Lettre à M. Beigbeder, un peu et à M. Finkielkraut, beaucoup

Jean Basile Boutak

N'aimons-nous pas la même littérature ? C'est ce que je me suis demandé ce matin, douze novembre de l'an de grâce deux mille onze, en éteignant mon poste — pour être honnête, en fermant la fenêtre de mon navigateur internet, connecté sur le site de France Culture. 

J'ai beau réfléchir, je ne comprends pas pourquoi je goûterais moins un texte sur ma liseuse que sur du papier et par extension, pourquoi diable le numérique signerait l'arrêt de mort de la littérature. Ma liseuse, comme son joli nom l'indique, est faite pour lire, et rien que pour ça. Son écran non rétro-éclairé ne me fait pas mal aux yeux, c'est aussi confortable que du papier. Si si. Et point de piapia : pas de mail, pas de twitter, pas d'appel, pas de tchat. Modèle récent, elle ne dispose pourtant pas de haut-parleur et son clavier est rudimentaire. J'ai constaté que je lisais plus vite et que j'étais mieux concentré sur ma lecture : est-ce grave docteurs ? Avec le livre papier, le piapia de l'objet en lui-même n'avait de cesse de me déranger : la couverture, l'inconfort à lire couché, l'envie d'aller voir d'un coup de pouce la dernière page, l'impression exécrable de certains ouvrages. Rien de cela me manque. Pour l'odeur de l'encre et du papier, j'ai trouvé la solution : j'arrache quelques pages d'un livre de Christine Angot, je les roule et m'introduit le résultat de cet origami dans les narines ! C'est tout de même plus flatteur pour l'auteur que de finir à un autre endroit de mon anatomie, qui fut néanmoins l'objet de ma première idée (il faut me comprendre, je souffre du syndrome du colon irritable et quand je lis de la merde, lui en produit).

Je n'ai jamais lu Proust. Pourtant, comme lui, j'aime les madeleines mais à chaque fois que je l'ai croisé en librairie ou en bibliothèque, il m'a fait peur. Les éditeurs prennent-ils un malin plaisir à rendre les grands auteurs, comme Paul, austères ? Ce matin, vous m'avez donné envie de découvrir ce brave Marcel dont la moustache a toujours su attirer ma sympathie à défaut de ma lecture. Le lire en numérique me décomplexera, j'en suis sûr. Sur ma liseuse, ce sera un fichier comme un autre : ni plus gros, ni plus petit, ni écrit plus fin, etc. Sur ma liseuse déjà réglée en fonction de mes préférences de lecture, je pourrai dompter le livre pour aimer le texte, peut-être. Une question me taraude néanmoins : lire Proust sur mon engin de mort intellectuel fera-t-il de moi un moins grand et bon lecteur que si j'avais eu le courage de m'y attaquer sur papier ? Par quelle magie le sens des mots va-t-il changer par le truchement d'une édition numérique ?

Je veux bien entendre les interrogations existentielles de M. Beigbeder mais de grâce, M. Finkielkraut, prenez un Lexomil avant de parler de livre numérique la prochaine fois ! Vos propos d'intellectuel, inquiet pour l'un, angoissé par la mort pour l'autre, n'élèvent en rien la littérature. Ou plutôt si, mais pas de la manière la plus noble. En vous écoutant, c'est l'image du chien et du maitre s'amusant à tenir la baballe trop haut pour que le premier l'attrape qui m'est venu spontanément à l'esprit.

Pourquoi faut-il absolument que lecteurs papiers et lecteurs numériques s'entretuent ? Ne pouvons-nous pas coexister ? Un camp doit-il avoir raison sur l'autre à tout prix ? Notre cerveau malade, à nous autres lecteurs numérique, n'appelle pas de tous ses voeux la mort de la littérature, bien au contraire. Nous avons soif de nouvelles (re)découvertes. Le numérique, c'est aussi la possibilité d'éditer de nouvelles formes de littérature, ou de plus anciennes aux qualités reconnues mais dont la part de marché n'est plus assez importante pour justifier l'impression sur papier. Nous sommes avant tout des lecteurs, et nous avons d'ailleurs tous été des lecteurs de livres papiers. Je n'ai jamais vu un adepte de la lecture numérique souhaiter la disparition du livre papier : certains l'ont tout au plus prédit, ce qui n'est pas la même chose. Merci de laisser à chacun le choix du piapia qu'il préfère.

Oh, et puis rassurez-moi, c'est bien le texte qui vous fait vibrer, vous aussi ?

PS : M. Finkielkraut, la lecture numérique ne s'attrape pas par une poignée de main, pas plus que le sida en tout cas.

  • Vous avez raison, cette citation est incroyable : « Il me semblait que ces nuances célestes trahissaient les délicieuses créatures qui s’étaient amusées à se métamorphoser en légumes et qui, à travers le déguisement de leur chair comestible et ferme, laissaient apercevoir en ces couleurs naissantes d’aurore, en ces ébauches d’arc-en-ciel, en cette extinction de soirs bleus, cette essence précieuse que je reconnaissais encore quand, toute la nuit qui suivait un dîner où j’en avais mangé, elles jouaient, dans leurs farces poétiques et grossières comme une féerie de Shakespeare, à changer mon pot de chambre en un vase de parfum. »

    Revu récemment, à ce propos, le magnifique film d'Akerman (à partir de MP) : http://www.dailymotion.com/video/x8pfz8_la-captive-bande-annonce-fr_shortfilms

    Merci et bien à vous
    AD

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Alix davies 465

    Alix Davies

  • Depuis l'écriture de cet article, j'ai lu "Du côté de chez Swann" et j'en ai parlé sur mon blog : http://e-jbb.net/2011/12/02/je-suis-alle-faire-un-tour-du-cote-de-chez-swann/

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Photo nb 150x150 92

    Jean Basile Boutak

  • D'accord pour la co-existence ! Et OUI, il faut lire Proust ! :)
    C'est magique. On n'est pas obligé de lire toute La Recherche in extenso mais commencez à lire les premières pages Du côté de chez Swann, comme ça, un dimanche avec une bière ou un thé selon votre préférence et vous verrez, il n'y a rien d'inquiétant, c'est juste incroyablement beau :)

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Alix davies 465

    Alix Davies

  • Je ne pense pas que ce soit de l'obscurantisme ou du matérialisme. Je pencherai plus pour du fétichisme... Je ne vois aucun problème moral ou pratique à être fétichiste d'ailleurs, tant qu'on respecte ceux qui ne le sont pas. A chacun de prendre son plaisir comme il l'entend. Bonne lecture donc !

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Photo nb 150x150 92

    Jean Basile Boutak

  • Bien pensé et bien écrit
    C'est certain que la liseuse a beaucoup d'avantages pour les voyages notamment mais appelez cela de l'obscurantisme, du matérialisme ou du fétichisme, les livres que j'aime je veux pouvoir les sentir, les caresser, les respirer...

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • Internet devait tuer le livre, la télévision devait tuer le livre, la radio devait tuer le livre, le cinéma devait tuer le livre...
    La littérature est une sacré cliente hein ? Pas si facile de s'en débarrasser, yé yé yé.
    La question qui néanmoins me brûle les lèvres, concernant finkielkraut est la suivante :
    Avec le temps et l'énergie que ce type dépense à dire des conneries, où trouve-t-il en plus les ressources d'en écrire ?!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Lo new york

    riatto

  • est-ce la querelle des anciens et des modernes remise au goût du jour par quelques nostalgiques de la bataille d'Hernani?? Lire, qu'importe le flacon pourvu que l'ivresse soit au rendez-vous, et s'il faut boire au goulot des écrits-vains je me passerai volontiers du verre en cristal, la lecture n'est qu'une relation entre des dessins étranges et les yeux, sur ce bravo pour ce texte j'adhère

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Très juste!

    · Il y a plus de 12 ans ·
    Un inconnu v%c3%aatu de noir qui me ressemblait comme un fr%c3%a8re

    Frédéric Clément

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