Ma Première Riche

eymeric

Elle a beau être riche, c'est moche : Il y a toujours cette pièce manquante dans sa vie.

       Elle l'écartait facilement, elle laissait couler le liquide, elle avait la carte bleue facile. Ca faisait du bien à mes bourses ! Mais avant cela j'ai dû faire la course. Elle trouvait que j'étais gonflé, que j'avais la tête dans les nuages, elle niait que je lui mettais des étoiles dans les yeux. Elle se méfiait, elle avait peur que je n'en veuille qu'à sa lune. La première fois que je l'ai vue elle démarrait son solex, elle était en combi d'un tissu rose pâle, Rolex au poignet, lunettes rondes, casque à peine vissé sur la tête. Elle avait l'air sûre d'elle; indéboulonnable mais pleine de vices; elle était de celles qui percent tes secrets en plein jour, elle était de celles dont tu aimerais être le cavalier qu'elle fait jouir. Sauf que tu as beau être chevaleresque, elle préfère les mauvais garçons, mais pas trop non plus car ça finit par la saouler, elle qui aime ce qui est raffiné. Gare à ne pas faire un mauvais mélange sinon elle se volatilise : "paf" ! Le "chien", ou un autre surnom, c'est comme ça qu'elle t'appelle. Elle est condescendante et méchante en te faisant comprendre que le con descendant de gueux que tu es n'a jamais eu, à un quelconque moment, une chance avec elle. 

 

Sauf que le gueux que je suis a fini par lui faire faire fermer sa gueule comme ce n'est pas permis. Elle m'a suivi dans mon antre car je conduisais son scooter. Puis j'ai squatté son cœur car elle avait besoin d'un moniteur pour apprendre à aimer. Ma première riche à moi, elle était belle mais elle était pauvre de tout un tas de choses. Ma première riche à moi, c'était loin d'être un second choix mais à la base elle s'est dit : "finir avec ce con, j'ai pas le choix". Sauf qu'aujourd'hui le choix par défaut est devenu un choix pour de vrai, aujourd'hui pour ma première riche à moi le choix est devenu nécessité et elle est avare de ma présence. Elle en veut l'exclusivité mais elle n'est que l'exclue visitée. C'est le monde à l'envers : ma première riche qui comptait ses mots a fini par m'appeler chéri et par essayer de dompter ses maux. C'est moi pourtant qui semblait le mieux embarquer pour ce rôle selon elle. Sauf qu'elle avait beau être la propriétaire du bateau : JE tenais le manche et j'avais plus d'un tour dans celle-ci. Elle a fini par croire qu'on mettrait les voiles ensemble, mais il n'en était rien. Et de la coque du bateau comme décor elle est passée à la coke des bâtards. Sans lire entre les lignes, on peut penser que son futur s'apparenterait à des soirées ensanglantées à sangloter en pensant moi. Elle feindrait d'aller mieux, disant qu'elle arrive à panser, elle trainerait des nobles dans ses fins draps et abuserait du champagne. Désormais c'est elle la Veuve Clicquot cliquant sur une télécommande et perdant son temps sur les têtes à claques des calanques de Marseille sur la 12 qui n'ont au fond rien de clinquants. Claquant ses études pour la fête et le mannequinat, son porte-monnaie et son fessier s'épaississaient à mesure son esprit devenait étroit. Elle, l'amatrice de diamant ne voyait que par le prisme de son train de vie, elle qui ne fait gare à rien car elle est sûre de pouvoir s'acheter n'importe quel wagon. Sauf qu'on ne passe pas des soirées du domaine de Compostelle à composter son ticket avec n'importe qui, il y a des turbulences. Donc forcément elle se crash et se dit "juré craché" à elle-même que c'est la dernière fois. Mais pour les drogués ce n'est jamais vraiment la dernière fois. Elle, c'est une droguée à l'attention, aux likes, aux notifications. 

 

12 notifications Facebook, 3 demandes d'ajouts d'amis, 27 messages et 159 likes sur Instagram. Ca c'est son quotidien, et dans la vie réelle ce n'est pas loin d'être pareil : les gars se retournent sur elle dans la rue, ils tentent de la séduire dans les bars et ils la laissent passer devant quand elle fait ses courses. Elle bénéficie de toutes sortes d'avantages, juste parce qu'elle est belle. Elle le sait ça, elle en joue. Sur Instagram elle multiplie les photos qui la mettent à son avantage, elle fait l'amour à l'objectif et au fond, elle rêve de la couverture de Vogue. Mais elle est trop petite, ou pas assez mince, mais elle n'en a que faire, c'est elle l'une des stars de sa ville. Elle refuse toujours d'en découdre,  elle s'habille chez les grands couturiers mais sa vie n'est qu'un tissu de mensonges. Entre filtres Instagram et un tas de grammes de blanche, elle est d'une noirceur infinie. Et au-delà du buzz, éclairages et paillettes trouvent uniquement grâce à ses yeux.  Elle est du haut du panier et pourtant personne n'arrive à la cueillir. Parce qu'entre ceux qui n'osent pas se pencher vers elle parce que elle les impressionne et ceux qui osent mais qu'elle remballe ou ignore car elle les considère comme des toys ... Personne ne la fait vibrer. Son téléphone lui, n'arrête pas mais elle n'a d'yeux que pour les messages de sa meilleure amie, de "sa vie" comme elle aime le répéter. En soirée il n'y a qu'elles deux qui comptent, elle aime se foutre de la gueule des autres avec elle. Au fond elles se disent que ce n'est rien de bien méchant, puis qu'elles ont le droit : elles sont raffinées, pas eux. Le problème c'est que dès lors qu'elle se couche, qu'elle met Instagram de côté, et bien elle est seule et c'est un peu plus dur. Parce qu'elle voit ses défauts et elle ne se trouve pas aussi belle que les gens le disent. Puis elle se trouve bien moins courageuse que ces garçons qui ont osé venir lui parler. Il est vrai qu'ils n'étaient pas raffinés, que la plupart étaient de réels bouffons. Mais au moins les bouffons ils ont tenté quelque chose ... Elle, elle s'est enfermée dans cet univers, dans tous ces apparats qui sont devenus une prison pour elle. Car au fond, elle aimerait qu'on la libère, qu'on lui parle d'amour, trouver son bouffon à elle... Ca se voit comme un éléphant dans un skinny jean, elle se trompe. Elle est sur la défensive, elle a du mal à y voir clair. En même temps, c'est peut-être la fumée de la white widow qui lui obstruait la vue et la poussait à vouloir s'échapper par la window. Il n' y a plus l'shadow  d'un doute : elle était dans le mal, elle qui auparavant était le mal. 

 

            Je me souviens comme si c'était hier de la deuxième fois que je l'ai vue. Car avec elle c'est ça qui est fascinant : tu n'es pas face au néant, au contraire. Chaque fois s'apparente à une première fois. Donc oui je me souviens de cette première fois : 

 

Ma première riche sur des talons perchés,

Tenait dans sa bouche une vogue prête à être fumée.

Moi, par tant d'élégance attiré,

Lui tins à peu près ce langage :

"Et bonjour madame la muse

Que tu es élégante ! J'ai le sentiment,

Que sans tir-men, si je me confesse

Et que je me rapporte à tes fesses,

Tu es la déesse des hôtes de cette ville."

A ces mots, ma première riche se sentit de joie

Et pour me montrer ses dessous à poids,

Elle ouvrit sa longue robe, laissa tomber les préliminaires.

Je m'en saisis et dis "Ma belle,

Apprends que tout artiste

Vit aux dépends de la muse qui borde ses nuits.

Cette leçon vaut bien que tu te dévoue à moi toute la nuit.

Ma première riche coquine et conquise,

Jura, qu'après ça, mes autres nuits ne seraient plus que des sottises.

 

Elle avait raison : quelle déesse, le genre qui te pousse à n'avoir que faire des gens. De la Fontaine à la chambre : tu la désires continuellement. Mais lorsqu'on finit, elle continue ; elle ment, elle essaye de se persuader que tout ça ne se résume qu'à tout ça. 

 

            Je me souviens aussi de la troisième fois que je l'ai vue. Je n'ai jamais autant apprécié regarder quelqu'un payer quelque chose que lorsqu'elle le faisait. Elle le faisait avec un détachement tel, elle qui était tant attaché à ce matérialisme. Elle assumait ce qu'elle était, sa richesse, elle assumait ses Louboutins, sa Rolex, son parfum Dior, ses trajets en uber pour un rien, son sac Sonia Rykiel. C'est là que je l'aimais le plus. J'étais la pute de l'histoire mais c'est mon Mac qui était bonne. Elle était maléfique à souhait, la plupart des gens la trouvaient mauvaise mais tellement bonne, cultivée mais tellement conne. Les gens se plantaient, elle était parfaite comme elle était. Elle était parfaite quand elle faisait espérer les gars pour finir par les friends zoner. Elle était parfaite quand il s'agissait d'être condescendante. Elle était parfaite quand il s'agissait d'assumer qu'elle était plus belle que vous. Parce que sa manière d'être était de l'art, sa manière de tourner la tête au-dessus de son épaule était de l'art, sa manière de regarder le reste de la foule d'un air un peu dédaigneux était de l'art. Parce qu'elle mène la danse, elle gère le juxbox, elle est la chef d'orchestre. Elle aurait fait chavirer El Chapo avec son chapeau, elle aurait criblé de balles le commissaire avec son regard révolver. Elle n'est ni dans le noir, ni dans le blanc, elle tient la palette de couleurs. Sa préférée c'est le rouge vif. Ce rouge qui te rappelle la situation d'urgence dans laquelle tu te trouves lorsqu'elle te regarde, avec ce sourire qui est tout sauf discret. Parce qu'elle te dénude en un regard, tu n'as rien dit mais tu es mis à nu, et quand bien même tu serais nudiste elle te rhabille avec ce même regard. Elle a la solution à tout, puisque le problème c'est elle. Il n'y a pas à dire : il y a elle et les autres. Je te dépeins le tableau qu'elle peint d'un sourire narquois au-dessus de l'épaule avant de redémarrer son scooter. 

 

            Ma première riche m'a rendu plus pauvre que je ne l'étais déjà. J'ai fait bien trop d'économie de sentiments et pourtant elle a fini par devenir avare de ma présence. On a alors arrêté de coucher ensemble : ce fut le crash boursier. Mais à la base, moi, je ne voulais que lui enlever sa combi, je voulais le combo : paix-cul, nier cela ne sert à rien. Ma première riche m'appelait "honey", je l'appelais "monney". Ma première riche me voyait comme le bon tirage, je la voyais comme une bonne à tirer. Ma première riche a misé sur moi, je me suis amusé d'elle.  Le tableau est édifiant, voire terrifiant. Pas étonnant alors, que la relation avec celle que je ne voyais que pour le liquide, ait fini par s'évaporer ... 

  • Terrible, ton texte ; c'est un compliment bien sûr.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Mai2017 223

    fionavanessa

    • Merci beaucoup à vous !

      · Il y a presque 8 ans ·
      10403125 10206644474419303 6500541427491989208 n

      eymeric

  • Excellent, j'adore ;-)

    · Il y a presque 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • Merci pour votre lecture !

      · Il y a presque 8 ans ·
      10403125 10206644474419303 6500541427491989208 n

      eymeric

    • Le plaisir est pour moi Eymeric, abonnez_ vous ! je ne peux pas répondre aux mp sinon !
      Des courts métrages ? j'irai voir ça su fb ce week end ;-)

      · Il y a presque 8 ans ·
      Loin couleur

      julia-rolin

  • Franchement quel talent et quelle lucidité , bravo !!

    · Il y a presque 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Merci beaucoup, c'est toujours un plaisir de voir que ses textes plaisent, je vous remercie encore de la lecture. N'hésitez pas à liker ma page https://www.facebook.com/EymericPageProfessionnelle/ :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      10403125 10206644474419303 6500541427491989208 n

      eymeric

  • Une grande virtuosité ! Agréable à lire.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Image

    Ana Lisa Sorano

    • Merci beaucoup cela me va droit au coeur le terme "virtuosité" ! N'hésitez pas à liker ma page https://www.facebook.com/EymericPageProfessionnelle/ :)

      · Il y a presque 8 ans ·
      10403125 10206644474419303 6500541427491989208 n

      eymeric

Signaler ce texte