Mascarade

Depuis bientôt trois semaines, je fais tourner en boucle La Compagnie créole sur le magnétophone que j'ai retrouvé à la cave. J'y ai également dégoté quelques Newlook de mon adolescence, mais les pages étaient trop collées par l'humidité moite du lieu pour que je puisse encore y jeter un œil. Heureusement, les nouvelles technologies et  Porn hub m'ont permis de retrouver la trace de Valérie qui, je m'en souviens comme si c'était hier, m'a aidé grâce au numéro d'octobre 1983, page 25, à être jalousé de mes camarades quand j'obtins un 19/20 en sciences naturelles, juste avant de me faire hospitaliser pour une infiltration du poignet. Je l'ai reconnue à son grain de beauté caractéristique sur l'omoplate gauche.

Revenons cependant à notre Compagnie créole. Je ne doute pas que Valérie soit d'un naturel avenant et enjoué, mais vu son âge désormais avancé, je ne voudrais pas lui transmettre le corona par le biais de mes postillons. Je me souviens qu'elle en avait gros sur le cœur et elle n'est pas à l'abri que la maladie n'attaque ses poumons. Je préfère donc qu'elle reste sagement chez elle, sans qu'il y ait trop de monde au balcon pour éviter tout risque de contamination. Et je dois avouer que la vue de son déambulateur dont elle se sert pour prendre des poses lascives m'a quelque peu refroidi.

C'est fou comme les souvenirs remontent à toutes ces évocations. C'est la même année que je fis la découverte du Concombre masqué. C'est par son entremise que j'abordai la philosophie et plus particulièrement par son célèbre : « Dans un univers de cyclistes, seuls les sophistes se graissent la patte,  les autres freinent ». Ce n'est que quelques années plus tard que je compris, quand on me décerna un 0,5 dans cette matière au bac, que Mandryka s'était bien joué de moi et que sa philosophie de bazar était tout juste bonne pour amuser une bande d'étudiants attardés refaisant le monde autour d'un joint. Il faut toutefois admettre que les élucubrations du cucurbitacée était bien en deçà des aventures de Charlie Schlingo.

À vrai dire, je n'ai jamais été un grand fan de BD. J'ai toujours été un passionné de littérature. Le dimanche soir, une fois que Valérie eut quitté mes pensées, j'allumai la radio pour écouter France inter et Pierre Bouteiller dans Le Masque et la plume. Quand un copain m'en avait parlé, je pensai qu'il s'agissait d'une émission dédiée à des pratiques interlopes comme le libertinage. S'il est vrai que furent aborder Sade ou les écrits les plus sulfureux d'Apollinaire, ce fut surtout l'occasion de me déconfiner de l'étouffement de mon environnement provincial. 

En plus d'avoir retrouvé mon lecteur de K7, j'ai rebranché mon magnétoscope. Je ne me souvenais pas à quel point Valérie m'obsédait à cette époque. Par souci d'économie, les supports audiovisuels servaient plus d'une fois. Il suffisait de réenregistrer au-dessus de l'ancien programme. Il arrivait souvent que les premières secondes n'aient pas été prises en compte. C'était le cas. Je retrouvai furtivement ma Valérie qui, à l'apogée de sa gloire, était interviewée par Philippe Vandel pour Le Journal du hard. Je me suis souvenu qu'elle avait décroché le premier rôle pour un film qui n'est sans doute pas resté dans les annales : Attrape-moi par le virus.

Sur l'autocollant était inscrit Bas les masques. Ah oui, je l'avais oublié Mireille Dumas. C'était le type de programme typique de cette période où, sous couvert de la liberté d'expression, on pouvait parler de tout et n'importe quoi en invitant n'importe qui. Celui que j'ai conservé brossait un portrait d'Alain Soral quand il était encore fréquentable et avant qu'il ne tombe dans les chemins nauséeux de l'antisémitisme.

Bon, finalement, je n'ai rien écrit sur mon titre préféré de La Compagnie créole, Au Bal masqué. Promis, je vous livrerai une chronique à ce sujet pour la fin juin. J'attends d'ailleurs pour cette date un rarissime exemplaire en mandarin. C'est vraiment pour le plaisir de collectionner tout ce qui touche à mon groupe fétiche. J'ai eu l'occasion d'en entendre un extrait sur YouTube. La chanteuse vocifère comme une poule grippée.