Les maux pour le dire

Hélène Mercier

Vous vous fichez de moi ?

Vous ne pouvez pas me fermer la porte au nez, comme ça, sans égards, sans un courrier ferme mais courtois, non, non. Cela ne se fait pas. Lisez plutôt. Je  vous assure, vous allez rater là le succès de l’année. Ou de l’année prochaine, on n’est pas à quelques mois près. Passé les quelques pages d’incipit nécessaire, le rythme prend, s’emballe, vous emporte, c’est incroyable et magnifique, c’est moi qui l’ai écrit. Ce roman. Prenez-le.

Ah, mais je me doute bien que vous ne l’avez même pas ouvert. Direct vous me l’avez renvoyé, pan dans les dents, encore un écrivaillon que moi lecteur, j’écrase de mon mépris, de ma suffisance qui n’a pas le temps, je sais comment ça marche, héhé, je connais des écrivains publiés, moi.

Je m’en fous de votre courtoisie, je veux, il faut que vous lisiez mon roman.

Parce que c’est un grand texte, si vous voulez. Le surgissement d’un nouvel auteur. Une histoire palpitante, bourrée de rebondissements, une relance à la fin de chaque chapitre, à l’américaine, héhé, vous voyez ce que je veux dire.

Bien sûr vous ne voyez pas. Je vous assure que j’écris beaucoup mieux que je ne parle. C’est le propre de l’artiste, à l’aise devant sa page blanche et terrorisé devant la pâleur d’un visage vide.

Enfin, je dis pâleur et vide, ce n’est pas contre vous, c’est un effet de style, vous comprenez.

Vous ne comprenez pas.

Mais je ne vous ai pas dit : il y a des éléments autobiographiques.

Des fragments de mon histoire tourmentée.

Un auteur en devenir qui se heurte à tant de portes closes qu’il en devient bossu, difforme, se jette dans les portes pour les enfoncer, se jette dans les éditeurs qu’il croise dans un couloir non pas pour les convaincre mais pour leur péter méchamment la gueule, oui, et puis finalement se jette d’un toit les poches plombées de ses manuscrits refusés.

Ça c’est une fin qui a du chien, ne me dites pas le contraire.

Enfin, quand je dis autobiographique, je veux dire, romancé bien sûr. A ma connaissance, je ne me suis pas encore jeté d’un toit, haha, et mon personnage non plus, je viens de pondre cet épilogue à la con, bordel.

Prenez-le.

Je n’espère même pas que vous le publiiez, j’ai arrêté. Mais si vous y jetiez simplement un œil. Pour me laisser croire que vous l’avez lu. Inventez une critique, même incendiaire, quelques lignes me disant que vous l’avez lu. Ensuite vous pourrez ajouter qu’il n’entre pas dans votre ligne éditoriale et me souhaiter bonne continuation. A ce stade-là au moins je pourrai pleurer pour une raison objective.

Je me contrefiche de récupérer mon tapuscrit.  Gardez-le. Si, si, ça me fait plaisir. Vous n’oseriez pas le mettre au pilon quand même. Vous tomberez dessus au hasard d’un matin, au détour d’une pile, tiens donc, c’est vrai, je l’avais oublié ce type, son texte, c’est vrai que les modes ont changé aujourd’hui, un poil d’écriture de soi, un suicide surréaliste, un écrivain torturé, peut-être même qu’il est passé à l’acte depuis, ouais coco, j’appelle sa veuve. 

Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Je l’aurais sans doute mieux écrit.

Vous, vous savez ce que c’est, ce tourment immense qui vous force à écrire, cette urgence, d’écrire, puis d’être lu, d’être aimé, ou tout au moins ces lignes, mes lignes, lisez-moi, dites-moi que oui, c’est bien continue, tu as raison de t’entêter, d’envoyer courrier sur courrier, d’essuyer refus sur refus, de déchirer page après page, de courber le front encore et encore jusqu’à ne pas dormir à force d’imaginer tes nuits.

Ce que je veux dire c’est, éditez-moi. S’il vous plaît. C’est une question de vie ou de mort, vous comprenez. Non pas que je me tuerai mais votre mépris tuera quelque chose d’autre en moi. Un espoir tout neuf pour ce texte-là. Le meilleur – forcément, c’est le mien. Pas besoin de vous en faire un résumé pour tâcher de vous convaincre, il est forcément bon, ce texte, il vaut forcément le coup puisqu’il est de moi.

Je vous en prie, publiez-moi.

Oui, je vais leur écrire cela.

  

  • Tellement vrai.
    Moi, je te dis: bravo.
    Et continue d'écrire!!!!!
    Perso, en tant que dévoreuse de romans de tout genre, je ne comprends toujours pas pourquoi mes manuscrits sont refusés alors que tant de livres "pourris" arrivent à être publiés... Et ce n'est pas de la prétention, en plus!

    · Il y a presque 13 ans ·
    Photo bea pour roman

    valy-bleuette

  • Et bien moi j'ai trouvé la lecture très agréable.

    · Il y a presque 13 ans ·
    Alice orig

    Alice Liddell (Falling Cards)

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