Message

Corinne Champougny

J’irai peut-être demain à Peyrelou. Au fond de la combe, bien à l’abri des regards, dans ce petit bois secret à quelques mètres en dessous d’une route, les jonquilles sont sans doute sorties. Les petites, fragiles et téméraires, les rescapées des jardins, les vraies sauvages de mon enfance. En prenant le sentier caillouteux qui part de la route, on disparaît peu à peu dans un monde d’ombres, de frissons et de brusques trouées de lumière jaune, irréelle, enorgueillie de silence. Je vais jeter ce journal. Ils mettent toujours trop d’encre noire sur la première page, goût du sensationnel, dérision. Ouvrir les fenêtres, aussi, croire en ce printemps de carton, de calendrier des Postes, dont j’aime la légère ironie.

            Je pourrais découper le message paru ce matin, au milieu des annonces habituelles. Petit vaisseau perdu dans le Pacifique des agences matrimoniales. Fragile construction de syllabes, de signes, et qui passe inaperçue. Personne ne lit plus le journal. Je voudrais l’oublier, ce message, me lever et sortir. Chasser une nuit de Novembre, une ombre entraperçue et reconnue. Qui fuyait, les regards et les lois. Qui fuyait une marionnette pantelante, exsangue. Il ne pleut plus. Les gouttes tombent une à une du lilas, sans bruit. Il faudrait que je téléphone, que j’explique mon absence, cet après-midi. Et puis, on m’a peut-être vue sortir de chez lui. Mais je n’ai pas peur. Cette envie d’enfance est bien douce, à Peyrelou, ou ailleurs. La dernière fois, le petit bois était tapissé de perce-neige. Je ne me souviens que de cette blancheur, soudain, au dernier tournant du capricieux chemin de pierres. Et ce n’est pas un refuge, j’oublierai ce message que mes yeux ne parcourent plus, déjà. Ces quelques mots maladroits et solennels : « Pour cet homme voleur d’âme et violeur apaisé. Pour tous ceux qui se sont tus et qui se taisent encore, depuis cinq ans. La souffrance est solitude. » Sans signature. Mais à quoi bon signer ? J’oublierai ce message, doucement. Je n’aurai pas le courage de vivre avec. Même si tout est en ordre, maintenant. Peut-être l’avait-il lu, lui, mais les mots imprimés ont l’incomparable faculté de devenir irréels, fantômes légers de l’imagination. Soupirs de rêve. C’est terminé, maintenant. Tout est en ordre. Je vais tailler les rosiers, en retard, comme d’habitude. Le soleil, à peine pâle, réchauffe déjà le jardin. C’est terminé. Ce mauvais roman. Cette histoire de vengeance et de mauvaise conscience, tardive. Et je ne laisserai pas son regard étonné me cerner, m’acculer, m’enserrer. Bien sûr, il ne savait pas qu’il avait été vu, comment aurait-il pu vivre ainsi, jour après jour, lui si serein, si hautain, si paisible. Un modèle de quiétude. Un voisin si charmant. Et j’ai vécu, moi aussi, emmurée dans ce silence complice, donc coupable. Eparpillée.   

            Près de ma main tournent et s’arabesquent des mots d’arc-en-ciel, sans fin, volutes graves d’éternité. Indécis, exilé, le temps se fait lisière. Transparence. Mes mains ne trembleront plus. Désormais je sais viser. Juste . Précis. Il n’aurait pas eu de remords, de toutes façons.

            La vie est douce, fragile et émouvante. 

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