Louange aux durs (et reproche à peine dissimulé)

mineka-satoko

Point trop ne faut, très cher, de votre dureté,

Sachez, malgré votre rancune, votre colère :

Même les putains méritent d’être payées,

Et je suis à ce titre votre créancière.

Aujourd’hui, je vois, je ne vous suis plus rien.

C’est bien triste au fond, car je vous ai transmis

La charge de souffrance utile à vos écrits

Malgré moi, j’affirme ; vous le savez bien.

Ne prendrez-vous pas un instant en pitié

La muse déchue, « la muse juvénile

Qui vous crût unique, sensation gracile » ?

Non. Ne pardonnez pas à cette amitié

Qui, à défaut de ne pouvoir plus vous offrir,

A tenté de vous donner le goût de la vie,

Et n’a jamais voulu voir de peine souffrir

Vos yeux cernés de noir, en étant votre amie.

Ne me pardonnez pas, donc, vous avez raison

Car si la perte me coûte si cher à moi,

Qu’à me voir disparaître vous êtes si prompt,

C’est donc que je pleure une amitié de bois.

Entendu mon cher, soyez donc raisonnable,

Et fuyez promptement les liens du passé.

Excusez néanmoins l’amie de février

De s’attarder un peu sur ce qui l’accable :

De toutes les charges que je dois supporter,

De vous avoir peiné, de vous avoir trahi,

De ne pas vous aimer, d’avoir poursuivi

Fougueusement l’ami que vous avez été,

Le plus dur aujourd’hui est cette calomnie :

Quel démon de l’Enfer vous pousse à m’accuser

D’avoir, de vos beaux sentiments, joué et ri,

Quand je pleurais de voir cette fin s’approcher ?

Suspendez vos écrits, prenez votre cerveau,

Et réfléchissez-y : pourquoi donc commettrai-je

Pareille ignominie, honteux sacrilège

A mon meilleur ami, le plus cher, le plus haut ?

Je croyais en vous bien plus qu’en moi-même.

Mon admiration, ma fascination,

Pour votre talent, frôlait l’adoration,

Jusqu’à, certains moments, vous en laisser blême.

Quels malins défauts et quelle perversité

Prêtez-vous aux femmes,  à leur amitié,

Et à moi plus qu’une autre ? Je préfère en dedans,

Vous penser aveuglé par un malheur plus grand,

Une courte folie, un drame intérieur,

Plutôt que de penser que vous crûtes un jour

Que volontairement je fis votre malheur

Et ridiculisai vos sentiments d’amour.

Maintenant mon ami apprenez donc ceci :

Parfois le crépuscule mendie à la nuit

Un peu de répit, une éclipse de Lune ;

De quoi simplement suspendre la rancune

Et de se souvenir de qui sont nos amis.

Signaler ce texte