L'homme Patate

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Bien installé face à la lucarne de son antre, M.Patate prit une grande inspiration et se mit à gribouiller frénétiquement quelques lignes sur un vieil emballage cartonné qui traînait à proximité. Son visage affichait un large sourire et ses yeux pétillaient d’excitation.

            Comme d’habitude, il fourra ensuite le morceau de carton dans une bouteille de verre qu’il lança d’un geste sûr par la fenêtre. La main en visière, il la vit s’écraser quelques mètres plus loin, au beau milieu du chemin principal du parc voisin dont -exploit !– elle avait magistralement franchi le grillage. Cette bouteille devait avoir des gènes de sauteur à la perche dans le sang.

Une heure plus tard à peine, M. Patate s’impatientait déjà. Il entreprit pour faire passer le temps plus vite de se plonger dans la lecture. Entre deux pages, il s’endormit.

Il se réveilla en sursaut vers 19h30, un filet de bave reliant ses lèvres purpurines au bouquin. Fébrile, il se précipita sous la douche, s’astiqua tous les plis de couenne avec grand soin, et lustra son crâne dégarni. « Beau comme un nourrisson qui vient de naître », selon sa propre expression, il courut se coller au judas de la porte d’entrée et attendit encore.

Lorsqu’un frisson lui parcourut tout le corps, il se souvint qu’il était encore nu comme un vers et que la lucarne était restée grande ouverte, laissant entrer le froid et la pénombre qui s’abattait doucement sur la ville. Il se résigna à se draper dans une vieille nappe tachée de café ici et là : ainsi, il paraîtrait une sorte de friandise enrobée, toute prête à être dévorée. Après un temps de réflexion, il opta pour la nouer autour du cou en guise de cape et, planté devant la glace, s’entraîna à dévoiler son anatomie en un artistique déploiement de tissus. Il employa ensuite son temps à arpenter les lattes du parquet de long en large, tout en jetant de furtifs coups d’oeils par la fenêtre et par le judas. L’obscurité gagnait du terrain.

 Son excitation s’essoufflait à vue d’oeil, et 23h sonnèrent, il était désormais persuadé que personne ne viendrait plus. Une fois encore, il avait espéré en vain, et il ne lui restait plus qu’à rejoindre Suture, son ours en peluche, sous la couette,. Serrant l’énorme boule de poil dans ses bras, il se recroquevilla en position fœtale. Plus une trace de joie, ni d’envie en lui. Que du découragement, de l’abattement, et ce sentiment exécrable que rien ne changerait jamais. Visage fermé, mâchoire serrée, seuls ses yeux bleu glacier restaient grands ouverts, humides, transperçant l’obscurité sans même chercher à y voir quelque chose. Certes, il en convenait il n’était pas très beau. Tout du moins, il ne correspondait pas aux canons de la beauté en vogue. Son corps, de taille moyenne, s’était tassé avec l’âge. Sa peau burinée par un soleil qu’il avait fini par fuir gardait un aspect parcheminé. Son ventre… son ventre était aussi rond et lisse que le sommet de son crâne chauve, et ce n’étaient pas vraiment des jambes qui soutenaient l’ensemble mais plutôt deux canes affublées de pieds de hobbits poilus. Il serra un peu plus fort Suture de ses petits doigts boudinés, et quand il cligna des yeux, une larme s’échappa. A l’intérieur, il sentit cet abyssal besoin d’amour qu’il s’évertuait régulièrement à étouffer lui broyer littéralement le cœur tandis qu’une incroyable vague de douleur lui distendait le corps, bloquant sa respiration.  Un jour il imploserait, c’était obligé.

Il ne demandait pourtant pas grand-chose... Tous les jours il observait ses congénères désespérément en quête d’amour, de tendresse et de passion, de sentiments et de frissons. Il pensait naïvement qu’il suffisait d’un peu d’audace et de sincérité pour que tout ce beau monde y trouve son compte, c’est pourquoi il avait rédigé cette invitation qu’il jugeait des plus honnêtes et des plus alléchantes : « J’veux des calins, des bisous, des corps-à-corps enflammés, j’veux qu’on s’mélange, qu’on s’emboîte qu’on se déboite et qu’on se re-boite! Vous qui lisez ces lignes, considérez-vous comme invité ! Je vous attendrai chez moi ce soir, au quatrième étage de l’immeuble au coin du parc. Signé : Votre Serviteur Priape ».

            Décidément, jamais il ne comprendrait la nature humaine. Une seule certitude : il n’était pas le seul à s’endormir tous les soirs, résigné et malheureux comme les pierres, la queue entre les jambes et les fantasmes en bandoulière. Où étaient-ils, ces autres lui ? Demain encore, il les traquerait dans le moindre recoin.

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