauguration du monument aux morts que la commune a élevé à ses glorieux morts. Il aura lieu à 10 heures et demie, dimanche 8 août 1920, date que portera le drapeau spécialement acquis pour la circonstance.

La municipalité à qui ce pieux devoir est confié a voulu que la cérémonie fût impressionnante dans sa simplicité. Il en sera ainsi et le recueillement le plus absolu sera observé.

Vous aurez la place d'honneur.

Votre douleur est grande, nous la partageons.

Puisse la fière part que nous y prenons, être à votre peine une atténuation et vous encourager.

En vous renouvelant nos condoléances émues, nous vous saluons avec un profond respect.

Pour le conseil municipal

Le maire

Augustine se cacha dans la souillarde pour que les enfants ne voient pas ses larmes.

L'espace d'un instant, elle revit le bon sourire de Jean-Louis, elle sentit sa moustache brune caresser ses lèvres avides de baisers et ses mains qui enserraient sa taille fine.

Elle se boucha les oreilles, chiffonnant le courrier officiel. Cette lettre ranimait le feu des canons et les éclats d'obus éclataient dans son cœur serré sur le mort pour la France.

Elle vit le corps vigoureux de son aimé, démantelé, méconnaissable, enfoncé dans la terre éventrée. Il gisait là entre les squelettes des arbres désintégrés, sous les salves incessantes qui finissaient de l'enterrer.   

Elle étouffa ses cris d'horreur avec le torchon à vaisselle qu'elle tenait toujours dans ses mains tremblantes.

Que savait-il ce scribouillard de la mairie, de ses cauchemars, de son labeur pour survivre et élever ses enfants devenus pupilles de la nation ?

Que savait-il ce gratte-papier, de son époux, jeune lieutenant dévoué qui tomba au cœur d'un été qui ne parvenait plus à réchauffer sa dépouille abandonnée.

Cette lettre remuait le long fer à jamais fiché dans sa plaie béante de veuve. Ses larmes de sang se mêlaient à nouveau avec celui qui coulait dans les sillons de la terre Lorraine.

Elle revécut cette longue année sans nouvelles et ses démarches vaines pour le retrouver.  

Sa chair se tordait encore des affres de ses nuits blanches, la secouant d'interminables spasmes de désespoir qui laissaient son lit moite et ravagé.   

Mon Dieu, qu'elle avait espéré qu'il ne fut que blessé, inconscient, amnésique. Elle pria même pour qu'il fût amputé, aveugle, défiguré ….

Il était quelque part dans ses espoirs jusqu'à la missive funèbre qui la laissa pantelante et muette.

Il était mort depuis longtemps, depuis les premiers jours de la guerre.

Augustine, la belle épouse du lieutenant valeureux  troqua son corsage blanc pour une vilaine robe noire et quitta le village qui n'était pas le sien.

Bien loin de leur petite maison, toute joie à jamais disparue, elle poursuivit sans lui, sa vie de veuve et de mère pour les deux orphelins de ce papa glorieux.

Et voilà qu'aujourd'hui, on l'informait que le nom de Jean-Louis était inscrit sur le monument du souvenir, là-bas dans le village de leurs belles amours.

Elle imagina les lettres d'or se détachant sur le marbre gris, 1er nom de la longue liste, 1er mort de la commune.

Augustine ne pourrait pas prendre la place d'honneur que la commune lui réservait. Elle imagina pourtant le long cortège sombre et tous ces enfants sans père. Elle entendit les discours patriotes, les hommages rendus et les bénédictions du vieux curé.

Elle vit les étendards levés, les bouquets de bleuets et de coquelicots qui repoussaient au vent dans les terres dévastées.

Augustine, se ressaisit, Jean-Louis dont les os dispersés s'entassaient pêle-mêle dans la terre de l'est aurait afin son mausolée.  

Sur le buffet de la salle, trônait une photo qu'elle aimait tant, elle souligna de son index leur couple si bref tandis que ses yeux clairs cherchaient dans le jardin leurs deux enfants joyeux.

  • Merci beaucoup Daniel d'avoir lu et commenté.
    A bientôt

    · Il y a environ 7 ans ·
    Je t'aime (1)

    tantdebelleshistoires

  • Bouleversant ! ... Je ne sais que dire, si ce n'est que ce texte est un bien joli pied de nez à toutes ces reconnaissances posthumes mais gratuites, offertes par des hypocrites.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Gaston

    daniel-m

  • Merci à tous de vos si gentils commentaires.
    Cette histoire est celle de mes arrières grands-parents ou du moins les ressentis d'Augustine comme je les ai imaginés. La lettre elle est véridique.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Je t'aime (1)

    tantdebelleshistoires

  • Que de sang versé, tant de combats. Et encore ces fous qui risquent de déclencher la bombe d'un simple clic !
    Des textes si émouvants qu'ils me bouleversent, à chaque lecture. Amitiés.

    · Il y a environ 7 ans ·
    Version 4

    nilo

  • Tellement émouvant !
    Que de vies perdues, sacrifiées, à cause de la folie de quelques uns...

    · Il y a environ 7 ans ·
    Louve blanche

    Louve

  • Oui..; et tant de "monuments aux morts" dans le pays..."S'il faut donner son sang,
    Allez donner le vôtre,
    Vous êtes bon apôtre
    Monsieur le président.
    (Boris Vian)

    · Il y a environ 7 ans ·
    Autoportrait(small carr%c3%a9)

    Gabriel Meunier

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