Le pianiste

mysterieuse

Lorsque j’entrais dans le grand salon, je ne voyais que sa nuque, la largeur de ses épaules, sa taille plutôt fine, et son cul musclé et rond, posé avec force sur le tabouret. Et ses doigts …ses doigts courants sur les touches du piano, créatifs d’une musicalité dont lui seul avait le secret.

Cette sensibilité particulière m’avait fait l’effet d’une brulure lors d’une première rencontre impromptue chez des amis communs. Il avait marqué mon esprit sans le soupçonner un seul instant, au point que je n’avais résisté à ma curiosité féminine .Il fallait que je pose sur cette émotivité un prénom. Mon hôtesse et meilleure amie, peu avare de renseignements, avait eu tôt fait de me fournir, non seulement un prénom, mais tout un tas d’indications plus personnelles et forcément plus intimes. Ce délicieux garçon, quadra depuis trois ans, se prénommait Antoine. Antoine le musicien venait très récemment de vivre l’affreuse et douloureuse expérience d’une séparation mouvementée, violente aux dires de mon amie, dont les séquelles invisibles alimentaient de façon spectaculaire sa sensibilité artistique. Je m’abreuvais de son talent au rythme de son interprétation, sans qu'’une once d’érotisme vienne heurter ma solitude sentimentale, peu ou proue similaire à la sienne. Les séparations peuvent entrainer un isolement momentané, mais il n’est point dans mon tempérament de me laisser submerger par les remords ou les regrets. J’aime aller de l’avant, toujours, et passé le chagrin, si dévastateur soit-il, passé les larmes et les cris, je m’en remets au destin et à ses acteurs.

Ainsi, Antoine, était un digne représentant de la troupe théâtrale de la vie, et loin d’être un figurant ou interprète d’un second rôle, il avait, en cette soirée amicale, joué un rôle prépondérant à la restitution de ma bonne humeur congénitale.

Mon côté esthète avait eu tôt fait d’enrober sa silhouette, plutôt sculpturale, mais aussi rassurante dans son maintien altier mais pourtant pas orgueilleux. Un verre à la main, je portais mes pas jusqu’au plus proche du piano, me maintenais un instant dans le dos du musicien, avant d’opter pour une intrusion discrète à sa droite. Il levait sur moi un regard accueillant, tout en laissant courir ses phalanges agiles sur les touches ivoires du vieux Gaveau demi -queue. Un sourire de bienvenue dévoilant une dentition presque trop parfaite entre deux fossettes jumelles, Un rien de trop séduisant accrochait le même rictus épanoui à mes lèvres. Les présentations étaient faites, sans même avoir prononcé un seul mot. Seules les notes accompagnaient la découverte de deux êtres récemment malmenés par Cupidon et ses disciples. Je soupçonnais un instant que Christine ait anticipé notre rencontre tant elle semblait comblée par le tableau qui se dessinait sous ses yeux .Il faut dire qu’elle a un talent particulier à jouer les entremetteuses .Mais pour autant, je lui accordais le bénéfice du doute tant elle se tenait à une distance respectable de nous ! Et puis, son attitude toute en discrétion, peu habituelle, laissait entrevoir plus de l’étonnement que de l’entremise .C’est l’instant que je choisissais pour m’éloigner d’Antoine, mais soudainement retenue dans mon échappée belle, je stoppais net ma tentative d’évasion. D’une main ferme, Antoine avait saisi mon poignet avec plus de force qu'’il ne l’avait envisagé. Son autre main n’avait pas une seule seconde quitté le clavier, sa musique n’en souffrait même pas.

« Je m’appelle Antoine, restez donc près de moi, j’aime votre présence elle m’est émouvante et sensuelle ! Je ne vous drague pas, je veux juste que vous sachiez que vous dégagez une sensibilité rare, à fleur de peau …je me trompe ?

-On le dit en parlant de moi, mais seuls ceux qui me ressemblent peuvent le ressentir !

-Diriez-vous que nous nous ressemblons, diriez-vous …Êtes-vous musicienne ?

-Non pas !

-Actrice ?

-Pas plus !

-Artiste peintre ?

-Je dessine, mais sans plus !

-Cessez de me faire languir ! Vous êtes dans l’art c’est évident ! Cela se lit dans votre regard ! Ce vert reflète votre âme, vous créez c’est certain…je m’y perdrais !

-Allons, allons, là vous êtes en train de me faire la cours

-Faire la cours, cette expression me parait démodée…

-Désuète, surannée me semble plus musical !

-Musical, c’est cela, la musicalité ! Votre démarche est musicale, votre accent est musical, la manière dont vous vous exprimez est musicale.

-Vous écrivez, c’est cela vous êtes auteur, parolière peut être ?

-Si vous cherchez un parolier, vous avez tapé à la bonne porte

-Je ne cherchais rien, mais je vous ai trouvée »

Sa dernière parole aurait pu tomber en désuétude comme la mauvaise chute d’une blague amusante. J’aurais pu stopper là cette rencontre fortuite, en songeant qu'’il était homme, un de plus, avide de se griser aux charmes d’une brune …J’aurais pu, mais je ne l’ai pas fait. Le poivre et sel de sa chevelure bouclée, son regard aveugle derrière ses lunettes noires, son sourire de velours, l’odeur de sa peau, le blanc immaculé de sa tenue en lin …Je cherchais ce qui m’empêchait de tourner les talons et je trouvais la réponse, en une fraction de seconde dans l’intonation de son ultime phrase

« Restez donc près de moi s’il vous plait »

Sa voix …Point n’est besoin de protocole ou de décorum, quand on possède une telle voix tout vous ai permis. Une intelligence douce en émanait, en harmonie rare avec ce que j’aimais chez un homme. Dans une bulle intemporelle, je n’accordais plus de l’importance qu'’à la mélodie tant de ses mots que de sa musique, le temps que …la bulle éclate ! Il retirait ses lunettes, le vert de ses yeux me crucifiait, me torturer jusqu’au creux de mes reins !

Une envie folle de glisser mes doigts le long de sa nuque, de les perdre dans sa chevelure sauvage, une envie folle de lui dire cessez immédiatement, ou je ne réponds plus de moi me submergeait intensément.

Christine venait à ma rescousse, me tendant un verre et m’entrainant dans son sillage

« Viens que je te présente »

Antoine lâchait mon poignet puis me regardait m’éloigner avec regret.  

 [...] Il y aura peut être une suite 

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