MACBETH au théâtre du soleil, mise en scène par Ariane Mnouchkine.

Christophe Paris

Le théâtre du soleil vous accueille dans le temple de sa déesse Ariane Mnouchkine pour un Macbeth sanguinolent de poésie scénographique. 4 heures de spectacle définitivement trop courtes.

Ça y est encore quelques pas et j'arrive dans l'antre de la bête à mise en scène. Assister  à un spectacle de cette troupe c'est mettre les pieds dans un ailleurs ou l'on se sent bien. Le lieu, calme, verdoyant, avec ses bâtisses à l'ancienne et ses roulottes vous zénifie instantanément. Ça sent bon, comme toujours, car l'on peut s'y restaurer avant le spectacle et c'est tip top délicieux. Les spectateurs commandent, s'installent à la bonne franquette,  bâfrent, tchatchent entre inconnus, loin des stéréotypes parisiens. Le lieu est tellement authentique que les gens s'y laissent colorer par ses tonalités, même les cravatés sont à la coule. Je trace vers les gradins en dessous desquels s'affairent les comédiens  à peine cachés par un léger drap bordant les deux côtés. Etrange loge certes, mais qui permet au spectateur d'apercevoir, au travers de trous découpés çà et là dans le drapé tout le travail du comédien habituellement caché. Que c'est beau le maquillage de théâtre. En restant un peu on aperçoit la métamorphose des acteurs, super mise en condition du public.
Plateau. Mais pas celui du repas.
Les spectateurs arrivent sur fond sonore d'explosions. C'est parti pour une énorme claque. A l'image des protagonistes de la pièce, le public n'échappe pas à son destin, la mise en scène ne les lâchant pas un instant. La patte de Mnouchkine est là, puissante et dévastatrice de pertinence. La direction d'acteur est redoutable de précision, corps et voix sont poussés à leur paroxysme. Les comédiens ont le geste sûr et précis, sans parasites. Beauté du mouvement ou des posés de corps,  doublée d'une énergique tonicité. Ça court, saute, virevolte sur les sorties plateau ou les changements de décors. Aérien.
La voix est ici exploitée dans tout son spectre, du diabolique à l'angélique, du fourbe au sincère, de la douleur au plaisir. On retrouve ici un travail parfois négligé par certains metteurs en scène, le façonnage de l'outil voix. Pas une syllabe qui ne soit triturée, travaillée, habitée. Un phrasé superbe mêlant modernisme et lyrisme dans une parfaite osmose. Les dilemmes des personnages ressortent avec une universalité qui vous touche forcément. Une fois de plus la Mnouchkine rend le texte limpide, clair, laissant toute sa force nous traverser, sans filtres ni précautions. Sa  traduction maison du texte, comme souvent dans ses spectacles, révèle les parallèles avec la noirceur de notre monde actuel. On est tout de suite pris dans la force du drame. Pas un spectateur ne tousse, ne bouge,  les décors s'enchaînent pendant que les desseins se déchaînent. On tue tout le temps sur le plateau mais sans temps mort. La mise en scène est fluide, rapide, il n'y a que votre séant qui puisse se lasser des quatre heures de spectacle sur une banquette toujours aussi  inconfortable. On oublie ses fesses quand on pense à ces comédiens vivant intensément leurs rôles, un pur bonheur. Ça mouille de la chemise, ça pleure de l'œil en vrai, mettant en valeur la forme et le sens du texte qui ressortent comme si on les avait soulignés au Stabylo, le jaune, celui qui ébloui comme le soleil. Les protagonistes sont  parfaits, premiers et seconds rôles sans distinction. Macbeth tiraillé entre  loyauté et avidité rend parfaitement les troubles qui le transpercent oscillant entre peur, folie, lâcheté, amour, pour finir dans la cruauté la plus totale. Le comédien vous emmène avec un sens inné de la rupture, cette capacité à changer d'état et d'émotions en une fraction de seconde, signe des grands. Sa femme est elle aussi impressionnante à jouer les éminences grises, elle amène le sombre et  dévoile sa noirceur de façon magistrale. Je pense aussi à l'une des sorcières absolument excellente et plausible. La mise en scène réglée comme du papier à musique est rythmée par une excellente jeune percussionniste, les sons traités ici comme des acteurs. Une fois de plus la grandissime Mnouchkine nous propose des tableaux aux visuels éblouissants qui vous laissent contemplatif comme un môme devant le jouet de ses rêves. C'est là que réside la grande force de cette metteuse en scène, cette capacité à servir le texte tout en habillant le plateau d'artifices symboliques laissant place à l'imaginaire du spectateur. Comment ne pas s'émerveiller de ses trouvailles comme par exemple le meurtre de Banquo, magnifique de justesse, sur un bateau. Un drap pour la mer deux bouts de bois pour les mâts, deux lampes et hop on est sur une embarcation, on sent la houle à en finir avec le mal de mer. Quel génial et puissant visuel que celui de Macbeth enfermé dans son château dont on ne voit le visage qu'au travers d'une petite fenêtre de la taille d'un écran télé, renforçant puissamment l'aspect malfaisant du personnage, dont le bunker semble être devenu son nouveau corps gangrené de haine. Là, ça foutrait presque les jetons... Que dire du bain de Lady Macbeth éclairé par un comédien d'un trait de lumière tranchant un brouillard londonien, si ce n'est un tableau vivant sur lequel on pourrait apposer nombre de signatures de grands peintres.
Tableau, comme celui de la première scène ou chaque corps est posé pendant un cours moment d'immobilisme à la manière d'un instantané, splendide. De la photo au cinéma il n'y a qu'un pas, à plusieurs reprises certaines scènes ont une photogénie digne de grands réalisateurs, avec en lien cette fumée omniprésente comme un nuage des enfers. La sortie du spectre de Banquo à la manière d'un mort vivant de chez Romero ou encore cette table de banquet qui fait penser à la passion du christ. Il y a également ces idées simples et diablement efficaces scénographiquement parlant, comme ces rambardes, qui posées en bordure ou milieu de plateau vous donnent la sensation d'être tour à tour à l'intérieur ou à l'extérieur d'un bâtiment, ou bien encore ce choix de vêtements qui vous empêche de situer l'époque, hier, aujourd'hui, demain ? De tous temps me semble-t-il, la soif du pouvoir restant toujours très prisée par les plus prédateurs d'entre nous.
 Hélas tout a une fin, heureusement pas aussi tragique que celle de Macbeth et des autres personnages. Dans la navette de retour en remarquant tous ces sourires,  en entendant tous ces commentaires,  vous vous dites que décidément vous avez de la chance d'avoir croisé dans votre vie le travail d'une pure génie de la mise en scène. Une vraie réussite populaire qui évite les écueils de choix parfois trop mystiques et vous emmène simplement dans un bonheur total de spectateur.


  • Envie, jalousie, je viens de faire deux péchés... Pff c'est de ta faute et aussi celle d'Ariane... Mais je ne couprerai pas le fil avec toi... Kiss

    · Il y a environ 10 ans ·
    One day  one cutie   23 mademoiselle jeanne by davidraphet d957ehy

    vividecateri

    • oh c'est trop gentil et comme d'hab des réponses plumées merci vivi, c'est vrai qu'en ce moment ça cartonne à paris

      · Il y a environ 10 ans ·
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      Christophe Paris

  • c'est ce texte, le dernier donc :)
    longtemps que je me dis qu'il faut que je me fasse ce plaisir d'aller voir un spectacle de la dame en question :)

    · Il y a environ 10 ans ·
    Hotel9

    Sophie Marchand

    • faut faire vite il me semble qu'elle parle de retraite en ce moment, merci d'être passé par ce texte :)

      · Il y a environ 10 ans ·
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      Christophe Paris

  • *mode jalousie réactivé*

    J'ai vu avec les cours une pièce de Mnouchkine, sur ces fameuses banquettes inconfortables, enfin même pas j'étais dans les escaliers tellement il y avait de monde - pendant quatre heures - et un acteur tellement canon et au-delà de ça faut que je parle du théâtre, non sérieux c'était géant mais j'me souviens toujours plus du nom de la pièce.... Mémoire de poisson rouge.
    Bref, ça donne tellement tellement envie de te suivre dans toutes tes sorties! Topissime.

    · Il y a environ 10 ans ·
    Cat

    dreamcatcher

    • oh t'es super gentille ça fait palisr de lire tes coms bon, je sors beaucoup en ce moment du coup suis à la bourre niveau lecture (90 textes...) suis certain que y'en a toi la dedans :) madame prolixe je te lis cette semaine promis because j'aime bien ta ploume qui prend des ailes en ce moment bijes!

      · Il y a environ 10 ans ·
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      Christophe Paris

    • Heureusement que j'écris plus trois textes par jour ahah. Moi aussi j'ai la blinde de trucs à lire, genre 150 notifications côté "mes abonnements" ... Mais j'ai du boulot j'peux pas tout faire :'( Merci en tout cas!

      · Il y a environ 10 ans ·
      Cat

      dreamcatcher

  • Bravo, ton texte vivant et enlevé donne envie de voir cette merveille théâtrale !

    · Il y a environ 10 ans ·
    Img 6678

    venise3

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