Les 12 travaux d'Herculina
Brigitte Delaperelle
Je m’appelle Herculina Heraclasque. J’ai déçu le dieu de la Modernité, Réformatum, qui, pour me punir et me permettre de me racheter, m’a confié douze travaux dont la gloire inspirera les générations futures.
La première tâche ne devrait pas poser de problème car j’aime les soldes. Je fouille, je remue les rayons, les robes, les pantalons volent et convolent sous les yeux mécontents de la gardienne des lieux et pas de taille 40, rien, que dalle, tout a disparu.
-Mais enfin, un vêtement taille 40, c’est banal, trouvez-moi quelque-chose, il en va de mon salut !
La vendeuse me balance dans les bras un manteau en lion synthétique en me hurlant, hystérique : Il ne me reste plus que ça dans votre taille !
Bien, je vois, le sens du commerce n’est plus ce qu’il était. Réformatum devra se contenter de cette vilaine peau de bête taillée en taille qu’on aimait. Mission réussie.
Deuxième tâche, voyons, ah oui, direction La Postale pour y envoyer un recommandé. Facile. Les locaux sont refaits à neuf, clairs et lumineux. Hop, je me place derrière la dixième personne de la file d’attente. Après un longue attente arrive enfin mon tour. Bonjour madame Hydresse de La Postale, je voudrais envoyer cette lettre en recommandé s’il-vous-plait-merci. Madame Hydresse me tend aimablement un formulaire à remplir puis, une fois rempli, me demande la vignette. La vignette ? Que je lui fais d’un air ahuri. Oui, qu’elle me fait, celle que vous êtes allée chercher à la machine automatique faite pour simplifier la vie de tout le monde. Furieuse mais ayant à cœur de n’en rien laisser paraître, héroïne des temps modernes, j’m’en va acheter une vignette. Malheureusement, je n’ai pas assez de petite monnaie sur moi. Hop, je me place derrière la dixième personne qui se trouvait derrière moi dans la file d’attente. Vous suivez ? Bien. Après une longue attente en file, arrive mon tour. Madame Hydresse me tend un peu sèchement des pièces, me faisant clairement comprendre qu’elle n’a pas que ça à faire et qu’on peut obtenir de la monnaie à la machine prévue pour simplifier la vie de tout le monde. Je vais chercher la vignette puis reviens et me place derrière la dixième personne qui se trouvait derrière moi au tour précédent.
Madame Hydresse n’a pas plusieurs têtes mais apparemment elle a plus d’un tour dans son sac. Mission couronnée de succès. Je ne me suis même pas mise en colère. Réformatum peut être fier de moi.
J’en suis à la troisième tâche et un sentiment de lassitude me submerge. J’aurais bien besoin d’un bon café serré-arrosé car je dois maintenant demander une augmentation à mon patron. Sera-t-il bien disposé à mon égard ? Acceptera-t-il de m’augmenter ?
La confrontation qui est prévue est celle qui me fait le plus angoisser. En effet, pourquoi demander ce qui est dû et qui devrait aller de soi ? Allez, courage ma fille, c’est juste un mauvais moment à passer.
Mon patron est un homme qui juge le sérieux d’une entreprise à l’aune des taxes patronales. Mon patron se juge sérieux. On le surnomme le sanglier, rapport à son nom - Darry Manthe – et à sa façon de charger les partenaires sociaux.
- Bonjour Monsieur Manthe.
- Bonjour ma petite Herculina (il est paternaliste comme tout bon patriarche qui dirige sa maisonnée d’une main de fer), que puis-je faire pour vous ?
- Je viens vous demander une augmentation.
- Bien. Quels arguments avez-vous à proposer qui justifient une augmentation ?
- Je suis compétente dans mon métier ; je ne regarde pas les heures passées à séparer les trombones des élastiques ; je vous sers le café gentiment tous les matins sans rien demander en échange.
-Effectivement, votre dernier entretien d’aptitude professionnelle précise que vous êtes une employée modèle qui a l’esprit d’entreprise et de bonnes relations au sein de l’équipe. Eh bien c’est d’accord ma petite Herculina, je vous accorde votre augmentation. J’augmente vos heures de travail afin d’augmenter la productivité du tri des stylos et des crayons. (c’est tout juste s’il n’ajoute pas « alors, heureuse ? »)
Le sanglier sourit vilainement. Il attend ma réaction. Il s’attend à ce que je le remercie de sa bonté, toute honte et humiliation bues. Je sors alors mon argument secret, une photo de lui et une femme qui n’est pas son épouse qui aurait, à coup sûr, réprouvé la tenue minimaliste de son cher mari. Il devient cramoisi, il agite ses défenses, surpris par le coup bas. Il me hurle de sortir et d’aller voir le comptable en lui donnant mon prix.
Je sais. La méthode laisse à désirer. Mais les héros de l’Antiquité n’ont pas toujours fait preuve de noblesse dans leurs ruses, c’est une circonstance atténuante. Augmentation obtenue auprès du comptable étonné par ce cas unique dans la vie de l’entreprise. C’est qui qui va être épaté ? Réformatum !
Les vergers de Saint Phale sont réputés pour leur production de fruits bio garantis savoureux. Las ! Cette réputation est arrivée aux oreilles de millions d’oiseaux qui ont investi les lieux et qui avalent goulument les pommes et les poires et les scoubidous ouah. Ces charmantes bestioles sont jugées nuisibles et je dois en débarrasser le jardin sans leur faire le moindre mal. J’enfile mon costume de terminator pacifique et m’équipe de filets, d’épouvantails, projecteurs, bref tout outil censé les faire fuir. Les filets enveloppant les arbres sont vite percés à jour ; les volatiles se mirent dans les miroirs gigotant, et que ça se maquille, et que ça se raconte les derniers potins. Mes grands gestes effrayants les font se gausser. Je n’obtiens que ricanements d’emplumés qui riraient à gorges déployées s’ils n’avaient le gosier plein. Je sens venir l’échec. A moins que… A moins que… Je me souviens d’un karaoké dans un restaurant bondé. Tous les dîneurs avaient fui, épouvantés, et le patron m’avait déclarée tricarde à vie. Et pourquoi pas ? De ma plus belle voix (perso, je trouve que je chante bien) j’entonne la formule magique, ce chant de la magie d’antan : DES POMMES DES POIRES ET DES SCOUBIDOUS BIDOUS OUAH ! Aux premières notes, les porte plumes sont pris de frissons, au refrain de convulsions. Les plus aguerris d’entre eux prennent leur envol, la peur aux trousses, pour ne jamais revenir dans cet endroit maudit. Les plus jeunes tombent comme des mouches, dans les pommes, se redressent vaille que vaille et partent à pied, clopinant clopanette. Mon chant est l’Abomination personnifiée. J’en profite pour ramasser des pommes bien dorées pour confectionner une tarte bio destinée à mon ami Hyppolyte Despéride qui doit faire ceinture sur les douceurs sous peine de rajouter un oeillet à son corset. J’ai ainsi réussi d’un coup d’un seul trois missions ! Les oiseaux, les pommes et la ceinture.
Je commence à être en forme et envisage sérieusement à devenir conducteur de travaux.
Ils appellent ça des écuries ? J’appelle ça une porcherie. Et là, je ne suis pas gentille pour les porcs qui sont des animaux très propres. Appelons ça une décharge. La décharge d'Augias. Pas des écuries. Le local est envahi de sacs poubelles éventrés qui s’amassent en montagnes collines zé vallons. Avec ma chance, j’arrive lors d’une grève des éboueurs. Bien ma veine. Un petit travail tranquille à priori, je nettoie et je rentre me faire quelques combats à la manette, mais non. Toute Herculina que je sois, je n’ai que deux bras, touts petits fragiles. J’appellerais bien Sisyphe, l’ultime héros absurde selon Albert, mais je le connais mon Sisy, il va encore vouloir me montrer sa force, rouler des sacs jusqu’en haut d’une montagne, sacs qui vont dégringoler la pente et mon Sisy de tout recommencer pour rien puisque le but c’est de virer les sacs, pas les déplacer dans un sens et dans l’autre. Mes amis scarabées vont me dépanner. Je les appelle sur mon portable, rendez-vous est pris et en les attendant je commence à trier. Le tri sélectif, justement, ils ne connaissent pas dans le coin. Le plastique avec le plastique, le verre avec le verre, le papier avec le papier, le fil rouge sur le bouton vert ( ?) Désolée. Ah les ravages de l’obsolescence programmée ! Des bidules, des trucs et des machins qui pourraient être réparés si seulement on pouvait en atteindre le cœur. Dommage. On va faire en sorte que tout puisse être recyclé. Le cuivre avec le cuivre, le métal avec le métal… J’ai bien avancé quand mes potes les bousiers arrivent. Et qu’ils avalent d’un bout, et qu’ils évacuent de l’autre de jolies boules d’engrais pour le verger de Saint Phale. Tout a été bouclé de main de maître, si je puis désigner ainsi un appareil digestif étonnant. Nous quittons un local propre comme un sou neuf. Nous avons bien mérité une petite mousse (que petit scarabée refuse car ça lui fait des bulles quand, euh… Bref). Encore une belle journée d’un labeur revalorisant, suis vannée.
Il me reste encore du pain sur la planche. En parlant de pain, le réfrigérateur est vide, il est temps d’aller faire des courses au magasin Affaires d’Enfer. En chemin, je trouverai bien une solution, à savoir rattraper une biche, ramener des bœufs, vaincre le gardien des Enfers, dompter un taureau et capturer des juments. Du nanan.
Me voici, les courses terminées, prête à sortir quand soudain c’est l’affolement. J’entends des cris, des hurlements, des vagissements, des grognements et des hennissements. « Bichette attends-moi ! » « Mais cours, Minus, cours, on fait basket là ! » « Système de sécurité, troupe d’intervention, GIGN, plus un geste, vous êtes cernés ! ». Bichette cours en serrant sur son cœur des barquettes de bœuf qu'elle n'a pas payé, suivi par Minus son mari aux allures de taureau. Le vigile Serre Behr les serre (normal) de très près. Il fait de grands gestes et il est seul pour les encercler. C’est ballot. Une cavale s’interpose, une grande femme chevaline aux grands yeux de braise. Serre lui tombe dans les bras et sous le charme. C’est le coup de foudre mes amis, le coup de foudre de part et d’autre ! Le gardien des Affaires d’enfer maîtrisé par une mangeuse d’hommes. Mais quelle femme ! Plus loin, Bichette est en larmes. De courir lui a donné mal aux escarpins. Minus, l’homme taurin, l’emporte dans ses bras. Grand moment d’émotion parmi la foule, les sanglots d’un violon s’échappent de la sono.
Hermès, le dieu de la chance et son écharpe passait par hasard acheter du mou pour son chat. Grâce à lui tous étaient au magasin. Serre Behr a été vaincu, la cavale capturée, Bichette rattrapée, Minus amoureux était déjà dompté. Et les bœufs, dans tout ça ? Ils ont fini en barquettes sur le sein de Bichette. Si c’est pas une fin malheureuse, ça, finir en barquette après un passé glorieux plein de gloire…
Réformatum est très content de moi, à tel point qu’il envisage de me proposer un CDI.
J’ai bien mérité des vacances. Justement, Ulysse part en croisière et je l’accompagne. Du repos, enfin. Ulysse, j’arrive !!
bravo j'adore ! merci Lyse
· Il y a presque 11 ans ·des trouvailles et de la marrade comme je l'aime
Tu aurais peut-être gagné à scinder ton texte en 2 parties, de façon à ne pas rebuter certains par la longueur (Lyse cela ne lui fait pas peur !) et puis ça t'aurais permis d'avoir 2 fois des compliments au lieu d'une !
Eh oui y'a pas de petit profit(erolle) ... bravo !
woody
Vraiment pas mal ! CDC
· Il y a presque 11 ans ·mark-olantern
Hoooooooooooooopunaise que c'est excellent !!
· Il y a presque 11 ans ·Pourtant, d'ordinaire je rechigne face aux longs textes ! Mais là, j'avoue je suis tombée dans ce texte et me suis laissée porter jusqu'à la fin. J'adore ! CDC
lyselotte
J'ai relu pour le plaisir! CDC
· Il y a presque 11 ans ·yoda