Ma Madeleine

Cathy Galliègue

Mon esprit était parti vers mon père, aux pleures qu'il avait essayé de contenir au téléphone quand il m'avait prévenue que mémé était morte.

Ma petite mémé, celle chez qui tout était repère, tout était familier, tout était confortable. Rien n'avait bougé depuis des lustres. 


Le tiroir à chocolat, la petite paire de ciseaux à ongles pendue au crochet de l'armoire de la salle de bain, le bruit de la porte du sous-sol, le parquet qui craque, l'odeur de la maison, la tarte aux pommes, l'encaustique, l'odeur de mon enfance.


Elle nous attendait en tripotant de ses mains potelées le coin de son gilet sur sa silhouette rondelette. Elle nous recevait avec toujours le même sourire, son regard vert pâle juste un peu plus trouble, la démarche de moins en moins assurée, toute petite, de plus en plus petite.

Sa vie ne lui avait pas appartenue, elle l'avait donnée aux autres. 
Frères, sœur, mari, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, une vie à s'oublier, à n'être heureuse qu'au travers de notre bonheur à tous.


Rien, elle ne regrettait rien…

Partir, s'endormir chez elle en nous sachant tous heureux, voilà ce qu'elle voulait.

Son corps lui faisait mal. Rien n'était épargné. Tout était usé. La tête et le cœur allaient bien. 
Garder le cœur pour nous aimer, jusqu'au bout, et la tête pour la lucidité. Voir sa vie qui foutait le camp et encore hésiter à demander, ne pas déranger.

Elle nous a tous dorlotés, soignés, nourris, embrassés et toujours gentiment disputés. 
La maison de ma grand-mère, c'était mon port d'attache, mon refuge.

Madeleine était la raison de mon équilibre et je n'ai jamais su lui dire.
Je ne voulais pas qu'elle parte, jamais. Tant que ma grand-mère était là, j'y étais aussi, encore un peu enfant, toujours sa petite rouquine.

Elle avait peur ma petite mémé. Bien plus que la peur de mourir, c'était la peur d'aller dans une maison pour les vieux qui la tétanisait.

Bien sûr, elle ne pouvait plus faire grand-chose, même sortir sur le trottoir pour acheter son pain au boulanger ambulant, elle ne pouvait plus. Elle ouvrait sa fenêtre, tendait le bras, attrapait sa baguette, échangeait quelques mots de tous les jours, puis retournait dans sa boîte. 


Les journées passaient ainsi, rythmées par quelques visites, le téléphone, parfois le médecin. 
Elle ne se faisait plus à manger. De toute façon, elle n'avait envie que de sucré et puis, avec ses yeux, elle ne voyait même plus ce qu'il y avait dans son assiette.

Et puis elle est partie.

Le service Porte de l'hôpital de Compiègne.

Service Porte, un entre-deux. L'endroit où l'on stocke ceux dont on ne sait que faire, là où on attend… La sortie, une chambre normale, ou la fin.

C'est là qu'elle a passé les deux derniers jours de sa vie si petite et si utile.

Signaler ce texte