Les mémoires plus ou moins vrai de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 3eme Partie.

Remi Campana

-3. LA PENSEE (1)

Les années passent très vite, trop vite même, et tout cela sans rien voir venir. N’étant pas un adepte de Freud, je me moque du moi, du ça ou du surmoi. Avant même l’invention de la psychanalyse, nos grands-parents résumaient tout ce baratin d’une façon bien plus simple. D’un jeune con d’hier, vous voilà déjà à l’étape d’un con de maturité, et pour terminer en quoi ? En vieux con ! Pour la dernière, permettez-moi d’avoir encore un peu de marge. Je continuerai donc à souiller du papier en vous contant mon histoire : oubliant les années sans intérêt, pour en arriver à l’âge ingrat de l’adolescence, où nous perdons notre lyrisme pour la froideur de nos illusions. Par chance, les problèmes de santé, qui m’avaient humilié tant d’années, s’estompèrent. A l’âge où l’on pense à devenir un homme, je me sentais fatigué d’être un pestiféré. Abandonné de tous, j’étais seul. Quant à mon père, qui n’était pas un mauvais homme, il dut prendre la porte par ma faute, car trop influençable et dépendant à l’époque pour penser par moi-même, j’étais non-stop à l’écoute des conseils prodigués par ma mère. Et sa haine des hommes et tout particulièrement du pauvre Edmond, fit qu’a mon tour je le haïssais, sans même comprendre réellement pourquoi, mais quant elle désira s’en débarrasser je la suivi dans son dérapage. Bien m’en valu, un an après, lassée de mes faiblesses, elle se sépara de son enfant, et refit sa vie avec un être bien moins tourmenté que moi. Dans ma prison dorée, désemparé, je décidai d’ouvrir les portes de mon esprit. En véritable besogneux, ne m’épargnant aucun labeur, je me mis en tête de me déposséder de mon surplus de graisse protectrice. Pauvre Scarabée qui perdit plus de sa moitié en quelques mois ! A quinze ans, le vilain petit canard avait entièrement changé, son corps, sa façon de parler. Dorénavant tout ce que je m’étais refusé durant des années me semblait à ma portée. Je m’illusionnais, cette vérité n’existait pas, pas plus que les mensonges que je prétendais pointer du doigt. Malgré mes efforts, j’attirais défiance et mépris, ma tribu originelle ne me reconnaissant plus. J’étais devenu le métèque embourgeoisé qui n’avait plus honte de ses goûts, un paria suspect qui trahissait sa condition d’enfant du peuple. Ne vous persuadez pas que j’étais meilleur qu’un autre. L’instinct du prédateur était une chose innée dans ma personnalité, que voulezvous on ne m’avait jamais appris la compassion. De toute manière, pour le sérial des tolérants à la culture acquise, l’autodidacte ne peut prétendre à l’intelligence. Je restai donc un primate méprisable à qui on peut accorder au maximum un excédent de fluide cérébro-spinal. N’étant plus qu’une Briséis, aux méandres de ma réflexion, je n’en voulus à personne, les sociétés ont leurs règles, libre a chacun d’y déroger. 18 Fréquentant les musées, galeries ou autres lieux folkloriques, je rencontrai très vite les côtés obscurs de cette faune pittoresque et faussement bigarrée, qui s’extasiait devant le moindre art du «contemple-rien». La société des nantis, je l’avais idéalisée ; pourtant ça ressemblait plus que toute autre chose à une ménagerie de ratés. Il était intéressant de regarder tout ces gens «cultivés» se congratulant et se taper dans le dos en se faisant la bise, crachant juste après leur fiel dès que l’une de leurs victimes tournait le dos. J’arrivais mêmes à les comparer à des taureaux dans l’arène, prêts à encorner le niais matador au costume d’or pour le plus grand bonheur de la populace ; bref, tout ces gens se détestaient et se méprisaient, avec la courtoisie du silence. Dans ces lieux, des histoires trop cruelles, je peux me vanter d’en avoir connu. Mais l’une des plus picaresque et qui restera dans les annales est l’histoire du «nounours rose à pois verts», laissez-moi donc vous compter sa dramatique aventure. Un soir que je me baladais dans l’une de ces rues aux galeries solennelles de la capitale, on recevait en grandes pompes, dans la plus grande d’entre elle, La Messagère, une artiste intouchable, reconnue même aux Amériques ! Vous imaginez, par-là, le génie de cette femme. Piqué au vif par la curiosité, je me décidai à entrer. A peine avais-je mis les pieds, que je fus piégé. Deux nouveaux arrivants me bloquèrent la sortie ; et bon gré malgré, j’eus droit aux sempiternels discours qui, en plus d’être stériles et ennuyeux, emmerdent tout le monde. Pour preuve : regardez ces dandies du premier rang, restant droit comme des piquets à glace, leur bâton de bois congelé dans les fesses, et ne sachant que faire pour le retirer, de peur d’être remarqués et réprimandés comme de vulgaires écoliers. C’est quand même bien connu que si les gens venaient à des vernissages pour prendre des cours d’élocution, on l’aurait su depuis belle lurette. Dans cette ménagerie, à part se montrer, il est toujours difficile de parler d’art. Les sentiments qu’on peut éprouver devant quelque chose ou quelqu’un n’étant que subjectif et abstrait, je ne donnerai ici qu’une appréciation personnelle, mais je pense qu’il serait grand temps de ne plus vénérer ces grandes chochottes du XIXème ou du XXème, comme les Duchamp, Malevitch et bien d’autres encore, et de penser à les enterrer un peu. Mais bon, je reconnais, à ma décharge, que je n’arrive pas à être saisi par la beauté d’un urinoir, sauf peut-être quand il m’aide à me soulager la vessie. Mais revenons à « la messagère », une artiste qui a réussi, bien plus grâce a l’ingéniosité de ses cuisses qu’à celle de son génie, vous me direz qu’elle ne fut pas la première dans ce registre. Le puritanisme des années soixante s’acoquinait très bien des frasques bienfaitrices de la conceptuelle. Trente ans et dix liftings plus tard, la vamp ressemblait plus à un saucisson trop sec qu’à une beauté révolutionnaire. Pour sa nouvelle performance, elle avait accroché aux poutres du plafond, par un fil de nylon, des peluches animalières aux couleurs rose bonbon. Bien entendu, le bon peuple ici présent, jubilait à la vue de ces merveilles, à croire qu’aucun d’eux n’avait jamais été un enfant. Ce qui m’intrigua fortement fut un attroupement d’intellectuels. Curieux, je fis comme tout le monde et m’approchai. Mille commentaires s’entrecroisaient, sur un nounours à terre. Un monsieur, tout ce qu’il y a de plus propre sur lui, pleurait à la beauté de l’oeuvre d’art. Quant à moi, primaire par nature et par mon manque d’éducation ; j’eus du mal à voir autre chose qu’une peluche mal accrochée dont le fil avait cédé. Certainement que mon scepticisme 19 fut ostensible, car bien vite le bruit courut qu’un infidèle se trouvait parmi eux. Formant une coalition, ils m’encerclèrent. Une folle, plus hardie que les autres, osa me poser une question : - Vous n’aimez pas le génie de cette femme ? Que devais-je penser ? Méfiant, je me limitai donc au minimum : - Oh moi, vous savez, si pour comprendre une oeuvre d’art je dois me payer la lecture d’un dictionnaire à chaque fois, pour être franc, ça m’ennuie un peu. Qu’avais-je dit-là ? Je fus conspué du regard : - Mais monsieur, vous n’y comprenez rien ! La Messagère est l’une des artistes féminines les plus renommées à l’échelle internationale, et très fortement cotée ! Une pièce comme celle-ci (elle parlait du nounours à terre) vaut au moins le salaire annuel de deux-cents smicards. N’étant ni féministe, ni inter-mondialiste, je hochai les épaules à cette réponse. La folle, en bienfaitrice de l’artiste, se jeta sur moi, telle une harpie, me griffant, me mordant et me traitant de tous les noms, comme « fasciste », « inculte », « misogyne », ou même « communiste ». Dans sa grande tolérance, j’échappai à « terroriste », « sodomite » ou insulte suprême : « Français ». Cette aventure me fit comprendre mon erreur, dans cette nouvelle société des « culs bénis ouioui », plus aucun jugement n’était possible. Dorénavant, j’appris qu’il fallait mieux fermer sa gueule, et laisser à tout un chacun la maîtrise de son mauvais goût, tout en prenant bien garde de préserver le sien. (à suivre)

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