Les mémoires plus ou moins vrais de Maitre Scarabée le plus grand des faussaires, ou le sucide par la justice. 23eme partie

Remi Campana

              -23 Les petits bouts de bristols

Eh bien, mon histoire commencée au chapitre précédent touche à sa fin. J’en aurai eu des bons moments (et d’autres plus mauvais) en votre compagnie. Pour le plaisir, je m’amuse à une dernière réussite et je régis les cartes d’un jeu classique et simple, celui de ma vie. Je  pense à mon enfance, des quartiers pauvres ou je suis né à ma fuite en Egypte, à une échelle réduite, la Normandie. Je n’arrive pas à m’émouvoir ; à force de trottiner dans mon entendement vis-à-vis de ces gens du temps passé, il m’est difficile de m’attacher à les revoir car le présent et le futur ne sont que des leurres de l’esprit. Si je me mettais à croire en cela, je vous demanderais votre clémence mais ne possédant pas ce don, je m’en balance.

Hé, je les battais de plus en plus fort, ces planisphères de papiers ; pourtant êtes-vous comme moi, avez-vous déjà pris le temps de les regarder ? C’est inénarrable, plus je les maltraite, plus ils me paraissent ressembler à l’existence. Cinquante-deux cartes à qui on peut symboliquement attribuer les représentations des cinquante-deux semaines d’une année. Mais attention, par un tour de passe-passe, je peux faire mieux pour vous montrer ma prétendue érudition : divisez-les par leurs symboles en quatre éléments et vous obtiendrez la quaternité des quatre directions, le nord, l’est, l’ouest et le sud, une vision du monde magnifiée. Les signes fixes  correspondent aux éléments des évangiles : Saint Luc = le Taureau, Saint Marc = le Lion, Saint Jean = le Scorpion ou l’aigle serpent, Saint Mathieu = le Verseau (le seul à visage humain, le nouvel Ezéchiel). Représentations spirituelles aussi des quatre  saisons : hiver, printemps, été, automne, qui se diviseront elles-mêmes par leurs couleurs en deux plans de l’Alpha et de l’Oméga, symboliquement le commencement et la fin de toute chose. Tout d’abord le noir, le schéma vertical, masculin, délicat et divin. En y réfléchissant, c’est peut-être pour cela que les hommes ont appris dans leur langage à parler de droiture.

Avec ces cartes dans notre dextre, nous devenons l’Empereur des lumières perché sur son piédestal, prodiguant dans l’arène un droit de vie ou de mort aux gladiateurs vaincus. Élevant la paume de la main en direction du firmament, nous nous donnons l’impression d’attraper l’astre d’or, avant d’abattre, d’un geste brûlant, ces bouts de bristol sur nos adversaires de récréation.

Mais continuons ce jeu obscène, en entrant maintenant en opposition directe avec la deuxième couleur, le rouge, auquel j’attribue l’horizontal, le féminin, l’émotionnel, le romantique, le cardiaque, celui-là même qui nous fera commettre plus d’une folie. Quand les deux se rejoignent, ils forment un cocktail volcanique, une unité sphérique, matérielle et spirituelle, du corps et de l’esprit. J’exulte avec les conneries  que j’écris tout en espérant ne pas vous torturer avec mes lubies car j’ai beau raturer et en retirer, rien n’y fait : j’en rajoute et m’alourdis dans l’ennui, toujours avec ce besoin de vous l’écrire. Pardonnez-moi et s’il vous plait ! Écoutez-moi, car je suis loin d’avoir fini. Je présume que vous êtes comme mon ego, plein de défectuosités qui vous taraudent et vous querellent sans vous donner la moindre pique, cette forme stylisée de la barque-bâteau, celle qui permettra de juger l’apôtre Paul  à Rome et amènera ainsi à la création de notre Église.

Mais continuez dans le monde de l’imaginaire, que ce jeu se transforme par une coupe en deux livres et de l’ancien vous arrivez à un nouveau testament, pas encore bien défini. Nous sommes au seuil d’un christianisme-hellénisé, une secte qui se recherche, qui fait sien le combat du bien contre ce mal, semblable à un amour incestueux et fautif d’une fillette qui devient trop vite mère, par l’intermédiaire d’un saint d’esprit. Dans cette vision théologique d’un Lot  analogue à l’ivresse d’un Cynéras, ne peut-on pas voir l’arbre de la miséricorde plongeant ses racines dans la terre nourricière et s’élevant par le biais de ses ramures ? La terminaison deviendrait ainsi l’apothéose  rédemptrice de l’amour au firmament, unifiant les cieux métaphysiques par le visible sur l’invisible. Par cette vision du cœur, n’enfantons-nous pas un Christ sublimé à l’image d’Adonis,  lui aussi terminant amarré dans le sang… D’autant plus que ce jeune imbécile n’a pas trouvé mieux que d’achever sa carrière clouté sur du bois un vendredi,  jour béni des cultes idolâtres dédiés à la déesse Aphrodite. Ne peut-on apercevoir de cette manière un oxymore direct à son émule Athéna ?

N’oublions pas que cette margoton avait introduit le souffle de la vie dans le corps des hommes par l’entremise de Prométhée. Lui aussi descend du Ciel comme une divinité pour se personnifier charnellement et défendre l'Humanité. En remerciement, il doit faire pénitence en se laissant manger le foie,  l'un des rares organes humains à se régénérer spontanément en cas de dommage, une façon comme une autre de se soustraire à l’emprise du temps.

Les primitifs flamands l’avaient bien subsumé, en représentant cet antagonisme par la vision des deux jokers, les larrons , héritant de la beauté du premier et de la déchéance du second. Sur l’un, Adonis le soleil, et sur l’autre, Prométhée la lune, une vision archaïque comparable au Yang et au Yin asiatique. Le vrai génie du christianisme, c’est d’avoir symbolisé et sublimé cette vision du supplice par des polarités contraires qui s’incarnent dans des notions de confrontation morale. Face à elles, deux choix possibles : l’un refuse la pénitence, donc toute vision du  bonheur alors que le second, le christique, la considère comme un bien souverain, la félicité des consciences, le don suprême de la création ; mais le prix à payer est terrible : la souffrance à perpétuité.

L’unification peut sembler impure devant le supplice du  nouvel Adam, car celui-ci est crucifié sur la tombe du premier, acceptant par cet état de grâce « la vie », à la différence d’un Bouddha qui la dénie. Je sais qu’à force de vous envoyer toutes ces piques, vous allez vous dire : quel hurluberlu ! Mais y a-t-il de la conscience sans peine ? Retiré de son cocon protecteur, un tapageur qui porte le nom d’enfant en sortira par une expression de douleur ; par là se trouve la pureté de l’âme.

On peut considérer et voir les mêmes choses dans l’idéologie d’autres  religions monothéistes et cependant les différences sont de taille : le judaïsme ou l’islam sont et restent irrémédiablement patriarcales et de fait, ils se sont positionnés invariablement à droite tandis que le christianisme, quand à « elle », s’est positionné à gauche. Voilà pourquoi nous ne pouvons être des judéo-chrétiens : toutes nos doctrines, notre façon de penser, vont à l’encontre de la judaïté ; il serait plus canonique d’éviter et de taire ce mensonge de l’Histoire en nous appelant des néo-hellénistes. Il suffit de faire une analyse du nouveau testament pour comprendre cela.

Dans l’ordre des Évangiles, dès l’ouverture du livre, Matthieu se trouve en première position, remettant en question ce prétendu héritage, accréditant une double origine au dogme : l’un par l’arrivée des mages et l’autre par la fuite en Egypte. C’est donc un retour à la source d’une double tradition perso-égyptienne. Eh oui, mon bon lecteur, cela est bien réducteur de penser que cette Bible est la première parole de foi. La chrétienté et ses rites sont venus d’orient, réadaptés à un inconscient occidental.

Rien que pour pouffer entre nous, un petit galimatias sans la moindre prétention: trois mille ans avant J.C., un être de lumière est né le vingt-cinq décembre d’une femme indéfrichée. Sa naissance a été accompagnée par une étoile surgie de l’Est, trois rois sont arrivés à ses pieds pour le vénérer. Accompagnés de douze disciples, il se fit baptiser à trente ans.  Marchant sur terre et sur l’eau, il porta la bonne parole en soignant toute une bande d’éclopés. Il fut trahi, on le crucifia et trois jours durant, il reposa sous la pierre avant de ressurgir par ladite résurrection. Mais dites-moi, cette histoire ne vous dit-elle pas quelque chose ?

Si vous pensez que je parle du petit schmoutz, vous avez perdu. Il s’agit du grand borgne prédynastique de l’ancienne Egypte,  le dieu Horus : vous savez, le pas beau à la margoulette d’oiseau, celui qui avait permis la réconciliation des deux provinces antagonistes du Haut et Bas Empire. Bien sûr, il y a quelques nuances entre les légendes, mais vu comme notre société se délite, on ferait mieux d’y revenir ou nous allons tout droit au casse-pipe. Constantin 1er, ce grand athée et ses successeurs comme Théodose ne s’y sont pas trompés. Il était normal, après avoir recréé l’unité de l’empire, de prendre stratégiquement une nouvelle religion à la ferveur de l’état, qui arriverait mieux à dépeindre les différences de ce vaste puzzle : d’où l’arrivée de la croix, aux environs de la fin du quatrième siècle. Ce logo de deux barres, transversale et horizontale, l’alpha et l’oméga, fait que nous nous retrouvons au début de ce chapitre. Jésus-Christ, vrai homme pour certain et vrai Dieu pour d’autres, récapitule à lui seul ces deux dimensions, trait d'union entre les humains et le Père qui les rassemble tous : la chrétienté était née. Un événement cosmique et métaphysique qui, lui aussi, restait très présent dans les esprits des théologiens du premier siècle, d’où le besoin d’un renouveau spirituel et la création de cinq patriarcats : Nicée, Alexandrie, Antioche, Jérusalem, et Rome. Les Pythagoriciens le voient comme le nombre « nuptial », « le cœur » de l’harmonie et de l’équilibre, l’hiérogamie du mariage céleste du père et des principes terrestres de la mère, qui ont reconnecté les réalités spirituelles de cette mosaïque multiculturelle.

Tiens, je m’absente trente secondes, je viens de faire tomber mon as de trèfle… En le décortiquant, je me rends compte que lui aussi nous montre que l’homme est de l’ordre de l’aboutissement, qu’il est le noyau central du monde, le rapport équilibré et approximatif de la proportion dorée. Trois feuilles en forme de croix, représentant l’heure de la crucifixion du séraphin défroqué, mort pour nos péchés, essence unique des trois hypostases, celle du Père, du Fils et de l’Esprit Saint. Mais comme toutes les formes symboliques, elle a sa brebis qui ne tète pas aux mêmes saints : le trèfle eut son petit Arius qui, d’une façon détournée, sera la première pierre d’un nouvel édifice plus intolérant que le premier, qu’on nomme l’Islam.

Si nous désirons aller plus loin dans notre démence, un petit calcul à la va vite 5 (patriarcats) + 3 (le trèfle) = 8, et nous obtenons la béatitude… Hé bien, mon pauvre gars, nous sommes loin de la trouver,  vu l’entrain à mal nous comporter ! Je reste sceptique… Autrement, nous n’aurions  pas eu besoin d’inventer les religions, ou des systèmes aussi radicaux que la politique ou la justice pour nous gouverner. Cependant, une utopie reste une utopie et nous avons besoin de ces divisions pour survivre, alors vive la guerre, la mort, et les atrocités ! Ça nous ressemble si bien, pourquoi Diable en changer ?

Vous vous dites sûrement : pourquoi ce grand couillon nous raconte-t-il tout cela ? Pour rien, de toute manière, j’arrête là. Mais après vous avoir écrit toutes ces salamalecs, je me demande juste une chose, ne serait-il pas possible que quelques roublards, avec un minimum de génie, puissent créer une nouvelle foi ? Après tout, l’Islam et le Christianisme pouvant se retrouver à l’unisson et sans le moindre problème, on peut aussi placarder le Bouddhisme dans cette soupe, il suffit d’un peu raboter les écrits et d’en réécrire une partie, et voila la réconciliation faite. Reste le problème du Judaïsme, avec lui ce devrait être plus épineux de toucher a ce buisson ardent.

Mais bon, tout en parlant, je viens de me rendre compte comme Moïse que j’ai perdu ma réussite, et je n’ai pas le cœur à en refaire une. Il me reste, bien sagement, à ranger mes cartes dans leur boîte avant des les condamner au purgatoire dans un tiroir. Ma logique n’est peut-être pas des meilleures, mais il m’amuse d’y croire, et comme toutes les imbécillités, elle doit bien avoir sa part de vérité… (A suivre)

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