Le Prof de Philo - De l’art d’émoustiller les jeunes filles en fleur autour du (méta)physique d’un vieux pédant qui médite.

celinero

Concours NEON - Les portraits de l'irrévérence

On a tous des traumatismes, des souvenirs du corps enseignant de nos années collège et lycée. Il y avait Mme Decourbet, la très stricte prof de physique-chimie qui vous bâchait si vous ne saviez pas vous servir d'un bécher ; M. Démon le bien nommé, qui traitait de blaireaux les élèves incapables de réaliser de belles analyses de fonctions ; et Mme Cherry, la prof d'anglais, qui appliquait scrupuleusement la règle du diviser pour mieux régner en laissant ses élèves choisir eux-mêmes le candidat à la prise de parole imposée dans une langue de Shakespeare balbutiante, au moyen du tristement célèbre “Choose a victim” qu'elle prononçait en se frottant les mains d'un petit air sadiquement satisfait. Les noms, les genres, les âges et les lieux changent, mais l'histoire reste la même.

Parlons ici d'un cas très particulier, celui de M. Georges. M. Georges a sévi et sévit encore en tant que professeur de philosophie et de culture générale, mais vous avez pu le rencontrer sous les traits d'un prof de français, de lettres, d'histoire-géo ou encore d'espagnol, qui sait ? M. Georges est surtout, pour le bien de ce texte, un concept protéiforme évoluant dans une réalité mal comprise par les parents, les politiciens et même l'Education Nationale : la réalité des collèges et lycées de France.

Bien que petit, chétif, naturellement rougeaud, et pourvu d'un regard de fouine derrière les verres de ses lunettes rondes : M. Georges est d'une divine beauté. Il a parfaitement conscience de l'action magnétique qu'opère sa simple présence sur les ovaires de la classe de Terminale L, totalement désorientée car dépourvue par ailleurs d'un contact fréquent à de fortes concentrations de testostérone fraîche. Peut-être que M. Georges n'a pas toujours été un vieux beau cultivé, capable de tenir en haleine une classe pendant quatre heures en racontant le procès de Galilée et ses répercussions sur les mondes philosophico-scientifiques, peut-être même que M. Georges n'a pas toujours porté ses fameux costumes trois pièces gris où il manque parfois un bouton, ce que seules les midinettes du premier rang peuvent remarquer. Mais cela importe peu. Ce qui compte c'est le présent, et chaque cours est vécu intensément par M. Georges. Chaque jour, tel un gladiateur prêt à en découdre avec les lionnes en furie dans l'arène, il entre en classe et cherche à faire chavirer les cœurs à coups de Pascal, de Kant et de Spinoza, le tout saupoudré d'illustrations volontairement provoc' en lien avec l'actualité – souvent politique - brûlante de la semaine. D'ailleurs il semble que M. Georges ait une dent contre l'homéopathie, parce qu'il en parle quand même sacrément beaucoup, et c'est rarement un sujet d'actualité. Mais après tout, c'est comme ça qu'on l'aime M. Georges : passionné, engagé, enragé.

Conscient de ses atouts, M. Georges a un sourire de complaisance ancré aux commissures qu'il est prêt à dégainer à la moindre adhésion du public : quand ses effets pseudo-humoristiques provoquent dans la classe la réaction escomptée. En bonne commère, derrière ses airs de ne pas y toucher, M. Georges adore raconter les détails croustillants de la vie des auteurs qui nourrissent son cours Ô combien passionnant. Ainsi, selon lui, Hannah Arendt n'était pas si exceptionnelle puisque, comme n'importe quelle jeune femelle de son âge, elle a eu le mauvais goût de tomber amoureuse de son prof de philosophie et mentor : Heidegger. Sourire de complaisance. C'est vraiment dommage que les jeunes femmes soient victimes à ce point des tentations de la chair. Sourire de complaisance. En même temps, force est de constater que les philosophes ont toujours eu un charme irrésistible. Sourire de complaisance ultime dévoilant sa dentition d'une blancheur discutable. Les étudiantes peuvent bien crier au haro, il sait qu'elles lui pardonneront bien vite sa misogynie faussement passagère. Elles pardonnent toujours à M. Georges. Même lorsque M. Georges se trompe.

Eh oui ! M. Georges est loin d'être un professeur parfait. Il enseigne même des choses parfaitement erronées, ce que certains rats de bibliothèque ne manquent jamais de lui faire remarquer. M. Georges a en horreur les élèves de cette catégorie-là, ils sont beaucoup trop scolaires et beaucoup trop peu influençables. Quand ce sont des femmes et qu'il ne perçoit pas la moindre liquéfaction d'ovaire en elles alors qu'il se trouve à moins d'un mètre, il est si véreux qu'il en fait des plaques d'eczéma pendant des jours ! Une fois, il a eu le malheur de vouloir enseigner la structure du syllogisme. Après deux heures d'explications fuligineuses, personne n'avait saisi ni même la pertinence de l'information dans l'optique de préparer une dissertation. Une élève un peu zélée avait vite fait de le remettre dans le droit chemin. Officiellement venue confronter ses souvenirs obscurs de philosophie en terminale au cours qu'il venait de donner, elle explicita en dix minutes ce qu'il n'avait su développer en deux heures de temps, le tout en prenant le soin de distinguer savamment le paralogisme du sophisme. Tout son discours était juste. Eczéma. Le pire est encore lorsqu'il est pris en flagrant délit publiquement à la veille d'un examen : « Qui a dit « L'imagination est la folle du logis » ? » Et la classe de répondre en cœur « Pascal ! ». Et lui de se décomposer. Eczéma. Vous aurais-je dit ça ? Eczéma. Mais non voyons, c'est Malebranche ! Eczéma. Eczéma, ECZEMA ! Enfin, Pascal a effectivement dénigré l'imagination, « cette maîtresse d'erreur et de fausseté », et retenez-le, cela peut vous servir, clin d'œil, c'est très important. Tout aussi important que de présenter des excuses à la classe, mais ça, il l'a oublié. M. Georges retombe toujours sur ses pattes.

Vieux beau provocateur polémiste et misogyne dépendant du regard des autres mais toujours condescendant (et en deux mots ça marche aussi), M. Georges est avant tout l'antihéros postmoderne qui trouble les nuits de certaines et les dissertations de tous !

  • J'adore. Même si mon prof de philo était une femme excellente pleine d'anecdotes à revendre..
    Les quelques lignes sur le prof beau mec (mais un peu vieux quand même) avec des réflexions machistes mais très drôles, à prendre au 36e degré... et qu'on lui pardonne... C'est un d'mes profs à la Fac. Et je l'aime toujours autant. Malgré ça. Ahahah :p

    · Il y a presque 9 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • En terminale j'ai eu une prof de philo incroyable, mais comme il fallait dresser un portrait irrévérencieux pour les besoins du concours, je me suis inspirée de mon prof de prépa (également prof au lycée).
      Si tu l'aimes toujours autant, c'est bien ce que je dis, c'est qu'on leur pardonne tout. Ils sont forts ces profs !

      · Il y a presque 9 ans ·
      C%c3%a9line charmion   neowood

      celinero

  • Génial!

    · Il y a presque 9 ans ·
    Default user

    17h27

    • Merci beaucoup ! \(=^.^=)/

      · Il y a presque 9 ans ·
      C%c3%a9line charmion   neowood

      celinero

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