Mademoiselle

mamzelle-vivi

Elle a 25, 26 ans. Mais cela, personne ne s’en rend compte.

On lui donne toujours 16 ans, 18 maximum.

C’est comme ça. Elle le sait.

Ne pas faire son âge, ce n’est pas agréable, pense t’elle. Elle doit montrer sa carte d’identité aux bars et aux boîtes. Mais là n’est pas l’important. Elle n’est pas tombée sur un seul mec qui la prenne au sérieux ni dans son travail, ni dans sa vie.

On la trouve bien mignonne, point.

Mignonne, comme une éternelle petite fille.

Un jour ordinaire, elle en a eu assez. Un jour comme les autres.

Alors, elle a contré la jeunesse de ses traits. Elle a masqué ses jambes fines sous un voile opaque plus respectable. Elle a noué ses cheveux de feu pour plaire aux plans de carrière de son patron. Elle a mis de côté ses jupes courtes. Elle a laissé le rouge, elle s’est peinte en rose poli.

Elle est devenue une dame.

Elle a arrêté d’être elle-même.

Ce n’est pas  tant le vocabulaire qui importe. Parfois les gens vous appellent madame ou mademoiselle selon l’humeur, le hasard, la conversation.

Mais ce qu’elle voulait c’est que les hommes arrêtent de l’imaginer comme une gamine instable. Qu’ils  pensent à elle comme à une vraie Femme.

Depuis les autres, c’est vrai, se comportent différemment. Les jeunes cadres aux dents longues ont le regard qui glisse et s’attarde sur ses bas opaques. Elle répond à leur schéma formaté de l’épouse.

Jean-michel, fils du PDG, lui a adressé un « bonjour Madame » avec une lueur de convoitise dans les yeux. Une lueur de désir.

Elle ressent maintenant tout le poids d’un simple changement de vocabulaire. 

Faut- il devenir ainsi pour leur plaire enfin ?

Dans la rue aussi, le changement se remarque. Plus de grand type nonchalant pour lui demander « z’avez pas l’heure, jolie demoiselle ? »

Et puis elle est sortie avec Mr Jean-michel, PDG fils.

Il adore ses allures de tigresse domptée.

Apprivoisée…

Mais son coeur de gamine palpite encore.

La mademoiselle y est toujours.

Jean-michel n’aime pas quand elle laisse ses cheveux libres. Il n’aime pas quand elle met des collants moins ternes. Alors elle ravale son grand cœur de petite fille qui courrait dans les dunes il n’y a pas si longtemps.

Elle oublie qu’on peut être femme et aimer rester enfant, être aimée d’un homme et continuer à courir dans le sable à toute vitesse pour rattraper la vie.

C’est un jour d’octobre.

Un de ces jours où le soleil est si fort que la tête résonne de lumière.

Elle a franchi la porte de son épicerie de quartier. Le petit Thomas est là, campé sur ses positions et sur ses six ans.

Il y a bien longtemps qu’elle n’était plus passée par là.

Elle se souvient d’un petit garçon qu’elle tenait souvent contre elle pour jouer. C’est  si loin déjà.

Elle porte toujours son uniforme de Femme du monde. Son costume de scène qu’elle n’enlèvera jamais.

Thomas regarde cette dame qui s’approche de l’étalage. Elle lui rappelle quelqu’un mais qui ?

Le parfum de la femme se répand dans l’épicerie. La seule chose qu’elle n’a pas changée. Un dernier petit bout d’elle-même.

Thomas se souvient maintenant. Cette odeur de vanille gourmande, ces yeux dorés.. elle venait souvent avant. Il se calfeutrait dans les bras de cette fille rousse comme le feu et respirait, respirait sa peau comme si elle avait contenu toutes les saveurs de la terre. C’était sa demoiselle à lui.

Il y a quelque chose de différent aujourd’hui dans son regard.

Mais c’est encore elle.

Vite, se précipiter et lui sauter dans les bras. Sans réfléchir.

Elle est un peu surprise.

« Thomas ! tu as bien grandis dis donc, un vrai ptit homme »

Le jeune garçon fait la moue.

« Toi aussi…mad….»

Son regard se brouille. Doit-il l’appeler Madame, à cause de ce nouveau regard ou peut-il encore l’appeler sa demoiselle, sa fée comme avant ?

Et soudain elle comprend le trouble du petit garçon.

Au-delà du pouvoir des mots.

Elle sent que c’est maintenant. Elle doit choisir pour eux deux qui elle veut être.

Personne au monde ne ressent l’émotion qui unit ces deux êtres.

Personne ne se doute que le réveil d’une âme se prépare.

Lentement, elle se rappelle de ses courses effrénées, de ses jupes courtes, de ses fous rires indomptables. Le parfum exaltant de la vanille envahit la pièce.

Elle vient de découvrir l’amour, et ce, par le biais d’un petit garçon.

Il l’aime pour elle-même, simplement.

Adieu les chignons et les Jean-michel fils de.

Elle délivre sa crinière.

Elle élève Thomas dans ses bras, le porte haut, plus haut que le ciel et lui crie presque :

« Mademoiselle, mon ange, Mademoiselle !! »

Et le soleil les emporte en son berceau de lumière

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