MA FEMME
Doris Dumabin
> : lors des dialogues indique que le personnage précédent reprend la parole…
Frédéric allait assassiner son voisin. Non mieux, il allait le torturer. Ou mieux encore, l'enfermer dans une caisse et l'expédier à l'autre bout du monde. Il se tourna dans son lit, la tête sous l'oreiller, en se demandant si payer une maison un million de dollars ne lui permettait pas d'être un peu tranquille chez lui. Et puis quelle idée de forniquer en plein milieu de son jardin à quatre heures du matin !
Il se tortilla pour décoincer son énorme érection d'entre les draps. Sa faim était si démesurée et si intense qu'il avait l'impression de ne plus maîtriser son corps, ou du moins cette partie de son corps. Elle ne faisait plus partie de lui. Cette chose était alienne. Il ne voulait pas se trouver dans cet état surtout alors qu'il était seul dans son lit. Il s'était encore réveillé en proie à un rêve érotique complètement torride et il en comprenait aisément la raison. Son cerveau avait dû percevoir les miaulements voisins avant même sa conscience. Et maintenant qu'il était réveillé, impossible de revenir en arrière. Au bout d'une demie heure de ce traitement, il ne savait plus quoi faire, il se décida à glisser la main le long de son corps pour attraper son sexe. Moins de cinq va-et-vient le long de sa verge et il s'arrêtait. Il en avait assez de se soulager seul. Il voulait un corps doux et chaud, un endroit humide et accueillant, des caresses et surtout des mots d'amour. Avec sa maîtresse, il avait tout eu sauf la tendresse et l'amour et il avait fini par renoncer à une relation aussi glauque basée uniquement sur le sexe. Au début, il le faisait pour punir sa femme, ensuite il avait apprécié la facilité de leur arrangement et tout était devenu routinier… Désormais, il n'arrivait plus à réagir en sa présence. Son corps avait décidé autrement. Et il ne voulait pas choisir quelqu'un d'autre. Il voulait sa femme !
Frédéric descendit l'escalier, comme chaque matin à six heures et demie mais avec une dose de stress beaucoup plus forte que d'habitude. Il n'arrivait pas à nouer sa cravate ce qui l'énervait d'autant plus. Ce matin, il devait proposer le projet de l'agence à leurs clients. S'il était accepté, leur concept de centre commercial vert serait le premier à voir le jour dans cette partie du globe. Un jackpot en milliards de dollars. Mais voilà, une seule chose l'obsédait : le sourire d'Elya. Ou son absence de sourire. Il se demandait comment elle allait réagir ce matin. Si elle le remarquerait seulement. À chaque fois qu'il se regardait dans la glace, il se trouvait certes trop mince, mais il ne voyait pas d'autres changements significatifs. Il était toujours celui qu'elle avait passionnément aimé, celui qu'elle trouvait irrésistible. Pourtant aujourd'hui il se trouvait laid. Maintenant qu'elle ne l'aimait plus, il se sentait insignifiant, moins que rien, minable. Il fit une pause sur l'avant dernière marche, inspira un grand coup et tenta de se reconcentrer sur ses objectifs. Le professionnel, la santé et ensuite… le reste. Il passait la journée au travail, la soirée au tennis ou au squash et il rentrait trop tard pour réfléchir au reste. Il était devenu complètement accroc à ce rythme. Le seul qui lui permettait de tenir.
- Frédéric, j'ai eu ta mère et elle menace de venir si tu ne l'appelles pas.
Frédéric n'avait rien vu venir. Il pensait la trouver dans la cuisine. Il avalerait alors un expresso en la dévisageant discrètement du coin de l'œil, prendrait son journal et s'en irait pour sa demi-heure habituelle d'embouteillage matinal. Seulement cette fois, elle venait juste de sortir chercher le quotidien sur le pas de la porte et elle l'avait surpris. Heureusement, il n'avait pas sursauté. Il se tourna vers elle, en sachant parfaitement ce qu'il allait voir mais fut tout de même subjugué par cette vision enchanteresse. Elle était encore plus belle que la veille. Depuis trois mois elle avait repris du poids, des couleurs et semblait moins triste. Elle s'habillait à nouveau, prenait soin d'elle. Exactement comme avant. Sauf que désormais, un gouffre les séparait. Une douleur poignante le transperça de part en part. Il inspira fortement même si son geste passerait à ses yeux pour de l'agacement. Il lui arracha son journal et se dirigea vers la porte en lançant un merci du bout des lèvres. Pas de café ce matin. Elya referma les pans de sa robe de chambre en cachemire. Frédéric se demandait toujours pourquoi elle se levait aussi tôt alors qu'elle n'avait pas repris la direction de sa boutique de relookage d'intérieur. Il la dépassa avec soulagement.
- Frédéric, attends.
Frédéric ne pouvait pas attendre. Il s'arrêta pourtant à mi-chemin de la porte et resta de profil, sa sacoche serrée contre sa cuisse. Il serra la mâchoire en la voyant chercher ses mots. Elle tortillait une longue mèche de cheveux noirs comme la nuit et se mordillait légèrement les lèvres. Il leva les yeux au ciel. Il avait passé plus d'une heure à retrouver un état normal et en une seconde, elle avait réussi à le mettre dans le même état d'excitation que deux heures plus tôt.
- Oui ? fit-il avec une certaine irritation.
- J'ai vu Andrew hier et je…
- Pas pour coucher avec lui ?
Elya fronça les sourcils.
- Tu sais bien qu'il n'y a eu qu'une seule nuit. Et c'était après que tu te tapes Donna.
Ils s'étaient disputés tellement de fois à ce sujet que Frédéric connaissait leurs répliques suivantes par cœur. Cette fois, il se contenta de serrer la mâchoire à se faire mal et garda pour lui les raisons de son écart de conduite.
- Alors, il t'as proposé quoi cette fois "notre ami" Andrew ? ironisa t-il.
Elya se garda de lui expliquer encore une fois qu'Andrew était désolé pour cette trahison, qu'ils avaient trop bu et qu'elle n'était plus elle-même après ce qui s'était passé. Frédéric connaissait son ancien ami, Andrew était venu alors qu'il était absent et en avait profité pour coucher avec sa femme après lui avoir fait boire quelques verres. Son histoire à dormir debout ne passait pas avec lui.
- Ce n'est pas Andrew d'ailleurs, c'est moi. Je pense… à divorcer.
Une bombe A s'abattit dans son cerveau, pulvérisant ses neurones et atomisant toutes les barrières de contention de ses affects. Il se sentit se décomposer sur place. Elya écarquilla les yeux et recula en ressentant les ondes de sa colère, réaction collatérale incontrôlable.
> Fred… je pense que nous en parlerons ce soir. Ne… écoute…
Mais, il avait préféré tourner les talons et rentrer immédiatement dans l'habitacle sécurisé de sa voiture. Sécurisé contre les accidents de parcours mais pas contre sa femme. Pourtant, dès qu'il fut au volant il se sentit mieux. Il réalisa tous les exercices de relaxation et de respiration que le médecin lui avait conseillé et avant d'arriver à l'agence, il se sentit plus calme. Après un an de froide cohabitation, elle avait raison de penser à divorcer. Et en parler avec lui était la moindre des choses après tout ce qu'ils avaient vécu ensemble. Il aurait détesté recevoir la signification de rupture de leur contrat de mariage par voie d'huissier. Ce soir, ils en discuteraient comme deux adultes et ils arriveraient certainement à mettre les choses à plat.
Comment osait-elle ? C'est lui qui aurait dû divorcer. Comment osait-elle faire comme si le problème venait de lui ? Elle le quittait ! Une seconde fois car leur parodie de mariage ne masquait pas leur séparation. Le reste n'était que de la législation. C'est lui qui aurait dû s'en aller durant sa dépression. Un an de chute libre dans la douleur, aucun homme sain de corps et d'esprit ne serait resté avec une femme dans cet état. Surtout si cette femme ne voulait plus le voir, lui parler ou le toucher, rejetant même sa présence dans la même pièce. Au début, lorsqu'il insistait, elle se mettait à vomir comme s'il l'indisposait physiquement. En y repensant, il eut envie de pleurer. Mais il avait déjà versé trop de larmes sur leur mariage. Il en avait assez. Terminé. Ce soir il était en colère. Il avait passé une excellente journée. Le contrat était quasiment signé, leurs clients avaient adoré, l'idée d'un dôme végétal protégeant un village à ciel ouvert entièrement en bois en plein milieu de la cité. Un endroit alliant détente et achat. Un espace de loisirs autant que pratique. Puis il avait commencé sa séance de squash et tout avait basculé. Sa colère était revenue, s'intensifiant à chaque frappe. Son adversaire avait très vite jeté l'éponge, il s'entraînait donc seul face à ce mur blanc, passant sa rage sur cette balle. Plusieurs couples perdaient leur premier enfant et arrivaient à s'en sortir ; eux avaient échoué. Il avait interdit à Elya de participer à la sortie en kayak sur la rivière durant leur vacances, mais elle avait ri de sa prévention arguant qu'à six mois un bébé était bien accroché. Et puis il n'y avait pas de vagues. Sans autre argument que sa crainte, il avait cédé, et le vent s'était levé. Les vagues étaient arrivées petit à petit. Elya avait tout de suite rebroussé chemin, ils avaient cru que tout allait pour le mieux mais durant la nuit tout avait basculé. Elle s'était réveillée en sursaut et n'avait pas tardé à se tordre de douleur. Plusieurs heures plus tard elle accouchait d'un bébé déjà mort depuis plusieurs heures. Assister à l'accouchement avait été la pire épreuve de sa vie. L'espoir que les médecins se trompent, malgré le cœur qui ne battait plus. L'espoir que quelqu'un arrive à réanimer ce petit être tant espéré. Mais en le voyant, ils avaient su qu'il n'y avait rien à faire. Aucun espoir à attendre. Il était si beau, si petit… et bleu... inerte ; pas rose et geignant comme un nouveau né normal. Ils avaient pleuré ensemble durant toute la nuit. Au matin tout avait basculé. La colère était apparue. Il lui avait reproché de ne pas avoir écouté son conseil alors qu'il ne savait même pas depuis quand le bébé était mort. Un reproche infondé en somme. Et elle avait sombré dans la souffrance. Elle se sentait coupable, indigne de mettre un enfant au monde. Leur monde s'était écroulé. Leur merveilleuse histoire d'amour avait brûlé, ne laissant que des volutes de souvenirs et des cendres de regrets. Frédéric avait fini par la tromper avec une des nombreuses femmes de sa connaissance qu'il n'écœurait pas et la violence s'était installée entre eux, brisant les restes calcinés de leur mariage. Pourtant ce soir, il rentrait avec un autre état d'esprit. Il ne voulait pas la laisser partir.
Pouvait-il violer sa propre femme ? Non, jamais il ne ferait une chose pareille. Il l'aimait trop pour ça. Il ne pourrait pas voir la peur dans son regard et la sentir frémir de dégoût à son contact. Pourtant en ce moment, il n'arrivait plus à réfléchir consciemment. Il ne serrait pas ses liens lâchement comme lors de leurs jeux érotiques, il serrait pour qu'elle ne puisse pas se détacher. Elle ne se débattait pas pour faire semblant, elle voulait vraiment s'écarter de lui et sortir de ce lit. Elle se demandait ce qui lui arrivait, pourquoi il réagissait ainsi. Mais il ne pouvait pas lui répondre. Il ne pouvait pas parler. Quand bien même, que pourrait-il dire qui ne paraisse pas complètement dingue. Il garda donc le silence. Il lui attacha résolument les bras joints à la tête de lit et les chevilles en entourant les liens à chacun des pieds. Ils avaient choisi leur lit dans cet unique but. Elya aimait la domination. Elle aimait qu'il ne lui laisse pas le choix et la prenne sauvagement en lui entravant ses mouvements. Et lui aussi avait aussitôt terriblement adoré ça. Ils avaient appris ensemble à satisfaire l'autre. Son expérience passée ne comptait pas. Tout ce qui s'était déroulé avant leur rencontre n'avait plus jamais compté. Ils avaient tout redécouvert ensemble. Il l'avait révélée à elle-même en tâtonnant, en trébuchant, en discutant, en découvrant pas à pas les limites de leur plaisir. Un apprentissage passionné qui les avaient rapproché. Ce soir, il avait décidé de tout recommencer à zéro, exactement comme au début quand il la connaissait à peine.
Elle avait levé la tête en le voyant arriver ce soir avec ses vêtements enfilés rapidement, les cheveux encore humides de sa douche à la salle de sport. Elle allumait des bougies pour la table du dîner, une attention qu'elle n'avait plus eu depuis longtemps. Il n'avait rien dit, avançant vers elle en grandes enjambées furieuses, le corps déjà avide de la dompter. Il s'était baissé pour la saisir par les cuisses et la porter dans leur chambre. La chambre qu'il occupait seul depuis qu'elle l'avait désertée. Elle n'avait pas réagi tout de suite. Elle avait posé des questions affolées sans se débattre pourtant. Elle ne le croyait pas capable de lui faire du mal et ses interrogations freinaient son raisonnement. Quand il l'avait projetée en travers du lit, lui laissant à peine le temps de se réceptionner avant d'attacher ses poignets, elle avait commencé à se débattre en le repoussant tout en tentant de défaire les liens. Confiant, il avait simplement attaché sa jambe opposée avant de s'occuper de son dernier membre encore libre. Maintenant qu'elle se trouvait à sa merci, il l'observait. Elle était encore plus belle que le matin même, les cheveux en bataille et le souffle court. Sa robe était relevée jusqu'à la taille et il voyait sa culotte dont la bordure supérieure était transparente. Une bretelle avait fui son épaule dévoilant la soie de son soutien gorge. Elle l'observait avec crainte et circonspection. Elle ne s'affolait plus. Elle ne criait pas, alors qu'il s'était attendu à ce qu'elle réagisse plus violemment. Non, elle aussi l'observait : son t-shirt blanc, sa G-Choc de la même nuance et son jean. Il la sentit retenir son souffle en découvrant la bosse qui érigeait sa poche gauche. Elle releva vivement les yeux.
- Fred…
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