Maguy la pleureuse
Edwige Devillebichot
Tout le quartier la connaissait, elle s'appellait en réalité Marguerite Cordonnier, mais on l'avait surnommée Maguy la pleureuse, sa mère était morte jeune, et son père, ayant travaillé dur, exercant un métier disparu, s'était mis à boire, était mort, la santé ravagée sans avoir pu profiter de sa retraite. Maguy avait beaucoup souffert, Maguy était seule. Elle était ronde et douce et malgré ses soixante ans bien tassés, elle avait gardé un visage d'enfant avec des grands yeux bleus qui mangeaient son visage encadré d'une auréole de petits cheveux rares, bouclés, blonds et fins. Elle était toujours vêtue d'invraisemblables robes qu'elle se confectionnait et qu'elle garnissait avec une créativité toujours renouvellée de divers jouets d'enfants perdus ça et là, de fleurs fraîches ou fausses, glanées dans son quartier. Une capeline de coton jaune ornée d'un couple de nounours parfois couvrait sa tête, ou bien encore, elle arborait une ceinture de pistolets à eau, plus ou moins déglingués. Elle était à elle toute seule un vrai spectacle. Maguy souffrait d'une singularité psychologique qui faisait qu'à la moindre situation méchante ou injuste, dont elle était témoin, elle éclatait en sanglots sonores, ses larmes coulaient avec une telle abondance qu'on se demandait où elle pouvait bien trouver toute cette eau et tout ce sel. Et pour que cette effusion cesse, il fallait déployer des pardons et consolations, exprimer des remords sinon c'était un cataclysme qui pouvait durer, durer, durer... de plus au travers de ses larmes elle déclamait des phrases si vraies que nul ne pouvait lui donner tort. Elle adorait les enfants, les animaux et les gens gentils au delà du possible. De nombreux psychologues et travailleurs sociaux s'étaient essayés à faire cesser un comportement qui embarrassait la société, sans succés. Ils ignoraient en fait que la pleureuse, si elle feignait d'écouter leur sciences et déclarait vouloir changer, de peur de se voir enfermée, ne consommait pas les divers médicaments qu'on lui prescrivait et campait depuis un bon moment sur ses positions. En effet, elle, qui aurait pu avoir une existence végétative et ennuyeuse, COTOREP, sourire "Prozac" (la COTOREP est un organisme versant une pension aux handicapés en France en 2010, le "Prozac" est un médicament antidépresseur prescrit par les médecins en France en 2010) et commérages banales, s'était rendu compte qu'elle possédait un véritable don, auquel elle n'était pas prête à renoncer. Elle en profitait, en abusait même : elle se sentait utile. La prise de conscience s'était faite il y a quelques années alors qu'elle rentrait un soir en métro. Elle entendit deux chiens hurler et deux vigiles interpeller quelqu'un avec colère. Maguy s'était vite ramenée et avait vu un vieux clochard ivre mort écroulé au sol dans un wagon. Les deux hommes et les chiens semaient l'enfer autour de lui. N'ayant pas peur des chiens, elle s'était approchée, avait regardé les deux hommes de ses un mètre soixante et disant que cet homme aurait pu être son père avait éclaté en sanglots. Les deux hommes déstabilisés avaient repris leurs chiens près d'eux, et ne savaient que faire pour stopper la cascade. En un instant la situation avait totalement changé. Les vigiles appellèrent les pompiers. Maguy partit contente, elle adorait les chiens... Elle se sentit alors une personne importante, une femme politique !!! alors celui qui pourrait faire cesser son flot de larmes n'était pas encore né... Elle usait de son don sans restrictions , malheureusement les occasions d'intervenir étaient légion... Un jour elle vit passer une femme chic portant un grand manteau en fourrure d'un animal protégé, elle s'accrocha au manteau de la bourgeoise, en pleurant, eructant, demandant pardon à la bête sacrifiée au nom de toute l'espèce humaine. Il fallut retirer le manteau du dos de la bourgeoise pour retirer Maguy. Sa liberté et son bonheur auraient été parfaits si elle ne souffrait pas en secret d'un mal qui ronge tant de gens : elle n'avait pas d'amoureux. Ah ! ça des amants elle en avait connus, ses deux bons gros seins moelleux, son logis douillet, sa cuisine, sa maigre pension et ses caresses avaient calmé plus d'un costaud ou gringalet malmené par la vie. Mais requinqués ils s'éloignaient bien vite, laissant Maguy toute seule. Or un jour qu'elle se promenait sur le boulevard, elle vit un femme horrible, revêtue de latex noir et de bijoux qui piquent, qui tirait comme une cinglée sur la laisse d'un petit chihuahua, la pauvre bête étranglée en avait les yeux exhorbités, lui qui voulait seulement, le pauvre, conformément à sa nature, renifler un peu le derrière d'un petit caniche abricot, tenu par une petite femme gentille, un peu blessée de l'attitude de la morbide. Alors que Maguy allait piquer sa crise de larmes, elle entendit un rire sonore, fantastique, à peine croyable de volume, de puissance, de virtuosité, qui stoppa l'activité du boulevard soudainement comme une sorte d'arrêt sur image magique. L'horreur repris son chihuahua sous le bras et s'enfuit comme une chauve souris, le petit caniche jappait joyeusement et sa maîtresse fut prise d'un fou rire. Maguy se retourna alors et vécu un incroyable coup de foudre. Elle venait de rencontrer Léon le rigoleur, sa grande carcasse agitée d'un rire irrepréssible, sa grande bouche où survivaient quelques dents bien blanches, ses grandes mains fortes posées sur son ventre généreux agité de spasmes, ses yeux pétillants, tout, tout elle aimait tout !!! Léon le rigoleur s'appellait en réalité Léonard Letailleur, il n'avait pas connu sa mère, son père qui exercait un métier disparu s'était noyé dans l'alcool et était mort sans avoir pu profiter de sa retraite. Léonard était seul. Léon avait beaucoup souffert. Il avait bien accueilli sur ses gros pecs quelques amantes dépressives ou mourantes d'ennui, qui une fois requinquées n'étaient pas restées... il n'avait pas d'amoureuse... il était pris, souvent, devant le ridicule de la méchanceté des gens, d'un rire énorme et terriblement contagieux, qu'il était presque impossible d'arrêter... de nombreux psychologues et travailleurs sociaux avait tenté de faire cesser un comportement qui dérangeait la société... sans succès... Léon avait pris conscience qu'il avait un don.... ils ne se lâchèrent plus, lui admirant ses larmes, elle admirant son rire... et ils se mélangèrent avec un grand bonheur.
le vraie regard est celui qui voit l'âme de l'autres à travers la fenétre qui donne sur son coeur, j'adhere, j'adore, et presque dans la description de marguerite, au début de ton texte si on ne va pas plus loin on pourait voir un passage manquant dans haroold et maude, lui 20 ans et elle presque 80, elle serait capable de ce vetir ainsi, j'adore ce textte, t'adresse un com plus long , car si non il ne serra pas publier ici, mais je suis fan de ton ecrit je vais lire les autres c'est nette
· Il y a presque 13 ans ·retrojec
je viens de lire ce texte ainsi qu'Hortense et le génie. Gisèle me les a fait partager. je ne les avais pas lus. Un vrai régal pour ce dimanche de novembre. Bravo ! J'aime ce type d'univers.
· Il y a environ 14 ans ·brigitte--2
super mignon ! merci
· Il y a plus de 14 ans ·ristretto
J'EN PLEURE DE RIRE
· Il y a plus de 14 ans ·Marcel Alalof
Dommage que cela ne soit qu'un conte, j'ai bien aimé.
· Il y a plus de 14 ans ·yl5