MOIRES

J'avais laissé traîner mes bras au creux de l'eau.

La rencontre fut foudroyante. Immédiate.

Plus que ça.

Oui beaucoup plus.

Je ne sais plus ce qu'il en reste aujourd'hui. Si les ronds qui s'élargissent au bout de mes doigts finiront par buter sur la rive caillouteuse, au détour des joncs et des prêles. Au beau mllieu de l'argile en paliers.

Quand la pluie viendra frapper cette terre sèche, y aura-t-il encore une brêve ébauche de tout cela ?

Il n'y a plus d'écho aux clapotis de mes mains.  Les petits morceaux de verre dépolis sont les pierres précieuses du fond de l'eau.

Ils se dérobent à mes ombres et se déposent toujours un peu plus loin.

Qu'ils sont jolis tous ces reflets de transparence noyée de lumières diffuses, de rayons dansants ...

C'est ainsi que je te vois.

La nuque en repos sur le banc avant et les pieds l'un contre l'autre sur le banc arrière, je m'endors.

L'air embaume la menthe sauvage et les pieds d'hélophytes parsement la surface de petits tremblements lents, selon les vents. De minuscules phylactères éclatent ça et là.

Les oeufs opalescents des tétards s'agrippent aux racines immergées et s'entremêlent en douceur.

La bouche ouverte en grand sur une demi-lame d'eau, les ablettes chassent les moucherons.

C'est raté, petit poisson !

Un couple de martins-pêcheurs éclaire la surface silencieuse, laissant une éclaboussure moirée qui s'évanouit aussitôt.

Le même que celui de tes yeux qui impriment leur sillon en moi.

Et toutes ces minuscules fleurettes écaillées de bleu profond qui émergent des  entrailles ventrues de l'étang.

Je suis bien.

Ce n'est qu'un rêve mais je suis si bien.

Je ne veux pas être à la place du poisson, ni prendre celle de Martin. Encore moins remplacer l'eau.

Je voudrais simplement rester en contemplation dans mon canot.

Et si tu quittes le canot après avoir accosté, ne me réveille surtout pas.

Je veux rêver encore ...