Les quais de gare sont des pièges à poètes
ellis
Dix minutes. Non quinze. Elle marche. Le temps des trottoirs immobiles, le temps de la ville qui se réveille et c'est l'été. Dix minutes. Elle a dix minutes encore. Elle presse le pas. Elle se demande. La gare, c'était quand la dernière fois ? Elle secoue la tête machinalement. Elle se souvient. C'est loin et les attentes sur le quai ont toujours trop de points communs. Ce matin elle a fumé en dansant pieds nus dans l'herbe parce qu'elle savait qu'il était dans le train. Et que bientôt, elle serait face à lui.
Quel visage a-t-il ? En vérité elle ne se le demande pas. Elle sait qu'elle sait. Elle l'a connu avant de le connaître. Conneries de poètes. Conneries romantiques de poètes romantiques. Et quand bien même, elle s'en fout. Elle est poussée par une force vive. Une de ces choses du ventre. L'instinct. Force nécessaire. Elle avance, front nu et brave. Elle part à sa rencontre. En elle, elle lui avait avoué dès le début.
Elle pense qu'elle fait moins la maline maintenant qu'elle est devant le tableau d'affichage et que c'est Quai 46.
Elle voudrait ressortir fumer. Mais c'est moyen pour un premier bonjour, l'odeur de la clope dans la bouche. S'il a fumé au dernier arrêt, elle s'en fichera, elle croit qu'elle aimera même un peu ça. Elle descend. Ce quai lui saute à la gorge, souvenir vieux et un peu dur. Même plus mal. Même pas peur. Elle avance. Guerrière au front de lune. Elle va s'offrir sur un plateau d'argent. Ce que ça peut être long un TGV. Les wagons s'enfilent à n'en plus finir et les gens n'arrêtent pas d'en sortir. Ca dégueule sans discontinuer. Elle s'est arrêtée mais elle ne le sait pas. Elle scrute. Elle s'imagine le voir avancer vers elle d'une minute à l'autre. Elle croit que c'est ce grand type à lunettes. Il est plutôt moche. Ca n'a pas d'importance. Elle se dit tant pis. Ou plutôt tant mieux. Oui, tant mieux. Mais non. Il lui passe au travers. Elle se dit tant mieux.
Elle se remet à marcher alors. Et elle le voit. Sûr que c'est lui. Il a une dégaine d'aventurier. Avec son sac à dos et ses cheveux bouclés. Il porte un t-shirt bleu affreux. Il ne la voit pas tout de suite. Il pense qu'elle l'attend devant la gare.
Un jour, elle lui avait dit qu'elle viendrait glisser sa main dans la sienne sur un quai de gare pourtant.
Quand il la reconnaît enfin, ses yeux s'allument. Il sourit et ouvre les bras. Il la serre contre lui. Elle est plutôt pudique et tremble un peu, désarçonnée par la franchise de ce premier contact. Dans son cou, elle reconnaît son odeur. Elle tremble un peu parce qu'elle tombe. Et qu'elle sait. Tomber amoureuse d'un oiseau, c'est juste… tomber.
Putain de conneries de poètes. Putain de quais de gare.
Y a des putains qui sonnent comme des je t'aime. Les pieds au chaud. J'ai voyagé des années en arrière ;-)
· Il y a plus de 9 ans ·lilu
ça me fait sourire tu sais que tu te sois arrêtée sur celui-ci... m'étonne pas pour les années en arrière, on en a tous des histoires avec un quai de gare ;)
· Il y a plus de 9 ans ·ellis
Le titre est déjà excellent.
· Il y a presque 10 ans ·...mais le texte amplifie cette première impression. Et c'est ben tant mieux parce que fin est aussi bonne que le titre: "Putain de conneries de poètes. Putain de quais de gare.". Excellent !
wic
grand sourire. contente (très) que ça te plaise.
· Il y a presque 10 ans ·ellis
Superbe…
· Il y a presque 10 ans ·Et en plus, cette histoire ressemble tellement à celle que mon fils vient de vivre…
nyckie-alause
merci... Alors votre fils est riche de quelque chose, même si on a tous peut-être quelque part une histoire avec un quai dans le décor, nan ?
· Il y a presque 10 ans ·ellis
Je suis absolument sous le charme de tes mots. De ce texte.
· Il y a presque 10 ans ·clouds6
Merci, beaucoup.
· Il y a presque 10 ans ·ellis
J'ai pas de mots, c'est con.
· Il y a presque 10 ans ·C'est splendide. On dit peut-être pas ça d'un texte.. c'est le premier mot qui m'vient. J'adore. Vraiment, c'est pire que topissime.
dreamcatcher
Il me fait sourire fort ton commentaire. Merci :)
· Il y a presque 10 ans ·ellis