L’odeur de la terre

Susanne Derève

J'achète parfois des journaux
que je ne lis plus
J'ai éteint la radio
 
La télé, il y a longtemps
que je l'ai remisée auprès du vieux fourneau
dans la cave où je ne vais plus
 
Le monde et les souvenirs
sont un carcan qui tient trop chaud
 
J'ai semé au jardin des graines
de tournesol et de roses trémières
J'ai dégagé les sauges de leur gangue de lierre
 
Chaque matin j'arrose la terre
Elle n'en a pas besoin
Ici il pleut … des seaux
 
Mais j'aime l'odeur de la terre mouillée
et le bruit que fait l'eau
dans l'arrosoir  de fer
 
Quand la rosée s'accroche aux toiles d'araignées
que les gouttes irisées tremblent
dans la lumière
 
Et de les voir
suffit à me combler
 
Devrais-je dire suffit  à mon bonheur
- Faut-il nommer
   ce qu'on ne peut atteindre -
 
Non loin de moi
le pivert me regarde de son œil étonné
et va et vient sans se presser
S'il me prenait pour une pierre ?
 
Je me contente de ce que m'offre la journée.



Illustration : tableau de Gabriele Münter
 
 
  • d'une autre façon, ça me fait penser à ce qu'écrivait Camus dans les "Noces à Tipasa"

    Au printemps, Tipasa est habitée par les dieux et les dieux parlent dans le
    soleil et l'odeur des absinthes, la mer cuirassée d'argent, le ciel bleu écru, les
    ruines couvertes de fleurs et la lumière à gros bouillons dans les amas de
    pierres. À certaines heures, la campagne est noire de soleil. Les yeux tentent
    vainement de saisir autre chose que des gouttes de lumière et de couleurs qui
    tremblent au bord des cils. L'odeur volumineuse des plantes aromatiques
    racle la gorge et suffoque dans la chaleur énorme. À peine, au fond du
    paysage, puis-je voir la masse noire du Chenoua qui prend racine dans les
    collines autour du village, et s'ébranle d'un rythme sûr et pesant pour aller
    s'accroupir dans la mer.
    Nous arrivons par le village qui s'ouvre déjà sur la baie. Nous entrons dans un
    monde jaune et bleu où nous accueille le soupir odorant et âcre de la terre
    d'été en Algérie. Partout, des bougainvillées rosat dépassent les murs des
    villas ; dans les jardins, des hibiscus au rouge encore pâle, une profusion de
    roses thé épaisses comme de la crème et de délicates bordures de longs iris
    bleus. Toutes les pierres sont chaudes. À l'heure où nous descendons de
    l'autobus couleur de bouton d'or, les bouchers dans leurs voitures rouges
    font leur tournée matinale et les sonneries de leurs trompettes appellent les
    habitants.
    À gauche du port, un escalier de pierres sèches mène aux ruines, parmi les
    lentisques et les genêts. Le chemin passe devant un petit phare pour plonger
    ensuite en pleine campagne. Déjà, au pied de ce phare, de grosses plantes
    grasses aux fleurs violettes, jaunes et rouges, descendent vers les premiers
    rochers que la mer suce avec un bruit de baisers. Debout dans le vent léger,
    sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la
    lumière descendre du ciel, la mer sans une ride, et le sourire de ses dents
    éclatantes.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Tulip  avr  21  03

    rechab

    • Au bout de quelques pas, les absinthes nous
      prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les
      ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous
      la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute
      l’étendue du monde un alcool généreux qui fait
      vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de
      l’amour et du désir. Nous ne cherchons pas de
      leçons, ni l’amère philosophie qu’on demande
      à la grandeur. Hors du soleil, des baisers et des
      parfums sauvages, tout nous paraît futile.

      Noces : je l’ai lu et relu autrefois, comme
      Vol de nuit de Saint-Ex ; ça fait longtemps que je
      ne l’avais pas ouvert

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Susanne Derève

    • oui, c'est toujours magnifique dans la description, le ressenti et la sensualité

      · Il y a environ 6 ans ·
      Tulip  avr  21  03

      rechab

  • Ce texte me touche beaucoup ! C’est lorsque dans la vie l'on a tout essayé, que l'on se rend compte de la richesse de ce qui se trouve à nos pieds.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • merci, et un jardin ça fait vivre et ça rythme la vie.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Susanne Derève

  • Votre poésie est pleine de pureté, d'humilité et de simplicité... Loin du bruit, de la violence et de l’hystérie, il y a encore des êtres d’exception qui savent se contenter de l'essentiel. Vous en êtes définitivement ma chère Susanne.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Profil

    Julien Darowski

    • merci Julien , mais je ne cesserai jamais de vous dire que vous êtes trop idéaliste !

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Susanne Derève

  • Peut-être ce poème est-il au milieu du gué entre la célébration de ce qui est et celle de ce qui aurait pu être.

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Photo 1 orig

    Alain Balussou

    • oui avec l'arrosoir !!! (ceux en fer, hein, pas en plastique, cette chose diabolique !

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

    • ce qui aurait pu être ou ce qui n'est plus... mais enfin dans un jardin il y a toujours la promesse de ce qui sera peut-être ...

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Susanne Derève

    • Exact. Enfant, je réprouvais les jardins clos, n'admettant pas de limites. Il faut vieillir pour comprendre que ces barrières sont d'abord en nous, et que d'un tout petit jardin peuvent naître des trésors fragiles, dont le lendemain sera encore différent.

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Autoportrait(small carr%c3%a9)

      Gabriel Meunier

    • oui parfois même en ville de plantes sur un balcon ...
      pour ma part, j'aime imaginer le futur d'un jardin et je m'émerveille toujours de la fantaisie de la nature, les plantes qu'on croyait perdues et qui renaissent quelques années après de ces graines endormies dans la terre

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Susanne Derève

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