Le sourire de Robert

oliveir

Bien-sûr, elle se rend compte qu’elle aurait dû écouter le conseil du portier de l’hôtel. Il lui a dit que ce n’était pas prudent de plonger seule, il l’a mise en garde, elle ne devait pas sortir du lagon. C’est vrai, elle n’aurait pas dû.

Mais il est trop tard, elle y est, elle voulait voir la faune marine, elle a le nez dessus maintenant. Un beau spécimen lui fait face, beau ce n’est pas le mot, il est même franchement laid ce requin blanc. Dans un premier temps, elle est effrayée mais il est immobile, elle ne bouge pas non plus. Ce n’est pas le moment de s’agiter, peut-être qu’il ne la verra pas. Elle a le temps de le regarder, c’est drôle, il ressemble à Robert. Robert, c’est son boss. Le même sourire figé sur une mâchoire d’acier. Il ne bouge pas, il doit être surpris. Elle n’a jamais aimé l’immobilité de façade de Robert, cette sérénité de pacotille. On dirait qu’il craint de faire tomber sa perruque et d’effectuer un geste qu’il regretterait par la suite.

Le temps s’étire face à ce requin de plusieurs mètres. Son nez remonte vers ses yeux, c’est cela qui lui rappelle Robert. Elle se rappelle ce jour où il lui a dit qu’elle aurait dû faire la Légion Etrangère, il aurait été bien inspiré de garder son humour pour lui parce qu’elle l’a remis à sa place et devant toute l’équipe. Lui, il ne pensait pas à mal. Je suis sûr qu’il était même admiratif pour cette fille, impliquée, énergique, sang-froid et une prise de décision exceptionnelle. Elle ne laisse rien passer et dit sa façon de penser à chacun qu’il soit placé au dessous ou au dessus d’elle. Chacun a tremblé au moins une fois devant elle car à entendre sa voix de stentor, il faudrait s’impliquer davantage pour que cela marche comme cela devrait, elle aime son job, elle travaille le week-end chez elle… Elle n’en a jamais assez mais Michel, le directeur de la logistique dit que c’est parce qu’elle est célibataire ou pour cela qu’elle est célibataire. « Célibataire, si l’on veut mais j’ai un fils à élever moi! », lui a-t-elle rétorqué. Et que chacun se le tienne pour dit!    

Elle sait que le requin va finir par bouger, il va s’asphyxier s’il ne nage pas. Ne pas bouger, ce n’est pas le truc de Marie. Pour atteindre l’objectif fixé, Marie a souvent demandé à Robert de la seconder d’un collaborateur. Déléguer son travail pour faire autre chose, c’est comme cela qu’elle fonctionne. Elle a souvent un stagiaire avec elle et il n’est pas à la fête. S’il n’est pas motivé, il ne reste pas longtemps. C’est toute une équipe qu’elle anime aujourd’hui. Cela ressemble plus à un commando d’ailleurs, la tâche de chacun dépend de celle effectuée par un autre. Du coup, tout le monde s’entraide et a un œil sur le travail de l’autre. Marie contrôle l’ensemble mais elle sait encourager et mettre la main à la pâte quand il le faut. Même une faute de français, elle la reprend. « Pas de laisser-aller ici, on n’est là pour bosser et pour gagner!»  Elle regrette que Robert ne se bouge pas davantage pour faire évoluer la boîte.

Elle devrait anticiper le carnage dont elle va bientôt être la victime mais c’est ici au fond de l’eau qu’elle prend conscience de toute sa force. L’ouverture sur l’Allemagne, c’est elle, personne ne l’a aidée et cela représente du chiffre aujourd’hui. Elle dit volontiers qu’il suffit de vouloir et de tenir bon pour obtenir ce que l’on veut et Marie veut toujours le mieux. Pour faire de la plongée ici, Marie  a demandé à Robert une semaine « off » après l’inauguration de l’agence de Sidney. Il ne pouvait pas lui refuser, la croissance à deux chiffres qu’il a présentée au conseil d’administration, il savait que c’était à Marie qu’il la devait. Il a été moins fier lorsque le conseil lui a demandé de lui présenter Marie. Robert sait qu’il est révocable ad nutum !

Le requin va probablement l’attaquer, il est trop tard pour fuir, dès qu’elle va bouger, il va foncer. Un vrai duel cycliste, celui qui part le premier a perdu car il n’a personne en ligne de mire. Alors elle reste immobile. Fascinée mais pas sidérée. Concentrée, elle anticipe le combat qu’elle va livrer. Elle a besoin de nommer le monstre pour se motiver : « A nous deux, Robert ! ». Elle aura peu de temps pour saisir le couteau sanglé à sa jambe. Pendant ce court-instant, elle devra descendre pour être sous Robert. Le requin est myope, elle le sait. Elle retire ses palmes pour descendre plus vite. Elle en garde une à la main pour l’agiter telle une muleta de toréro. Elle se rappelle le livre d’Alexandre Dumas lorsque le Chevalier plonge pour se placer sous requin et lui ouvrir le ventre. Ce n’est pas la peine d’essayer d’attaquer ailleurs, la peau du dos est trop dure. Au moment où le requin la frôlera pour la repérer, elle relèvera le couteau pour entailler le ventre blanc et mou du monstre. Et sa main droite serrera sa main gauche qui maintiendra la lame et pour peu que le poisson ait un peu de vitesse, il sera éventré comme sur l’étal d’un poissonnier. Dès qu’elle aura commis son forfait, elle devra déguerpir car l’odeur du sang est un carton d’invitation au festin que le squale envoie au reste de sa compagnie.

C’est incroyable même dans cet insupportable moment d’éternité, Marie arrive encore à rire. Elle se demande si le requin blanc n’est pas une espèce protégée. Non, elle est persuadée que Robert est nuisible. Elle est persuadée qu’il est une entrave au bon fonctionnement de la société sous-marine. Et là, sous la mer, elle a un éclair, elle va téléphoner au président du conseil d’administration pour lui dire que son principal concurrent, le leader du marché, lui a fait une proposition qu’elle ne peut pas refuser à moins que… à moins qu’on lui donne tout le pouvoir et alors là, libérée de Robert, elle va vraiment pouvoir se battre… La pêche sous-marine dans le Pacifique, c’est gentil mais cela manque de sel…

  • Bon exercice, vous respectez les consignes. Faire de l'exercice un "swiming with sharks" dans les grands fonds de l'entreprise, et donc déplacer le sujet est intéressant. Faites attention toutefois, nous aurions aimé plus d'images et que vous fassiez attention à votre énonciation. La répétition des pronoms si elle a son charme reste quand même lourde pour une narration.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    10717 1223136733533 1082428138 699165 1338660 n orig

    abeline

  • damned! on a eu à peu près la même idée! bravo à toi, premier à dégainer, et de façon plus amusante que moi (j'avais pas lu avant, promis!)

    · Il y a plus de 13 ans ·
    New orleans louisiana may 1953 chevrolet orig

    victoria28

  • Une très bonne approche pour contourner les contraintes en vous démarquant totalement des autres contributions. Bien joué Oliveir !

    · Il y a plus de 13 ans ·
     14i3722 orig

    leo

  • Une tentative très bien négociée. En terme d'auteur nous avons ici un gros poisson

    · Il y a plus de 13 ans ·
    027 orig

    Chris Toffans

  • Eh oui, les roberts ne sont pas tous des saints, bien joué en tout cas.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    30ansagathe orig

    yl5

  • Une façon originale de traiter le sujet qui laisse un goût très agréable !

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Coucher de soleil 92

    Ghyslaine Bobillier

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