Me, I and myself

Cathy Galliègue

En coloc sous mon crâne

Au fait, je m'appelle Emmanuelle.

J'ai vu le jour il y a quarante et quelques années. À cette époque, je suis unique, sans parasites, brut de décoffrage, prête à affronter la vie avec paraît-il, de belles dispositions, de quoi me construire une vie plutôt idéale.

Le problème, c'est les autres… Parfois c'est l'enfer.

Ma tête s'est rapidement fait squatter par des colocataires assez infréquentables. Une lutte s'est alors engagée entre elles et moi. Non pas que je veuille à tout prix les faire dégager, mais au moins qu'elles se taisent et me laissent vivre en paix avec mon moi de base.

Je les connais bien maintenant, j'en ai identifié quatre :

La pétasse à l'eau de rose. Au minimum, elle veut être une princesse. Elle est rose à paillettes. Mièvre au possible, son répertoire c'est la sensiblerie. Tout ce qu'elle veut, c'est qu'on l'aime, avec un grand A et des cœurs partout. Elle est amoureuse tout le temps et de n'importe qui, elle est amoureuse de l'amour ou de tout ce qui s'en approche.


La punk rebelle autodestructrice. Arrogante, provocatrice, elle dépasse toutes les limites. Elle fume, elle picole parfois, les méandres des paradis artificiels sont tellement plus beaux que la réalité des gens normaux. Son univers c'est les écorchés vifs, ceux qui brûlent la chandelle par les deux bouts, l'obscurité de la vie, torturer son corps et son esprit. Elle ne se fait aucun cadeau et écrabouille tous ceux qui voudraient la ramener à la raison. Parce que tout ce qui est raisonnable, elle déteste !


La grosse feignasse aux goûts de luxe. Des journées entières, vautrée sous sa couette à ne rien faire d'autre que zapper à la recherche de ce qui se fait de plus débile à la télévision. À sa décharge, l'époque actuelle lui offre un vaste choix. La tentation pour elle de se laisser glisser dans le rien est omniprésente. Asseoir sa paresse dans un intérieur de bon goût, se laisser vivre à l'abri du besoin, faire du shopping avec une carte à débit illimité c'est tout ce qu'elle attend de la vie.


La petite fille abandonnée. Craquante ! C'est ma préférée et elle le sait la chipie ! Elle a peur de tout, tout le temps. Elle ne veut pas être seule, elle veut qu'on la rassure, qu'on soit gentil et qu'on la laisse faire des bêtises. Tous les enfants font des bêtises, n'est-ce pas ? Elle prend son petit air désolé, se tortille un peu les mains, bafouille en demandant pardon, promet d'être sage et c'est gagné. Elle peut retourner jouer.

Comme je ne les maîtrise pas toujours, j'essaie au moins mais souvent en vain, de faire régner un peu d'ordre. Que tout le monde ne parle pas en même temps, que chacun range son bordel, que l'on ne se marche pas sur les pieds, quand l'une parle que les autres soient à l'écoute de ce qu'elle a à raconter. C'est pas gagné tous les jours mais je suis tenace et je les dompte parfois… le temps d'une trêve.

Le résultat de cette cohabitation, c'est une vie un peu décousue, plusieurs vies en une seule, parfois anarchique et parfois bien rangée, souvent douloureuse mais jamais sans relief.

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