Les masques - 3. Malek (2)

octobell

Ira, brusquement secoué par cette affirmation, fit volte-face pour se précipiter dans le salon. Il se jeta sur Stan à bras raccourcis et le frappa de toute la force de ses poings.

« Ira, arrête ! » S’écria Gemma avec panique, tandis qu’aucune des filles n’osait s’approcher pour tenter de le faire reculer. L’Endormi se contentait d’observer la scène avec curiosité, la tête penchée sur le côté. Ira accompagnait ses coups de hurlements de rage, déversant sur le visage de Stan toute la colère et la frustration accumulées depuis le début de leur incarcération. Ce ne fut que le retour miracle d’Aiden et du garçon à bouclettes à cet instant qui l’arrêta. Ils se précipitèrent sur lui pour le forcer à reculer. Et encore, il fallut toute la force des muscles massifs du garçon à bouclettes pour l’entraîner en arrière. Ira finit néanmoins par se calmer lorsqu’il ne sentit plus la tête de Stan sous ses poings. Stan, dont le visage dégoulinait de sang.

« Arrête de te foutre de notre gueule, maintenant ! » Vociféra Ira, indifférent au sort de son ennemi. Si Aiden et le garçon à bouclettes n’étaient pas encore accrochés à ses bras, il serait reparti à l’assaut. Il se contenta de hurler, puisqu’il n’avait rien d’autre à faire : « Dis-nous ce que tu sais ! Ou ce que tu sais pas, mais parle-nous, bordel ! »

Stan essuya lentement sur son épaule le filet de sang qui coulait sur son menton, avant de lever son regard le moins amène sur Ira. La mort de Malek l’avait atteint, lui aussi. Il n’avait peut-être rien vu de ce qui était passé à l’écran, mais ce qu’il avait entendu ne rendait pas la situation moins dramatique, et bien au contraire. C’est dans ces cas-là que l’imagination se débloque.

« J’ai rien vu. » Avoua-t-il d’une voix rauque au bout de quelques secondes. Il entendit quelques exclamations outrées, mais ne s’en formalisa pas. Il n’y avait qu’à Ira qu’il s’adressait. Celui-ci était resté parfaitement immobile, les bras le long du corps, les poings serrés à s’en fissurer les jointures. « La seule chose que je peux vous dire, et ce n’est qu’une supposition, c’est qu’il était encore vers la porte quand il s’est fait attraper. Il était derrière moi, j’ai rien pu voir. Et avec tout le monde qui se dirigeait vers l’autre pièce, j’ai pas fait gaffe ! Il n’a sûrement pas eu le temps de bouger un orteil et je suis sûr qu’ils n’attendaient que ça. Je suis désolé, Briana, mais à mon avis c’est pas une histoire de trappe. A mon avis, on est cerné, expliqua-t-il en se focalisant sur la jeune femme aux cheveux roux. Celle-ci, laissant couler une larme sur sa joue, hocha brièvement la tête.

- Mais pourquoi est-ce que tu nous a fait poireauter comme ça ? Demanda Gemma, qui n’arrivait pas à se contenter de ces maigres explications.

- Tu crois que c’est facile de se retrouver attaché sur cette chaise, pointé du doigt et blâmé comme un con ? C’était le seul moyen que j’avais pour garder de l’ascendant sur vous.

Il baissa la tête, incapable de supporter davantage les regards lourds de reproches posés sur lui. Il avait voulu jouer avec le feu, il s’était brûlé les ailes et méchamment cassé la gueule.

- Ce n’est pas de ta faute, dit alors la top model en posant une main amicale sur son épaule.

- Bien sûr que si, c’est de sa faute ! Répliqua vivement Ira. S’il avait pas joué au con comme ça, il aurait pu aider à retrouver les autres ! Et la fille aux tatouages, elle serait sûrement pas morte !

Stan, dans un ricanement, leva les yeux sur Ira.

- Tu sais y faire hein ? Triturer l’esprit des gens pour les forcer à culpabiliser ? Va te faire foutre, Ira ! Avec moi, ça marchera pas !

- Me blâme pas pour ta culpabilité, Psycho. Si t’en ressens ne serait-ce qu’un tout petit peu, j’ai rien fait pour ça. Tu ferais mieux de te demander pourquoi ça te prend.

- Ma culpabilité ? C’est pas plutôt de la tienne qu’il s’agit ? C’est pas toi qui a eu la brillante idée d’envoyer tout le monde chercher Nat tout à l’heure ? Pendant que toi tu restais gentiment planqué ici ?

- J’ai jamais forcé qui que ce soit à me demander mon avis ! Cria Ira.

- Elle s’appelait Malek, coupa platement Kate au milieu de la dispute. Ses yeux clairs étaient posés sur Stan, mais totalement absents. Elle le regardait sans vraiment le voir.

- Quoi ? S’écria-t-il sans comprendre.

- La fille aux tatouages. Elle s’appelait Malek. »

Un silence pesant suivit son information. Stan baissa piteusement la tête, gêné de la situation. Ira, lui, ne décolérait pas. D’un geste brusque, il se détacha d’Aiden et du garçon à bouclettes pour s’éloigner du groupe.

« Il faut qu’on aille libérer les autres… Proposa enfin Kate.

- Non ! Interrompit la top model en se plaçant au milieu du cercle. Il faut qu’on reste ici. Sortir, c’est nous envoyer à la mort. Regardez-vous, voyons ! Tout le monde est à ramasser à la petite cuillère. Il faut qu’on garde le contrôle. Il faut qu’on se reprenne, qu’on se repose, et on réfléchira à nouveau à tout ça un peu plus tard. Il faut se rendre à l’évidence… Les garçons ne risquent rien, là-bas. Ce ne sont pas les Masques qui ont tué Malek. »

« Les Masques… » Répéta Aiden dans un souffle.

Le silence s’imposa à nouveau, et la jeune femme prit ça pour un consentement général. Brusquement envahie par une intense fatigue, elle se laissa lourdement tomber sur l’une des chaises, rapidement imitée par les autres.

***

Plusieurs heures s’étaient écoulées depuis la mort de Malek, et à présent, plus personne ne parlait de quitter le salon. Ils faisaient des rondes dans la salle du moniteur pour surveiller l’évolution de Mike, et de Nat surtout, mais en dehors de ça, l’ambiance était à l’apathie. Stan somnolait sur sa chaise, la tête penchée en avant, bercé par le ronronnement de la conversation que certains avaient entamé à voix basse.

« Rhooo allez, t’es sérieuse ? Dit le garçon à bouclettes à l’intention de Kate, qui avait un mince sourire amusé. Mais tu vivais où ces deux dernières années ? ‘Adam se lève’ sur BBC Radio One, tout le monde connait ! Rassure-moi, Marpier, tu connais ?

- Mais je connais ! Précisa Kate avant que la top model ne puisse répondre. C’est juste que je n’ai jamais écouté, alors je n’aurais certainement pas fait le rapprochement avec toi. Je ne connais pas ta voix, et encore moins ta tête.

- C’est vrai que ce n’est pas très flagrant, admit Marpier, la top model. Je crois que la situation ne nous permettait pas vraiment de faire le rapprochement.

- Oui, je me voyais bien m’écrier, pendant qu’on était attachés sur nos chaises : ‘dis-donc, t’es pas le gars de la radio là ?’

- Bah ça aurait p’tet détendu l’atmosphère, les potos !

- A ce moment-là, peut-être… » Répondit tristement Marpier, et les trois jeunes gens s’enfermèrent dans un long silence en repensant à ce qui était arrivé à Malek. Ils avaient encore du mal à croire que cette histoire était réelle. Malheureusement, les rares fois où ils se rendaient dans la salle du moniteur, ils ne pouvaient que se rappeler que tout ceci n’était pas qu’une vaste fumisterie.

De l’autre côté du salon, Ira s’était assis à même le sol, contre le mur sous la fenêtre bloquée par de lourds barreaux de métal. Il observait silencieusement ses compagnons d’infortune, les poignets posés sur ses genoux pliés devant lui. Il aperçut l’Endormi arriver jusqu’à lui de son pas trainant, et claqua la langue sur son palais avec agacement. 

« Dégage, Narco, j’ai pas envie de ta compagnie.

Mais loin de lui obéir, l’Endormi s’installa tranquillement à côté de lui, comme s’il ne l’avait pas entendu, et Ira, dans un soupir impatient, renversa la tête contre le mur froid.

- Etant donnée la taille de la pièce, nous ne pouvons pas vraiment nous éviter. Est-ce à cause du manque que tu t’isoles ?

Ira tourna vivement la tête vers l’Endormi, les yeux écarquillés face à la simpliste naïveté qui transparaissait dans sa question. Il ouvrit la bouche, prêt à riposter violemment, mais il savait que cela ne ferait que l’accuser. Son silence lui-même l’accusait, de toute manière. Dans un autre soupir, il secoua la tête.

- Qu’est-ce qui te fait parler de manque ? Demanda-t-il, tentant toutefois de feindre l’innocence.

- Tes mains, répondit seulement l’Endormi en les pointant du menton. Ira serra précipitamment les poings pour cacher les tremblements de ses mains.

- Ca ne veut rien dire. Je suis nerveux, ça me parait être un état normal, ici, non ?

- Les cernes sous tes yeux, le souffle dans ta voix, la sueur sur ton front et le gonflement de tes v…

- Qu’est-ce que tu veux, Narco ? Interrompit sèchement Ira, contrarié d’entendre la liste de ses symptômes. Ca n’arrangeait certainement pas sa situation.

- Pourquoi m’appelles-tu Narco ? » Interrogea l’Endormi, tournant la tête sur le côté pour observer Ira comme il avait pris l’habitude de le faire depuis qu’ils s’étaient retrouvés enfermés dans le manoir. Observateur, Ira avait remarqué que l’Endormi ne semblait pas s’intéresser aux autres de la même manière. Pourquoi lui ? Pourquoi avait-il décidé de l’emmerder, lui ? Pourquoi le groupe avait-il décidé de se fier à lui ? Combien de temps leur faudrait-il avant de se rendre compte de son impuissance et le rendre responsable de ce qui s’était passé jusque-là ?

« J’en sais quelque chose, reprit soudain l’Endormi.

- Hein ?

- J’ai toujours mes précautions sur moi. En cas de… manque.

La mâchoire d’Ira se contracta vivement, et il ferma les paupières, prenant une longue inspiration pour s’enjoindre au calme.

- J’ai pas besoin de tes merdes de toxico. Je ne me drogue pas. » Annonça-t-il sans s’épargner la sècheresse dans son ton. Il se leva alors pour s’éloigner du jeune homme, dont il sentit néanmoins le regard sur son dos. Il s’arrêta brièvement sur le pas séparant les deux pièces, réprimant le frisson qui saisissait son échine, puis rejoignit Aiden qui surveillait les écrans.

« Quoi de neuf ?

- Nat est super calme. Mike pète des petits câbles, expliqua doucement Aiden, qui ne lâchait pas le troisième écran du regard. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser que…

la fin de sa phrase s’évanouit dans l’air, et Ira baissa un regard intrigué sur lui.

- De penser que… ?

Aiden pointa l’écran, qu’Ira ne s’attarda pas à regarder. Les chats avaient fini d’abîmer le corps de Malek, qui était à présent indécemment placé en plein milieu de leur champ de vision, complètement ravagé, méconnaissable. Ira envisagea de couvrir l’écran, pour leur épargner cette vision. Et par respect pour la jeune fille morte, au moins.

- La pièce dans laquelle elle était enfermée, elle n’a rien à voir avec les autres. Je doute qu’ils aient fait l’installation en trente secondes chrono. Ca veut dire qu’ils l’attendaient déjà. Ils l’avaient choisie. Tu sais, Adam expliquait tout à l’heure que Malek était hyper superstitieuse, à la limite du TOC. Elle avait même un extrait de la bible tatoué sur le corps ! Un miroir brisé, une échelle, treize chats noirs. Ca n’a pas été placé là au hasard. Ils savaient que Malek était superstitieuse. Et je pense que ces neuf autres écrans qui sont là ne reflètent rien de ce qui nous attend.

- Mon père est mort d’un cancer quand j’avais quatre ans. » Ajouta Nat, à qui rien de la conversation n’avait échappé. Il avait à peine levé la voix, lui aussi. « J’ai toujours eu une frousse bleue de la maladie depuis. »

Ira et Aiden échangèrent un regard. L’australien ne faisait que confirmer les réflexions du photographe. Il ne s’agissait aucunement d’un jeu de hasard, d’une roulette russe qui les avait emmenés dans l’antichambre du diable. Ils avaient été sélectionnés. Dans quel but ? S’il y avait bien une chose qu’Ira avait apprise lors de ses études, c’est que personne, absolument personne, n’était exempt de phobie. Ceux qui prétendaient l’inverse étaient des menteurs. Alors pourquoi eux ?

« Il vaudrait mieux qu’on évite d’en parler aux autres, déclara-t-il sombrement, rassuré qu’Aiden acquiesce immédiatement d’un hochement de tête.

- Je suis d’accord… Ils risqueraient tous de se faire des films, et ça sèmerait la panique.

- C’est ça. » Confirma Ira en relevant ses yeux bleus sur les écrans. Mike et Nat pouvaient bien l’apprendre eux, ils étaient déjà victimes de toute manière. Aucun d’eux n’ajouta quoi que ce soit pour contrecarrer l’idée d’Ira. Tacitement, ils consentaient. 

  • Vraiment tu nous happes dans ton histoire, c'est juste une torture d'attendre la suite, moi je veux savoir !!! Moi c'est pareil, je cherche des indices sur les peurs des personnages, et puis j'ai comme l'impression que de ne rien dire sur le truc des phobies ça ne va pas arranger les choses ...

    Aaah j'ai hâte de lire la suite !! :))

    · Il y a plus de 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • mais c'est un compliment ;)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • Je prends ça comme un compliment, Christine ;)

    Merci à vous, ça fait plaisir de voir que mon texte ne vous lasse pas sur la longueur (la grosse hantise lol ^^)

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • trop fort, a chaque episode la tension monte d'un cran. on se pose des questions sur chacun, en plus je commence a chercher de quoi ils ont peur, donc par quoi vont-ils mourir. c'est machiavelique tu es machiavelique

    · Il y a plus de 11 ans ·
    521754 611151695579056 1514444333 n

    christinej

  • Vou m'avez envoyé la suite mais je n'ai pas lu Malek 1 ni Mike non plus, seulement Nathaniel, j'ai pris le train en route... je vais aller voir

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Yoda 24 04 09 002 92

    yoda

  • On progresse dans l'histoire : après la scène tension puis la scène détente, viennent certaines révélations ! Magistral de maîtrise, Octobell. Vraiment, tu m'embarques dans l'histoire et j'attends chaque épisode avec impatience !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

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