Lettre

la-tete-en-neige

Mes chers parents,

Prenez tranquillement place sur le canapé en vieux cuire et installez confortablement votre esprit au creux de mes mots. Ne vous inquiétez pas, rien de grave, je vous réserve simplement une surprise qui devrait faire plaisir à vos cœurs amoureux d’art. D’ailleurs, à l’heure où je vous écris, un bonheur sans nom envahit mon esprit, mais il ne sera complet que lorsque j’aurai pu le partager avec vous. Ainsi, vous qui sillonnez depuis toujours les longues allées des musés. Vous, dont les yeux ont touché les peintures ainsi que les sculptures les plus anciennes, connus, réputées et étranges du monde entier. Vous, dont la critique affutée a fait parler le beau monde. Vous, dont la connaissance n’a pas plus de limite que n’en a l’imbécilité. Vous, mes chers parents, c’est à vos yeux experts que je montre ma première création. Restez assis, car à la seconde ou vous lisez ces mots, mon art commence sa promenade, sa course dans le couloir de vos cœurs fanés. Je vais vous expliquer un art sans beauté, un art sans talent, mais un art avec le cœur, les tripes, et qui vous parlera plus que ma bouche ne le fera jamais. En face de vous, à droite, ce que l’on appelle un arbre de Noel. Ce beau sapin qui fleure bon la forêt, avec toutes ces boules multicolores, cette mousse de neige synthétique, et ces guirlandes en papier de miroir. A ses pieds, ce sont des cadeaux. Ils servent à faire plaisir et sont généralement emballés de papier de couleurs vives, de longs rubans fluides. Quelle étrange coutume, n’es-ce pas ? Maman, pourrais-tu aller ouvrir le paquet argenté, celui avec le fin ruban rouge ? Je te remercie. Tire délicatement le ruban puis enlève le papier. Désormais, soulève le couvercle. Il est pour toi. Regarde, c’est un ours en peluche, on en donne aux enfants. Tu as vu comme cet ourson est beau, comme il est doux, comme ses yeux implorent l’amour, la douceur, la tendresse ? Je le trouve adorable. Maintenant, papa, je voudrais que tu ailles chercher le paquet bleu au étoiles noirs, ouvre le délicatement, je ne voudrais pas que tu l’abimes en le faisant tomber. Ceci est un gâteau au chocolat fait par mes soins. Vous sentez cette odeur ? Meilleure que celle des plats préparés qui tournent en rond dans le micro-onde vous ne trouvez pas ? N’ouvrez pas le reste des cadeaux. Je les réserve pour plus tard. Maintenant je voudrais que vous regardiez les dessins qui jonchent le sol. Vous avez vu comme ils sont moches ? Ce sont mes dessins, bien sur, vous le savez, les dessins de la honte. « Un couple d’artiste met au monde une enfant aux traits maladroits et sans caractère, à la plate imagination. » Maman, tu aurais du avorter au lieu de croire au mythe de la fabuleuse destiné de l’enfant non-désiré.

Mais j’y pense, toute ces découvertes ont du vous ouvrir l’appétit ! Régalez vous : fondant au chocolat démoulé il y a moins d’une heure. Je voulais que mes mains servent à quelque chose au moins une fois. Quand vous aurez fini, je voudrais que chacun de vous deux ouvre l’un des deux paquets restants au dessous du sapin de Noel. Mais prenez le temps de savourez le chocolat encore tiède, et le nappage au caramel. Que vos dents trop blanche se salissent et que vous n’ayez pas le temps d’aller dans les trois minutes vous brosser les dents pour être polis parfaits présentables et irréprochablement propres.

A ce stade là, je souhaiterais vous féliciter pour les progrès accomplis : avoir eut environ 5 minutes d’intérêt pour votre progéniture. Plus long que toutes les conversations que nous avons pu avoir ensembles jusque-là. Ah ! Mais c’est que j’oubliais votre perpétuel dialogue avec l’art : pourquoi parler avec un tableau raté ? C’est vrai ca ? Temps perdu. Je vous offre donc la position du lecteur, qui n’a pas à échanger avec l’auteur de la lettre, qui n’a pas à chercher ses mots. J’entretiens votre passivité, et je me délecte d’avance, j’imagine et je jubile. Comme une mère attendrit par la scène de sa petite fille en train de déballer avec empressement la fameuse poupée tant rêvée, je trépigne d’impatience de vous voir, père et mère, ouvrir les deux derniers cadeaux sagement déposés aux pieds de mon merveilleux sapin. Allez-y donc, pressez vous, mon art doit susciter l’excitation, la surprise, la joie, mais également : l’effroi. Oui, chers géniteurs, vos yeux ne se trompent pas, ce sont bien là mes dix doigts. Ces doigts, terriblement gauches, ces doigts handicapés, ces doigts dénués de tout talent. Encore tièdes eux aussi, découpés il y a moins d’une heure.

Alors ? Comment trouvez-vous mon art ? Un sapin de noël, l’odeur de la sève et des aiguilles de pin, la lumières multicolore des ledds rouge et orange, couleurs si chaudes, si chaleureuses, et la rondeur des boules, et toutes ces paillettes, ce chocolat, cette douceur, et cette douceâtre odeur de sang et cette si belle image de mes mains amputée de la honte. J’ai mis la honte dans une boîte pour vous. Car au delà du plaisir de se voir offrir quelque chose, il y a le plaisir de celui qui offre. Ainsi, à cet instant précis, je partage une chose avec vous : le bonheur de savoir qu’il n’y a que moi qui prends plaisir à cette magnifique scène. L’intense joie de savoir que l’absence de larme pointera du doigt votre absence d’humanité. Et que cette dernière vous rongera lentement et douloureusement, jusqu’à ce que vous me retrouviez.

Ah oui, et aussi, en bas de la maison, tout en bas, après chaque grain d’air, après chaque goutte de vent, après chaque éclat de soleil, sur le sol, il y a moi. Oui, j’ai sauté dans le vide. Car telle était ma vie, un cadeau sans cadeau à l’intérieur.

A tout de suite.

Signé

Lili, Marie, Lucie … comme vous voudrez. Comme vous serez capable de vous en souvenir.

Signaler ce texte