Le plan cul platonique

dread

Il y a quelques jours, je me suis fait larguer par téléphone. Rien de bien grave, et, comme dans un James Bond, lorsque l’on me demande si je suis blessé, je réponds, laconique : « seulement à l’amour-propre ». Grande classe.

Ceci dit je n’ai pas beaucoup de mérite car tout s’est très bien terminé. Le lendemain du coup de téléphone, nous nous sommes retrouvés à la terrasse d’une brasserie bourge, où un serveur obséquieux donnait du monsieur-madame à tout va en oubliant plusieurs fois de nous servir une bière et un café – pas chers.

Parvenant à faire abstraction de ce nuisible et de nos voisins de table très attentifs à mes réactions suite à la déclaration de rupture, nous avons pu nous expliquer en toute intimité. Les raisons invoquées étaient l’absence d’alchimie et d’une vraie volonté, d’un côté comme de l’autre, de se compliquer la vie avec une relation stable.

Je me dois de préciser que ma cuite de fin de rupture ayant été célébrée la veille, j’étais serein et les multiples opportunités de nouvelles relations s’étalaient devant moi, brillantes et lumineuses comme les néons d’un bordel andalou. Prêt à repartir, en métro, vers de nouvelles et laborieuses conquêtes, je gérai tout cela en adulte et, prévoyant toujours en matière de filles, insinuai grossièrement qu’elle pouvait m’appeler si elle se sentait seule – on dirait que les gens souffrent pas mal de ça ces derniers temps, la solitude – en étant sûre de mon dévouement à son bien-être physique autant que moral.

Plan cul. Conscient que le sexe n’avait pas été aussi génial que nous l’espérions tous les deux, j’avais peu d’espoir, mais si les bouteilles à la mer ont rarement sauvé quelqu’un, elles n’ont en tout cas jamais tué personne.

J’obtins une réponse indistincte. Une clope, Fight Fire with Fire dans les oreilles, je marchai une, deux stations de métro, puis rentrai chez moi.

5 jours plus tard, 7h45, au lit depuis quatre heures, un sms de ma James Bond girl me réveille et à sa lecture j’apprends que je lui manque un peu. Elle ne s’est pas couchée, sort de boîte et après quelques messages de politesse, me demande si elle peut venir dormir chez moi. Of course honey, je réponds, carrément.

Elle arrive une demi-heure après, entre chez moi la tête baissée, se plaint du froid, enlève ses chaussures, saute encore habillée sur le matelas, remonte la couette et se roule un joint. Je ferme la porte puis m’installe à côté d’elle, dans mon lit. Elle raconte son week-end, je raconte mon week-end, nous bavardons, sans contact physique et dans une ambiance érotique digne d’un enterrement d’imam. Dans l’obscurité, on dirait qu’elle a les yeux entièrement noirs.

Alors que je finis mon pétard rallumé pour l’occasion et que le sien approche lui aussi de l’extinction, nous abordons le sujet de sa récente chute dans les escaliers de son boulot.

J’en ris, elle moins, prétend avoir encore mal partout, quand délicatement, repoussant ma couette avec la grâce douloureuse d’une biche mourante repoussant une couette, elle descend son pantalon, se penche un peu sur le côté et me dévoile son hématome au cul.

Ce geste, très clair dans le monde animal, est généralement suivi de hurlements, de morsures à la nuque, de coït brutal, puis d’une séparation satisfaite. Chez nous, seulement une fois sur deux.

Il fait de plus en plus jour et je peux maintenant voir clairement qu’elle s’est mise en position pour dormir. Messages contradictoires. Un truc des filles. Un truc de tout le monde en fait.

Je remarque un détail. De ses vêtements, seul le jean a été enlevé. Il me semble que l’unique raison de ne pas retirer son soutien-gorge pour dormir est d’indiquer à l’autre (moi) que c’est non. Le simple fait d’annoncer que le touchage de nichons est prohibé, implique que plus bas ce n’est même pas la peine d’y songer, permettant ainsi d’exhiber culottes et strings en toute confiance. N’étant  pas homme à m’arrêter sur des idées préconçues, je tente un rapprochement et un baiser dans le cou, faisant patrouiller mes doigts tel un petit soldat sur ses fesses. Comme réponse, elle m’arrête et chuchote qu’elle n’aurait pas dû venir. La retraite est sonnée mais le petit soldat meurt sur le coup.

Toujours gentleman quand on abuse de ma gentillesse, je la prends dans mes bras, la réchauffe puisque, habillée sous deux couettes, elle prétend avoir froid, et la regarde s’assoupir en quelques minutes.

Je sais déjà que je ne me rendormirai pas, et qu’il me reste au moins six heures à passer chez moi avec une ex qui dort, défoncée et réfractaire à toute relation sexuelle.

Deux possibilités : me lever pour ruminer ou ruminer en restant couché. Je choisis la première option, prépare beaucoup de café, noir, et passe les deux heures suivantes mal assis sur un tabouret dans ma cuisine, à lire les déboires d’Henry Miller avec sa femme Mona et l’amante de celle-ci. Réalisant que le thème des relations, sexuelles, amoureuses, amicales, ont tourmenté le bonhomme durant 80 ans et qu’il a écrit sur le sujet deux mille pages dont un tiers pornographique, ma petite histoire anodine de plan cul avorté me semble d’un coup bien légère.

Gardant en tête la difficile notion d’honnêteté indispensable à toute relation (naissante, établie ou terminée), je me recouchai apaisé à côté de mon amie, et m’endormis en quelques minutes.

Nous nous réveillons presque simultanément, à 16h. A 16h15,  je suis seul. Elle a eu le temps de s’excuser mille fois, d’affirmer que ça ne se reproduirait pas, qu’il ne fallait pas que je la déteste, ceci-cela, et peut-être qu’on se reverra samedi à la soirée.

Je n’ai presque pas dit un mot. Je lui dirai que je ne lui en veux pas la prochaine fois. 

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