Part que je te retienne

Mini Pouce

La voilà décidé qui commence à avancer furieusement au travers de ce sentier à peine praticable. Elle a les poings serrés et le visage crispé par la violence des mots qui lui viennent en tête.

Au loin on l’entend lui, crier à plusieurs reprises : « cesse de faire ton enfant, revient ! » 

Elle est décidée, on sent l’assurance à chacun de ses pas et pourtant son chemin ne semble mener nulle part, mis à part s’enfoncer loin dans cette forêt. La bruine qui se dépose délicatement sur ses vêtements ne semble pas non plus l’arrêter, au contraire on aurait presque l’impression qu’elle a été posée ici pour couvrir ses larmes.

-       Il a encore été trop loin, répète-t-elle à demi mot.

Depuis le début, elle le sait, ce jeu va finir par tourner mal et pourtant elle est prise au piège. Elle se sent enfermée dans cette boucle infernale d’amour et de violence.

Qui va gagner ?

De toute façon le jeu est lancé, il l’a provoqué, elle sait qu’elle n’a aucun moyen de s’en sortir, il doit renoncer avant elle. 

-       Il ne gagnera pas cette fois, je vais m’enfuir dans la forêt, je vais me perdre et il me retrouvera morte de froid s’il ne se décide pas maintenant. Il va venir me chercher, je le sais… Je ne suis pas son jouet, il doit apprendre à respecter ma volonté !

Après s’être retourné deux ou trois fois, elle s’aperçoit qu’il n’a pas pris la peine de la suivre, il a tellement l’habitude de ce jeu stupide qu’il ne voit plus aucun intérêt à y prendre part. Seulement pour elle, il n’y a pas d’autre chemin que la provocation.

Elle a pourtant déjà essayé d’arrêter ce cinéma plusieurs fois, mais c’est impossible. La violence est devenue leur seul langage. 

Après quelques mètres de marche rapide, le souffle un peu coupé elle décide de sortir du chemin et de s’enfoncer un peu plus loin.

-       Cet arbre fera l’affaire !

Elle s’assoit contre un chêne suffisamment imposant pour la protéger de la pluie. Elle s’imagine déjà devoir passer la nuit à cet endroit. Il n’est que 18h14 et par cette journée de fin d’été, elle sait que le soleil ne va pas disparaître tout de suite. Le temps lui paraît déjà beaucoup trop long, mais elle doit tenir et résister.

Elle repense à leur dispute.

Encore une fois, un tout petit rien à pris des proportions immenses, comment en sont-ils arrivés là ? Elle ne sait déjà plus, alors qu’elle fouille dans sa mémoire, elle s’occupe les mains compulsivement en détruisant toutes les feuilles et petits bouts de bois qu’elle peut trouver autour d’elle. Son visage lui apparaît sans cesse, elle se retourne à chaque bruit et espère le voir.

Elle a l’impression de le connaître depuis toujours et surtout elle ne peut déjà plus imaginer sa vie sans lui. Elle a grandi à ses côtés, elle était si jeune lors de sa rencontre. Le monde était à sa portée et elle a le sentiment d’avoir renoncé à l’aventure pour le suivre. Le suivre ou ? Dans ce tourbillon de violence ?

Il n’y a toujours eu que ça entre eux : un amour dévastateur et obsessionnel. Se détruire à coups de mots et de gestes pour mieux se retrouver dans le chagrin.

Elle repense aux nombreuses fois où elle a voulu le quitter. À peine avait-elle pris la décision que le téléphone sonnait sans relâche, il venait devant chez elle et la suppliait de revenir.

Il hantait chacun de ses gestes et surtout toutes ses pensées. En quatre années, il avait réussi à faire d’elle, l’objet de tous ses désirs, mais surtout il l’avait tellement formaté, qu’elle avait perdu toute confiance. Elle ne vivait plus que dans la provocation et l’amertume. Si elle réussissait à faire preuve de volonté et que la distance durait plus de deux jours, alors il la menaçait de sombrer, de dépasser les limites et surtout de ne plus jamais revenir.

Elle le voyait partout, elle pouvait sentir son odeur dans toutes les pièces de la maison. Et puis chaque fois qu’elle passait quelque part, son ombre du passé revenait hanter la pièce.

Elle aura bien essayé pendant plusieurs mois de le quitter et d’apprendre à vivre sans lui. Mais elle vivait par procuration, chaque geste et chaque décision lui était destiné. Elle le voyait partout, au détour d’une rue, le soir dans le métro. Elle reproduisait sur les autres cette même violence qui faisait leur amour. Bien sûr cette distance n’a pas duré, elle devait reprendre son souffle, comme une drogue qui la possédait, bientôt elle se retrouvait de nouveau dans ses bras.

Aujourd’hui elle se sent épuisée de ce manège, elle se rend compte que la violence n’a jamais de limite et qu’elle a perdu tout le pétillant de sa jeunesse. Elle n’a que 21 ans et pourtant tout semble déjà trop tard.

Assise là devant l’immensité de la forêt, elle voudrait pouvoir pleurer, hurler sa douleur, mais son corps ne peut plus. Elle en vient même jusqu’à donner des coups de poings dans l’arbre devant elle, elle veut souffrir pour pleurer, relâcher cette pression qu’elle à au fond d’elle.

Elle le savait depuis le début, ils sont identiques en tout point, révolté et en même temps mélancolique. Ils ne savent pas vivre autrement quand dans la passion. Le jeu n’aura de fin que dans d’atroces douleurs ou dans la mort. Ils ont toujours eu besoin l’un de l’autre pour vivre, ils se dévorent lentement.

Deux heures viennent de s’écouler, elle n’a pas vu le temps passer.

Elle sait qu’après toutes ces années, il a pris le temps de déposer des chaînes sur tout son être. Ses pensées ne sont plus libres et elle a parfois l’impression qu’il la contrôle à distance.

-       Il ne viendra pas.

Elle sent que la partie est presque perdue, il ne sera pas venu et elle se sent honteuse et surtout elle cherche une solution pour s’échapper de la honte. Il serait tellement plus simple de s’avouer vaincu et d’abandonner la partie, c’est trop tard il a pris possession d’elle, il ne laissera plus partir sa proie.

Elle descend lentement en direction de la cabane de leurs vacances, elle le sait le jeu va recommencer, peut-être demain, peut-être tout à l’heure. Avant ça ils vont s’aimer encore et se désirer jusqu’à ne plus pouvoir. 

  • un texte qui raisonne aussi beaucoup en moi

    · Il y a environ 14 ans ·
    Violon manray orig

    Juliette Delprat

  • CE TEXTE M'A RENVOYE A UNE HISTOIRE TRES DOULOUREUSE OU CHACUN SE PREFERE A L'AUTRE,MAIS L'IGNORE.EN TOUT CAS,IL NE LAISSERA PERSONNE INDIFFERENT.

    L'ESTIME DE SOI,POUR EVITER LES GALERES.OU ALORS,LA PATIENCE:DANS MOINS DE CENT ANS,IL N'Y PARAITRA PLUS.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Photo chat marcel

    Marcel Alalof

  • Esclave consentie, pour résumer

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Mcs btndown orig

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  • Pour le bestiaire : J'adore !
    Je vais pouvoir lire les autres :)

    · Il y a plus de 14 ans ·
    1 orig

    Mini Pouce

  • C'est bien l'ivresse d'une passion destructrice.
    Elle est pris au piège, elle ne peut pas tuer celui qui est son maître. Il la possède. Elle sait qu'elle se détruit, qu'il la détruit. Mais au final c'est lui qui a fait d'elle ce qu'elle est maintenant. Et puis elle n'est sans doute pas innocente.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    1 orig

    Mini Pouce

  • Ce n'est sans doute pas un jeu, mais bien une prison!

    · Il y a plus de 14 ans ·
    S5001282 orig

    amouami

  • Tu as mis le doigt dessus Cerise : "survivre" n'est pas "vivre". Le seul point commun entre les deux, c'est "ivre", pour sûr.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Mcs btndown orig

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  • pourquoi elle le tue pas ? c'est possible de survivre à quelqu'un qui n'existe plus.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    10712727 927438223957778 7773632960243052824 n

    cerise-david

  • J'ai vu que tu avais posté sur le bestiaire.
    http://www.welovewords.com/documents/danger-public
    http://www.welovewords.com/documents/peau-de-vache
    Dans le même genre

    · Il y a plus de 14 ans ·
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  • C'est vrai. Je me retrouve prise sur le fait. :)
    D'une extrême à une autre.
    J'aime ta conclusion.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    1 orig

    Mini Pouce

  • Tu oublies le présent ... c'est le seul endroit où on puisse trouver véritablement son compte. En tout cas, c'est ma conclusion.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Mcs btndown orig

    .

  • Tous les conseils sont bons... mais on le sait il n'y a que l'expérience qui nous sert réellement. l'écriture nous aide souvent à nous rendre compte de tout ça.
    Au final... certaines personnes se plaisent dans le passé, et d'autres dans le futur. A chacun d'y trouver son compte.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    1 orig

    Mini Pouce

  • Une fuite, mais sans rien construire, je connais, j'ai déjà testé. J'ai la réponse, mais cela fait sans doute partie des expériences qu'on ne peut qu'évoquer ou écrire, sans qu'elles profitent à qui que ce soit.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Mcs btndown orig

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  • Merci. :)
    A croire que ce jeu est finalement plaisant, vu qu'on arrive pas à aller de l'avant.
    Je ne sais pas, en fait je n'ai pas la réponse.
    Une fuite en avant ?

    · Il y a plus de 14 ans ·
    1 orig

    Mini Pouce

  • Aller de l'avant. Les seuls décisions qu'on regrette sont celles qu'on a pas prises. Telle est ma devise. Coup de coeur.

    · Il y a plus de 14 ans ·
    Mcs btndown orig

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