Ma Polonité

milomi

La Pologne vissée au coeur

A Haute-Avesnes, Pas de Calais, France, le 21 juillet 2013.

 

Très chère Marta,

Je vous écris cette lettre afin de vous remercier. Une lettre, c'est peut-être démodé à l'heure du tout numérique, mais selon moi un simple commentaire « cinq étoiles » sur le site Airbnb n'aurait pas été à la hauteur de tout ce que vous avez fait pour moi.

Il y a tellement de choses pour lesquelles je vous suis reconnaissante. Je n'oublierai jamais ces deux semaines du mois de juin 2013, passées dans votre charmante demeure de Sękowa.

Dans ses écrits, feu mon grand-père décrivait la région comme boisée, au relief accidenté, formée de bosquets et de collines verdoyantes. Il disait que les villages du coin ne ressemblaient à rien de ce qu'il connaissait en France. Les maisons étaient bâties à distance les unes des autres, plantées au milieu des récoltes. C'était là que ses parents avaient vécu, avant d'arriver en France en 1928.

Suite à sa mort, j'ai pris conscience d'une chose. Je ne connaissais de lui qu'une infime partie de sa vie. Je savais ses origines polonaises. Je savais son amour pour la langue et la culture de ce pays qui m'était totalement inconnu. Mais rien de plus. C'est pourquoi j'ai décidé de partir. De me rendre dans le pays de son cœur, le pays de mes ancêtres.

Lundi 3 juin 2013, 14 heures 30, heure locale : me voilà débarquée à Cracovie, avec un simple sac à dos et deux mots de polonais dans la bouche. « Tak » et « Dobranoc ». On aurait pu en faire un sketch.

Le sens de l'hospitalité et la générosité des polonais que me décrivait mon grand-père ne sont pas un mythe, et vous en êtes la preuve vivante. Vous avez su me faire découvrir votre langue maternelle, si belle, mais tellement difficile à prononcer lorsque l'on vient d'un pays latin. Des accents partout, des ogonek qui ressemblent à des cédilles mais qui ne sont pas des cédilles, de nombreuses consonnes qui se suivent dans un même mot sans voyelles… Des subtilités que je suis parvenue à apprivoiser, grâce à vous.

J'éprouvais le besoin de découvrir Małopolska, de comprendre pourquoi mon grand-père était si fier de cette région du sud de la Pologne qu'il avait visitée tant de fois. Mais par où commencer ? Où aller ? Depuis le début, j'étais captive de tendres et paisibles illusions. Je pensais que ça serait simple. Qu'un aller-retour pour Cracovie suffirait à marcher sur les traces de mon grand-père et de sa famille. J'ai été stupide. Près de cent années se sont écoulées depuis le départ de mes arrières grands parents pour la France. Qu'est-ce que j'espérais ? Retrouver leur village, la maison qu'ils ont habitée, la terre qu'ils ont travaillée ? La réalité, amère et douloureuse, s'est alors imposée à moi. Je n'avais aucune idée de la direction qu'il me fallait prendre. J'avais peur. Je me sentais seule et démunie. Tout ce que je désirais, c'était honorer la mémoire de mon cher Papy Lulu, comme on le surnommait. Et j'en étais incapable. Mais vous étiez là. Vous avez su me réconforter et m'aider dans mes recherches. Ensemble, nous avons contacté vos connaissances, fouillé dans les archives du village, vadrouillé à travers toute la province.

Et puis… Cette Pologne que j'avais tant imaginée s'est enfin dévoilée. Bien sûr, elle avait changé depuis la période où mon grand-père tenait son carnet de notes. Elle n'était « ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », comme le disait si bien Verlaine. Les immenses forêts de hêtres, les clairières lumineuses où cohabitaient biches, cerfs et blaireaux, et les petits villages où régnait une atmosphère tranquille et chaleureuse étaient toujours là, mais… enveloppés d'un voile de modernité. J'avais passé tellement de temps à lire et relire son carnet que le décor me semblait familier. Bien plus que des paysages, vous m'avez aussi fait rencontrer des hommes et des femmes. « Des locaux », comme on dit, avec qui nous avons partagé plusieurs repas dans votre maison perdue au milieu de toute cette nature, et qui m'ont raconté avec passion l'histoire de leurs parents et grands parents, les vagues d'immigration polonaise vers le nord de la France pendant l'entre-deux guerre, les promesses d'un avenir meilleur, l'occupation, et comment la Pologne a été rayée de la carte pour laisser place au Troisième Reich.

Vous m'avez aidée à faire mon deuil. Et pour cela, je ne vous oublierai jamais. Ma porte vous restera toujours ouverte. Si vous vous découvrez un jour des ancêtres français… Ou pour n'importe quelle autre raison. A bientôt, je l'espère. Do widzenia, Marta.

Andréa

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