l'origine

gun-giant

Connaissez-vous le fait que vous connaissiez ? D'où vient votre connaissance ? Et comment ce serait si vous n'aviez plus cette connaissance ?

Impossible ! vous élancez vous ? Et, pourtant, le texte qui suit vous raconte une histoire profondément enfouie en vous. Écoutez-là !

                                                        L'ORIGINE

   Sur la terre aquatique, pétrie de marécages, l'eau et la terre, la nuit et le jour, étaient mêlés dans une noce de pétillements électriques...

L'explosion qui créait la Terre venait d'avoir lieu et, pendant que reposait le magma de terre et d'eau encore secoués de spasmes brûlants, montaient, dans les ténèbres et le poids de l'atmosphère, de lentes vapeurs phosphorescentes...

Longtemps..

Ô longtemps, longtemps après, le soleil éclata la coquille des brumes électriques et gazeuses...L'œuf de la vie était brisé...

Mais là - Là !- tout flambant des profondeurs, flottaient les deux moitiés d'un nid d'algues bleues.

Une lumière descendait comme une fraîcheur. Devenait végétation courant, s'entrelaçant aux formes qui se dégageaient déjà de l'eau opaque… comme des nids.

Les contractions de l'eau ouvraient les formes jusque dans leur cœur. L'une de l'autre, les formes étaient dépeignées, démêlées par les doigts de lumière...Ainsi naquirent l'homme et la femme ...De l'épaisseur qui leur fut commune...

Mais sous la lumière, la blessure de la séparation de leurs corps clos d'avec l'illimité extérieur qui les créa, rougeoyait implacable...sauf pour eux...

Accroupis, la femme et l'homme regardaient le limon de leurs origines. Il y avait déjà un univers dans l'humble idée qu'ils étaient vivants... Dans ce LOISIR total en cet état primitif où la forme du corps ne faisait qu'un avec lui, nous avait, déjà, explicité Joë Bousquet.. Où tout le corps s'enroulait autour d'un regard comme s'il allait jaillir des yeux. Ou bien les anémones ondoyantes tressées au fond des yeux semblaient aspirer la vision ruisselante...Tout roulait en flot dans ce corps transparent, comme un main ouverte, comme une poignée fermée, sur la totalité de ce qu'il pouvait retenir...Il respirait les ondulations de ses chairs qui giclaient, glissaient , se dénouaient, se déroulaient, détachant de nouvelles bulles, de nouvelles alvéoles que venaient chatouiller, épouser les nectars ambiants...La lumière bourdonnait à toutes les charnières polies entre les pluies bouclées, autour des frémissements que salivaient les arbres devant les balancements bleus...Les parfums relançaient leurs sillages. Épaississaient l'espace entre les choses d'un courant si dense, si dansant, que tout semblait être retourné comme un gant, avant que de s'envelopper ,d'un frisson dans la forme qu'elles tendaient tout en elles-mêmes...L'homme et la femme sentaient leurs corps se dévider, se dérouler puis suivre les virages de leurs sens au tambour de l'identique mouvement qui se répétait en tout...Ils étaient du même ballet. La vie qui les habitait se tapissait de la vie qu'ils habitaient...Comme les marées de la Terre répondent aux courants de l'eau, rien n'arrête le cours des sens palpitants de la tête aux pieds. Les yeux vivaient comme des mains, les mains comme des narines, les oreilles comme des bouches, les bouches comme des poissons...Et l'huile de cette cuisine faisait tourner les poulies de leur corps, le retenait du filet des cheveux brumeux - pour rebrasser, pétrir un nouveau caressant festin...Un neuf sommet que les choses se mettaient à découvrir, en raréfiant leur matière, dans l'invention de leur complétude la plus courante...Oui la femme et l'homme regardaient le limon de leur origine...Leurs yeux comme la lumière qui ne jouissait d'elle même qu'en se mêlant, s'immiscent à ce qu'elle illuminait. Nos yeux resteraient le cœur de nos origines pour leur éternité…

     Mais les sons gutturaux que l'homme et la femme éructaient dans les ténèbres avaient ouvert entre eux - une autre blessure plus profonde que leur corps. Deux moitiés d'un même nid, leurs respirations mêlées dans l'eau d'un seul et même miroir, puis démêlées jusqu'aux racines de leurs souffles…les sons qu'ils grondaient ne brillaient plus que comme le scintillement de la vie souterraine…La lumière ne les avait pas traversé…Ô le son boueux des mots…et si nos mots ne sont plus que brumes en ténèbres, nos corps resteront la trace de ce qu'il nous reste à faire…

        Les yeux sont des têtes d'oiseaux

        Et mon corps voudrait suivre cet envol double

         mais reste figé dans la pesanteur de la chair

         Jusqu'à ce qu'y remonte ses odeurs

         son passé déchiqueté de mer

         qu'il s'ébroue s'ouvrant à l'air du soleil

Comme je voudrais sortir du ventre de la Terre.

Et, dans cet effort, l'homme se tendit tel un arbre. Hissé sur ses racines, il aspira l'infini de l'air - secoua sa tête pour qu'elle se déploie comme un arbre - où ses yeux se posèrent comme oiseaux…L'œil devient l'oubli de la lise des origines. Cette eau quittée, le corps fut attiré de tous ses poils vers le soleil. L'homme courait vers sa vie, le centre de sa  vie : le soleil…Pour que le son soit le pollen suspendu de la vie, pour lui faire suivre la carte entière du corps, de tous ses ruisselets, rivières, fleuves, de ses côtes ôtées…Pour qu'il demeure mémoire et moires et s'incurve et jaillisse avec autant de dimensions que la vie - ne fallait-il pas l'arracher, le son, à la gangue des ténèbres de sa vie souterraine ?…Le soleil y courait ! Le soleil ! Un trou blanc qui tourne de plus en plus vite dans le nacre de sa force - aspirait, suçait les yeux de l'homme, potier de sécheresse - lui boutonnait le dos, éteignait l'œil ivre d'arbre, l'œil lacustre et volcanique qu'on appelle le troisième œil. La troisième oreille, de même, s'était flétrie et faisait glisser toute la fermeture éclair de la tête…L'homme ne pouvait revenir à lui-même…La blessure de la séparation de son corps clos d'avec l'illimité extérieur qui le crée rougeoyait implacable…

     L'homme naîtrait, désormais, de ce qu'il créerait. Alors , il revint vers la femme toujours accroupie…Il vit en cette eau mobile et profondément obscure l'écho d'une image la plus proche de sa vie… Dans ses poils, il savait les racines qui les enfonçaient dans les profondeurs qui leur furent communes….Les pulpeuses contractions de l'eau lui frôlaient de nouveau la peau. L'homme voulut retrouver le fourreau de son origine…

Partout ce n'était que soleil triomphant et la femme se refermait sur la nuit de son ventre...Le corps clos à la lumière, la femme protégeait dans son ventre, les lenteurs végétatives qui l'avaient conçue…

      L'agile argile qui m'a créée est dans mon ventre

      Je resterai toujours créée !!!

      Et dans la houle maritime de toute chose qui se fond dans toute chose

       J'apprendrai les secrets de l'origine - je donnerai la vie !

L'homme voulut retrouver cette profondeur de la vie, ces ténèbres terrestres lui semblaient caresses face au supplice du soleil. L'homme tomba dans le ventre de la femme : il se vouait à naître d'elle…

Le ventre lourd d'un océan, le femme accepta l'homme fort de son ventre d'arbre…Et les ténèbres recouvrirent l'origine…La lumière devient le temps…Plus que les mots comme "passeurs"…Il y eu même un passé et un avenir, de quoi recouvrir la présence légère du présent, de cette lourde chape…

     Mais c'est là - Là ! - au cœur de la vie, que les mots que la femme et l'homme se disaient restent un silence…Et ne peuvent faire tinter du comment au pourquoi  - si le mythe voit la femme sortir de l'homme, en être issue, la réalité fait sortir l'homme de la femme, naître d'elle. La parole est l'origine de l'homme. Et la femme naquit de l'image…Pèse ces mots avant de connaître le poids de ce qu'il reste à dire… Car du silence qui pesait sur la Parole et l'Image, la vie s'appauvrissait à l'infini…Notre façon toute personnelle de vivre l'origine demeure, ainsi, complètement autobiographique. Elle nous décrit beaucoup plus que nous ne l'entrevoyons, tous nos choix s'y sont donné rendez vous. Formant, dans la discrétion, un des piliers de notre connaissance du monde, l'expérience de l'origine demeure incontournable. Ce qui veut dire que chaque élément qu'elle nous apporte risque d'être une découverte. L'étymologie de ce mot vibre-t-elle du côté de telles découvertes ?

                                                ÉTYMOLOGIE EN BOUCLE

     Parcourons l'étymologie "d'origine" et faisons même un détour  par le "Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du 9ème au 15ème siècle" (de Frédéric Godefroy, - F. Wieweg éditeur 1888) où nous trouvons des déclinaisons comme origenal, originance ou origination, originacion ou encore ce "passer procuration et origine à un greffier du conseil de faire et expédier ung acte" où "origine" signifie "procuration authentique". Le Grand Robert de la langue française précise "du latin originem, accusatif de origo, inis, de oriri se lever, naître". A élargir au maximum l'aire de notre recherche, nous nous apercevons que bucca, bouche a remplacé os, oris, dans les habitudes d'écriture. Justement, "or" comme racine se retrouve dans oral, orifice, orée ou bien ourler ou orient, la racine "or" exprimant l'idée de surgissement, de naissance. Afin de compléter, signalons le latin "aborigines" par qui les romains désignaient les habitants primitifs de l'Italie, ceux qui étaient là dès l'origine : ab-origines, ab à partir de, origo, originis, l'origine.

…..Quelles sont toutes les sensibilités qui frisent dans le mot lui-même ?

1 - le Temps. Le point de départ, la première apparition ou manifestation, le premier commencement absolu, la naissance , la création : les mots liés sont berceau, aurore, nid, enfance, primitif, premier ou dès, depuis .

2 - 1a filiation. Le lien avec les ancêtres, la généalogie, l'ancienneté, le milieu dont on vient  : les mots liés se disent embryon, germe, noyau, source .

3 - le lieu . La provenance : les mots liés sont, alors, découler, dériver, procéder, provenir .

4 - le sens. Le fondement explicatif mais qui ne fixe pas un moment dans le temps, cause première sans nuance temporelle, instance qui inaugure un ordre mais en ne présupposant pas un socle préexistant : les mots liés vont du côté de base, fondement, principe, cause, raison, être à l'origine de.

L'origine comme première, primitive dans le temps se densifie par le rajout de première dans l'ordre des choses (cette primauté, pour le moment, a permis, par glissement du descriptif à l'explicatif, de "légitimer" les pouvoirs) et se structure par des configurations comme provenance, début, mais encore point de départ (temps, lieu, filiation) de ce qui est envoyé (source) ou soubasement de ce qui est construit (explication) qui participe du sens, de ce qui donne de la signification..

L'origine se révèle avoir tout à voir avec le langage. Et d'ailleurs le lien étymologique d'origine renvoie à "l'etumos", au "vrai" qui l'est par recours, retour au sens premier, donc à l'origine du mot. L'étymologie, le vrai par l'origine ? Du fait que le langage lui-même a créé le temps, le point de départ sert, principalement, de répartition, de géométrisation du monde. D'arpentage et de dénomination, de séparation et mise en sens comme en vecteurs directionnels…etc, l'origine a beaucoup à voir avec le sens. C'est un jalon spatial, un point qui parvient à centrer tous les regards voués, autrement, à la dispersion chaotique. Un point de repère et le cœur de toutes les  mesures possibles : le socle le plus à ras du sol de solidité du réel, solidité à partir de laquelle vous pouvez peser, mesurer, observer les évolutions dans le temps...etc Le seul fait que nous n'ayons créé ni l'univers, ni la vie, mais que nous sommes "créés" ouvre au mot "origine" la clarté de l'acte de départ, de séparation, d'éloignement. Son origine importe énormément à qui est créé. De la revivre personnellement, sans aucune concession à l'esprit de l'époque, notre origine reste le moyen imparable de nous débarrasser d'absolument toutes les mythologies de non participation à nous-mêmes. Méthode pour s'extraire de l'individualisme lorsque sans issue ? Retrouvez tout ce qu'implique une origine, par exemple, l'impossible séparation d'avec ce qui nous a créé, nous a offert une origine. Nous ne pouvons , sans grave danger pour le sens de la vie et de notre place dans ce processus,. nous ne pouvons, si ce n'est dans la posture "pertes et fracas", nous séparer de  la Nature, c'est, en effet, nous rendre inaccessibles à la vie et à l'univers… L'origine surgit bien comme ce qui nous éloigne de nous-mêmes ou bien ce qui nous rapproche de nous-mêmes. Aux conséquences jaillissantes d'importance. Par la concentration recueillie accompagnée d''hyperactivité de tous les vecteurs de sens qui se rassemblent tous dans l'origine : l'origine, se révélant le départ de tous les sens (espaces, temps, récits linéaires…etc), en demeure aussi le point possible de tous les dérapages. Un angle d'un degré s'ouvre à un balayage de plus en plus grand, rappelez-vous, rien dans le germe d'un degré d'angle ne laissait paraître l'écartement du résultat actuel. Ménageons les germes, les sources, les causes lorsqu'elles obtiennent de si rapides résultats. Qu'est une époque qui ne sait plus les genèses, les tâtonnements, les lentes maturations, le respect pour les cheminements particuliers inclus dans tout développement ? "L'individualisme" ne semble pas aimer les gens en particulier, leur singularité , leur originalité différenciatrice : il ne semble courir que vers la négation des autres . Pouvons-nous nous affirmer par la négation ?

       Pour terminer, tentez de résonner à la troublante rencontre "d'origine": entre gyne, gunê, femme, comme dans gynécée, misogyne ou gynécologue et oris, bouche. Oris-gyne : bouche et femme !. Se pourrait-il que du lien féminin et bouche; jaillisse la source de plus amples éclaircissements ?

à partir d'éléments poétiques, faire partager et ressentir une expérience

de retrouvailles avec les sensualités des origines.

dépasse tout de même et les cadres poétiques et les cadres scientifiques:

appartient , ainsi, à la saveur du savoir

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