Les Cassoces (3)

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Les Cassoces (3)



Eddy Anquetor était un formidable coureur cycliste, certainement le plus grand cycliste de tous les temps.

Sans conteste le plus formidable pédaleur que le monde du vélo ait jamais connu.

Il grimpait les cols plus vite que tout le monde.

Déjà, lors de sa naissance il avait grimpé le col de l'utérus à une vitesse remarquable, au grand étonnement de sa mère, madame Anquetor.

Sur circuit il avait pulvérisé tous les records mondiaux...

Eddy Anquetor avait la persévérance d'un Raymond Poulidor, la vitesse d'un Jacques Anquetil et la souplesse d'un Eddy Merckx...

Et ce sans dopage !

Il ne carburait qu'à l'E.P.O (Eau Potable Ordinaire)...

Normalement il aurait du gagner toutes les courses, mais non, au contraire il les perdaient toutes, arrivant toujours bon dernier...

Comment que cela se faisait-il que cela soit possible ?

Eh bien c'était simple, la cause des échecs d'Eddy Anquetor résidait dans son extrême politesse. Son sens de la courtoisie était si développé qu'il laissait passer tout le monde devant lui.

Son fair-play, frisant l'abnégation la plus stupide était devenu légendaire sur les pistes.

Ainsi, lorsqu'il voyait qu'un autre coureur s'acharnait à vouloir le dépasser (en vain), pris de pitié, il ralentissait pour que celui-ci passe devant...

Il saluait au passage fort civilement son concurrent en lui disant : « Après vous mon cher ! ».

L'autre ne demandait pas son reste, ne remerciait même pas et suant et soufflant filait droit devant vers la victoire...

De la même manière, Eddy Anquetor laissait passer tout le peloton de tête, prodiguant ses encouragements à chacun, ayant toujours un mot gentil pour untel ou untel.   « Vas z-y mon Dédé, met-en un bon coup, encore 350 klm et c'est bon ! ».

« Bravo Lucien, t'as fait des progrès depuis la dernière fois, tu vas y arriver, courage ! ».

Et lorsque les derniers traînards, complètement décalqués, à bout de force le doublait péniblement (alors que lui restait très relax sur sa bicyclette), il leur emboîtait la roue arrière en les stimulant amicalement.

D'ailleurs, Eddy en profitait souvent pour faire des petites pauses, il descendait de son vélo, cueillait des paquerettes, s'allongeait dans l'herbe en attendant que ces lambinards du peloton le rejoigne... Il y avait indubitablement un coté poète chez Eddy...

Dans les cotes, (qu'il montait allègrement, les mains dans les poches), il regardait les pauvres bourrins s'escrimant péniblement vers le sommet.

Là aussi il descendait de son vélo pour les pousser courtoisement...


Content de lui, et heureux probablement d'être le coureur le plus courtois (mais aussi le plus crétin) que le monde de la Petite Reine ait jamais engendré, il arrivait bon dernier au poteau d'arrivée.

Où l'attendait son entraîneur, au bord de l'apoplexie, fulminant et s'arrachant les cheveux encore une fois de plus...


Ainsi, le fabuleux destin qu'aurait pu connaître Eddy Anquetor resta t-il lettre morte.

Mais à chaque Tour de France, tout le monde venait lui serrer la main, et même pendant la montée du col du Tourmalet, les badauds, alignés de chaque coté de la route se précipitaient pour lui serrer les paluches.

Comme Eddy montait les côtes sans poser les mains sur son guidon, il les serraient toutes aussi, avec grand plaisir.

Eddy était à ce moment là aux anges, car pour lui, politesse et courtoisie étaient ce qu'il y avait de plus important dans la vie.

D'une extrême modestie, il répondait toujours aux journalistes perplexes sur son cas : « Quand tu tend trop les rayons, ta roue pète ! »...








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