Mes tantes

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Mes tantes, je les ai redécouvertes il y a huit ans. Pendant trente années, ce fut le blackout total. Lors d'un réveillon de Noël, ça se frita sec. J'étais trop jeune pour me souvenir des causes. Je n'ai conservé que les valises et les manteaux qui valsaient par la porte et de notre rapatriement d'urgence chez mes grands-parents maternels. Quelques mois plus tard, mon grand-père paternel décédait. Ce fut sans doute l'occasion de nouveaux règlements de compte.

C'est mon frère qui prit la décision de renouer le contact. Nous n'avions pour seul repère que le filtre de mon papa. En passant son avis au tamis le plus grossier, je m'aperçus qu'il n'avait pas tout à fait tort.

Tant physiquement que par le caractère, elles n'ont absolument rien à voir.

Danièle, la plus âgée a oublié depuis longtemps ses origines fourmisiennes. Sans doute depuis l'époque où elle était speakerine dans les années soixante. Dès lors, elle n'a pas atterri et elle se prend pour ce qu'elle n'est pas, à savoir sortie de la cuisse de Jupiter. Elle essaie de se donner des airs bourgeois, tout en habitant Champigny et en confondant les bonnes mœurs avec allure constipée. Elle n'a toujours pas retenu la leçon qui a fait de ses filles, pour l'une une célibataire endurcie et pour l'autre une divorcée, le mari ayant pris le large, asphyxié par l'étroitesse des lieux communs qui le confinait à jouer le beau-fils idéal. Son unique petite-fille doit ainsi se plier à tous les clichés de la bonne éducation, vaquant des cours de piano à ses leçons d'équitation. Sans oublier les conseils quant au maintien inculqués par la grand-mère et le bourrage de crâne pour en faire un singe savant. Pour son époux, Albert, il y a belle lurette qu'il a été dressé pour se plier à sa rigidité.

Je me sens bien plus à l'aise avec Carmen. Avec elle, c'est du brut de fonderie, il n'y a pas d'entourloupes. C'est à la bonne franquette. Dès les retrouvailles, je me suis senti à l'aise et très vite, elle eut l'honneur de mes calembours qu'elle agrémente par un « Qu'il est con celui-là ! ». Je dois dire que je me fais un malin plaisir d'en rajouter une couche. Bernard, son mari, j'ai l'impression que je le connais depuis tout gamin alors qu'à l'époque du schisme, il ne faisait pas encore partie de la famille décomposée. Au-delà et pour en revenir à Danièle, nous faisons front. Cette dernière a beau prendre ses airs contrits et tous nous prendre pour des abrutis, les faits sont là. Florian, l'aîné de Carmen, derrière son côté timide n'en est pas moins ingénieur en informatique et Marion, après avoir réussi un Master 2 en marketing, travaille comme chef de produit chez Renault.

Enfin, il reste à dresser le portrait de ma grand-mère, Henriette. Comment décrire le fossé que je ressens de n'avoir pu partager mes joies d'enfant, mes peines d'adolescent ou mes questionnements d'adultes ? Trop de lustres de séparation nous ont éloignés pour que la flamme de la complicité ne se rallume. Je ne la vois pas souvent. Ça me fait bien culpabiliser de ne pas lui rendre visite à sa maison de retraite. Mais qu'a-t-elle fait pendant trente années pour prendre de mes nouvelles et prendre conscience que durant ces années son petit-fils ne l'avait pas oublié ?

C'est la raison pour laquelle je prends sur moi vis-à-vis de mes parents. Mes enfants n'ont pas à être les otages de nos différends et je ne sais que trop bien ce que représentent à leurs yeux un papy et une mamy.

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