Marie-Dorothée [Défi n°16 / "Jetez l'Encre"]

Mado, c’est pas le genre de nana avec qui tu t’imagines. Pas celle sur qui tu fantasmes, non plus.  Tu la cases nulle part, limite, tu la vois même pas. Elle est quelconque. Pas mal foutue hein,  mais quelconque. Quand tu la regardes, tu vois pas tout de suite ce qu’elle peut être. C’est comme un vin d’exception mis en bouteille dans du plastique. L’emballage t’indiffère profondément. Tu cherches même pas à savoir ce qu’il y a dedans.  Mais de ton regard, elle en a rien à foutre.  Et je crois bien que c’est l’premier truc que j’ai trouvé d’sexy chez elle.

Marie-Dorothée, c’est le boulet qu’elle se trimballe depuis sa naissance. La faute au Magicien. Mais si ses vieux espèrent encore qu’elle ait quelque chose en commun avec la sage petite rousse du conte, ils doivent pas être déçus du voyage. Elle se fait appeler Mado, pour une question pratique. Y a pas mal de trucs qu’elle fait dans l’optique de pas s’emmerder. Son prénom, pas qu’elle le déteste, mais c’est trop long, et la vie est courte.

Mado, elle a de longues boucles brunes qui lui chatouillent le bas du dos, quand elle les attache pas d’un crayon à papier. Elle a la peau café avec un nuage de lait. Elle a des jambes de danseuse et des bras de camionneuse, elle-même qui le dit. Et les dents du bonheur. Elle comprend toujours pas pourquoi c’est c’trou là particulièrement qui évoquerait plus le bonheur qu’un autre.

Mado elle s’la raconte parfois, elle a une fierté un peu bancale qui vous ferait dire qu’elle est arrogante. Elle a juste pas peur d’être ce qu’elle est. Pas pire, pas mieux. Les questionnements intérieurs, les remises en question perpétuelles, c’est pas son truc. Elle préfère mieux prendre la vie comme elle déboule. Et rebondir dessus, avec, se cogner contre et se relever aussi sec. Elle s’encombre pas de regrets, elle laisse le passé au cimetière du temps perdu. Les actes ou les trains manqués, c’est la vie, et elle continue.

Mado, elle est cash. Elle t’dit pas qu’elle veut faire l’amour si c’qu’elle veut c’est baiser. Elle te fait pas de promesse, elle en veut pas non plus. Elle est comme le vent.  Elle rentre,  tu te rends même pas vraiment compte. Elle passe, repasse, reste jamais très longtemps, mais revient toujours.

 Je crois que j’sais plus bien, depuis quand elle squatte mon pieu, ma vie. Je sais tellement peu à son sujet. Je sais pas, elle a peut-être un gosse, un métier ?

La seule chose dont je suis sûre, c’est que j’m’y suis habitué. A ses courants d’air. A ses gueulantes qu’elle pousse pour des conneries. A ses sourires breloques. A ses baisers que je kidnappe. A sa façon de me traiter de tous les noms quand je la délaisse pour mon clavier, pour que je revienne et qu’elle puisse faire semblant de m’ignorer.

Je sais pas trop comment lui dire, pas sûr qu’elle comprenne, pas sûr qu’elle flippe pas. Probable qu’elle se barre, du jour au lendemain, comme ça. J’sais pas trop si je dois lui avouer. Que si demain elle disparaît, je suis pas bien sûr que ma vie ait encore un sens.

Mado, ma dope.