Mon chat s'appelle Feelgood (2)

Grandeurs et décadences quotidiennes d’une mère de famille ex-journaliste étudiante en orthophonie trop vieille pour avoir droit au forfait Imagine R ça c’est vraiment scandaleux qui aime les faux ongles, les chats les chiens, Hawaï 5-0 surtout à cause du trop beau mec c’est pas vrai il est tombé du Ciel celui-là,  les romans, l’anglais, les chercheurs surtout les éthologues, les linguistes, les biblistes, les neurologues. 

Feelgood aime pas faire caca dans sa caisse.

Le caca, c’est le grand défaut des chats. Je comprends que ce soit suffisant, une puanteur pareille, pour que certaines personnes ne veuillent même pas les apercevoir de loin. Qu’est-ce qui s’est passé, une fois encore, dans la tête de Dieu, quand il a crée les chats ? Qu’est-ce qu’ils avaient fait, les pauvres ? Nous, on sait : on avait fait crac crac.

Punition : «T’as fait crac crac ? Et bin tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Oh la, méchant… Qu’est-ce qu’on aurait fait s’Il nous avait laissé le choix : « Tu bosses et tu t’envoies en l’air, ou tu t’envoies pas en l’air et tu bosses pas » ? Et ouai, je vous ai flingué la journée, maintenant ça va vous trotter dans la tête sans cesse sans cesse sans cesse. Quand vous aurez pris une décision dites-moi, c’est pour un sondage.

Mais les chats ? C’est quoi, leur péché originel, pour mériter d’être affligés de crottes nauséabondes alors qu’ils sont tellement, tellement obsessionnels question hygiène ?

En attendant d’élucider le truc j’en reviens au problème de la caisse de Feelgood. J’ai tout essayé : le sable classique, le sable parfum poisson, la litière écolo en copeaux de bois de palettes recyclées, tout. Rien à faire. Caca dans la caisse, non, moi, jamais. Chercher une alternative ça fait partie de ses activités quotidiennes, à Feelgood. Ca et la quête de la bouffe si des fois on a oublié de remplir sa gamelle, c’est les seules occas où on peut la voir un peu chiffonnée. Vous savez : la queue dressée qui se balance nerveusement, la tête tendue à l’horizontale, et elle marche vite vite en roulant ses mini épaules, genre vient pas msaouler maintenant jte préviens c’est vraiment pas lmoment.

Un truc qui lui plaît bien c’est les fringues et les sacs informes que les gamins laissent traîner par terre dans l’entrée. Moi, j’encourage. Ca les incite grave à se souvenir que le porte-manteau c’est pas fait pour les chiens. Heureusement parce que pour aller expliquer ça à Hatty Potter (Harry Potter c’est le chien, je ferai les présentations plus tard), on n’est pas rendu.

Un jour que Feelgood avait encore péché sur le carton à dessin de mon fils, je lui ai dit : « Mathieu, tes dessins à la shit c’est comme tu veux mais là ça se passe dans un espace collectif, alors tu nettoies » Une heure après je reviens, déprimée d’avance à l’idée que Mathieu, faut pas rêver, il aura pas lâché sa Play Station pour ramasser une crotte de Feelgood. Et qu’est-ce que je vois ? SI. Il avait nettoyé. J’en avais les larmes aux yeux, sérieux. Et à côté du carton à dessin (toujours couché par terre, OK, mais pour une première faut pas trop en demander) qu’est-ce qu’il y avait ? Mon joli napperon matelassé carré avec une poule noire brodé par ma grand-mère pour mon mariage.

Je me suis assise là dvant sur le coffre de l’entrée, et j’ai entrepris de réfléchir à la chose. QU’EST-CE qui s’était passé dans la tête de Mathieu pour qu’il aille poser mon napperon par terre à côté du carton à dessin tout mouillé et plein de mousse parce qu’il l’avait nettoyé avec du produit vaisselle (le produit vaisselle marque distributeur grosse bouteille citron le moins cher, en matière de détergent, c’est tout ce qu’il connaît, mon fils, il est pas très calé dans ldomaine) ???

J’ai séché, j’ai craqué, je suis allée lui demander. Réponse : « Bin suis sûr que si elle a le choix elle va préférer shiter sur ce truc tout doux que sur mon carton à dessin, le carton à dessin c’est dur et c’est froid ça doit lui faire un peu comme quand on s’assoit sur les chiottes en ayant oublié de baisser la lunette ».

Malin, non ? Et en plus « ce truc tout doux » il sait que je l’aime, que je le trouve super joli, alors il a pensé que j’allais pas l’engueuler s’il le posait par terre en plein milieu de l’entrée.

Vous auriez fait quoi ? Moi j’ai plus d’énergie. Toutes les nanas qui ont trois mômes et un mari old fashioned (les femmes ça fait le ménage) à la maison me comprendront. Ya des fois comme ça on renonce, on se bouche les yeux les oreilles la bouche, faites comme vous voulez, cette baraque je vous l’abandonne, cette guerre est finie.

Ils sont durs, vraiment durs. L’été dernier j’ai fait une expérience pour sonder l’insondable : leur flemme. L’idée m’est venue comme ça : j’étais en train d’ouvrir un nouveau rouleau de PQ. Le truc pénible par excellence. Pire qu’une bobine de scotch premier prix. On tourne on tourne en cherchant l’endroit où censément on peut glisser un ongle, mais non, on trouve pas, on tourne, on tourne, et puis on craque, on déchire, on massacre le tout et on se retrouve avec une liasse de mini bouts de PQ déchiquetés dans la main et partout par terre.

Mais là non non, j’ai trouvé bien mieux à faire. J’ai subtilisé le rouleau récalcitrant et les deux-trois autres rangés en réserve dans le placard des cabinets.

Ma question était : combien de temps ça va prendre pour qu’il y en ai UN qui aille chercher A LA CAVE un pack de PQ, si moi je le fais pas ? Un truc totalement inédit, totalement improbable. JAMAIS personne d’autre que moi, dans cette famille, n’est descendu à la cave pour aller chercher un pack de PQ.

Vous savez combien de jours ils ont tenu ? Treize. Juré.  J’ai fait une longue ligne de croix sur mon petit carnet bleu perso et je les ai barrées, une par jour. Treize croix barrées treize jours. Ya pas d’erreur. Pendant treize jours, environ toutes les deux heures, on a eu droit à des gueulantes monstrueuses :

-          AVIVA T’ES AU DEUXIEME ? DESCENDS MOI RAPIDE UN ROULEAU DE PQ YEN N’A PLUS AU PREMIER. AVIVAAAAAAA !!!!! ».

-          Et Aviva, trop contente : « TU M’DONNES QUOI EN ECHANGE ? »

-          OH TA MOUTH HEIN, C’EST PAS LMOMENT

-          VA MOURIR AVEC TON CUL PLEIN DE SHIT

-          AVIVAAAAAAA !

-          …

-          T’ES MORTE. JTELDIS. T’ES UNE FILLE MORTE.

-          FUCK !

Elle savait, Aviva, que j’étais pas loin et que j’entendais tout. En même temps j’aurais été au fond du jardin j’aurais capté aussi, côté décibels, mes gamins, ils sont sans rivaux. Donc elle a dit « shit et pas « merde », « Fuck » et pas « Va-t-faire » parce que le tarif, chez nous, c’est un gros mot un euro. Sauf si c’est dit en anglais. Là j’autorise. Parce qu’il faut ABSOLUMENT qu’ils soient fluent en anglais, mes gamins. Sinon ils vont jamais trouver de boulot et moi je les aurai sur le dos jusqu’à leurs 40 piges, avec le gendre, la belle-fille, la femme de mon beau-fils (la belle-belle-fille ?). Et ça c’est non. Me suis programmée pour encore dix ans pas un jour de plus. Dans dix ans je les fous dehors et j’achète trois chiens : un Salouki, un berger hollandais, et un nouvel Harry Potter, Harry Potter II. Si son prédécesseur a survécu d’ici là on lui fera une petite place, ya pas de soucy.

Pareil, la TV, ils peuvent regarder tout ce qu’ils veulent tant que c’est en anglais VO. Le jour où ils découvrent une version british de « Bienvenue chez les Chtis » c’est la fin de mes déboires de mère. J’aurais plus qu’à venir éteindre l’écran plat de temps à autres, ysront tellement shootés qu’il s’en rendront même pas compte, et j’aurai une PAIX bouddhiste.

Je sais pas combien de fois ils ont refait le sketch du « Ya plus de PQ ». Là j’ai pas essayé de compter c’était pas possible je m’y serais perdue tout de suite. On aurait dit qu’ils encodaient pas l’idée qu’ils avaient déjà donné. Leur administrateur central était complètement en déroute, incapable d’enclencher un comportement élaboré de type : il y a là un élément nouveau, l’automatisme j’ai-de- la- shit- au- cul-je-tends-la-main-j’attrappe-le-rouleau-de-PQ n’est pas fonctionnel, je trouve une autre solution.

Vous avez vu ? Je la fais bien, hein ? Ca vient de mon cours sur les fonctions attentionnelles, les fonctions exécutives et la mémoire de travail. Alleeeez, fermez pas l’onglet, je vous promets que je vous la fais brève et que ça peut vous intéresser.

Alors voilà : après plusieurs siècles de réflexion et de recherches, les spécialistes ont fini par comprendre comment notre cerveau s’y  prend quand on lui demande de faire gaffe à ce qui se passe. Il active nos fonctions attentionnelles. Ca c’est un truc basique, chez les scientifiques : vous leur dites : « Faire gaffe », ils vous répondent : « Activer ses fonctions attentionnelles ». Faut bien qu’ils justifient leurs bac + 15.

En gros, il y a une fonction attentionnelle A pour les trucs routiniers, une autre, B, pour les nouveautés, et un boss, l’administrateur central, qui fait l’aiguillage.

La prof nous a fait un schéma. Elle est neuropsychologue. Ces gens-là sont admirables. Admirables. Leur boulot, c’est d’inventer, à partir de pas grand-chose, des trucs qu’ils ont remarqués dans la rue, des trucs que leurs collègues des siècles précédents avaient mis au point mais aujourd’hui on sait que c’était bidon, des MODELES COGNITIFS, à savoir, des schémas détaillés du fonctionnement du cerveau.

Je voudrais ici, solennellement, tirer mon chapeau aux neuropsy. Ils nous taillent de méchantes croupières à nous autres orthophonistes mais il leur sera beaucoup pardonné. Parce qu’ils ont une imagination à côté Lewis Carroll c’est rien du tout. Vous vous rendez compte ? Non mais est-ce QUE vous vous rendez compte ????? VOUS LISEZ CE QUE JE VOUS ECRIS ? Je vous écris que leur boulot c’est d’IMAGINER comment fonctionnent tous les cerveaux de toute l’humanité, ET DE DESSINER LE TRUC !!!!

Moi chaque fois que j’en rencontre UN SEUL, d’être humain, je suis convaincue que j’ai découvert un modèle cognitif totalement neuf, et que le Prix Nobel est à portée de main. Or eux, leur came, c’est d’élaborer un schéma UNIVERSEL. Non seulement ils ont de l’imagination mais en plus un culot, une ambition, un appétit gengiskhannesques. Respect.

Après avoir déliré sec sec sec il leur faut vérifier si c’est juste la coke ou si des fois yaurait pas une touche de vrai dans ldécor. Ils font des tests sur des cobayes. D’abord des rats, ensuite des gens comme vous et moi. S’ils travaillent pour le CNRS du Congo ils se contentent de deux ou trois souris – ça coûte cher. Mais s’ils travaillent pour la CIA, alors là ils ont les coudées franches, allons-y pour une cohorte de trois-mille individus, coupes budgétaires ou pas on sait jamais ça pourrait servir à la guerre.

Ils font des expériences vachement sophistiquées. Suis bien placée pour vous dire qu’elles sont VACHEMENT sophistiquées, leurs expériences, parce que j’ai dû apprendre par cœur des dizaines de protocoles. J’ai tout oublié comme d’hab trois jours après le partiel mais il me reste au moins ça : la neuropsychologie, c’est du lourd.

Troisième étape : ils font un dessin du truc, un dessin diabolique, et ils présentent leur Powerpoint tout frais à leurs étudiantes en orthophonie en leur précisant bien, avec un ti sourire sadique, que l’hypothèse est déjà périmée. L’article n’a pas encore été publié mais ils ont un collègue à Boston qui est en train de prouver par A + B que ça déconne complètement.

Mais SI les étudiantes en orthophonie se disent : « Oooooh bin à c’moment-là je laisse tomber, j’attends que le type de Boston valide son truc et nous fasse un schéma d’l’enfer et c’est celui-là que j’apprendrai par cœur. Avec un peu de chance il tiendra la route jusqu’à c’que j’ai mon diplôme et alors bye bye la neuropsy ». SI elles se disent ça, les étudiantes… Et bin elles redoublent.

Je vous résume où en sont rendus, pour l’heure, my brothers in arms, les neuropsy, en ce qui concerne les fonctions attentionnelles :

A-Vous vous levez à sept heures comme tous les matins, vous allez à la cuisine comme tous les matins, vous donnez à manger à Feelgood comme tous les matins pour qu’elle arrête de brailler comme tous les matins vous vous faites un café comme tous les matins => ça c’est un boulot pour la fonction attentionnelles A, la plus rudimentaire, juste elle s’occupe que vous fassiez tout pareil toutes les heures de tous les jours. Si vous réfléchissez vous comprenez tout de suite qu’elle a VRAIMENT pas grand-chose à faire, celle-là.

B-Shit, Feelgood est pas là, elle s’est encore sauvée dans le jardin, et forcément il neige => la fonction attentionnelle B, plus smart, prend la main. 

C-Pour passer de l’une à l’autre, c’est le boss qui gère (l’administrateur central, zavez capté ?). Mais comme vous avez pas encore bu votre expresso il est pas en état. Il est censé vous suggérez une parade, quelque chose d’inédit, par exemple j’enfile les baskets de mon beau fils qui traînent là, c’est du 46 mais ça va l’faire, et vous voilà en train de courir dans la neige en nuisette en braillant dans la nuit « FEELGOOD ! FEELGOOOOOD !» (vous inquiétez par pour le voisin cet homme-là en a vu d’autres, forcément, c’est mon voisin). Mais à ct’heure, un dimanche, le boss, il peut pas. Il grommelle : « Tu tdémerdes c’est pas humain cque tu mdemandes là et si c’est pas humain c’est pas mon job ». Et c’est comme ça que vous en venez à flanquer votre café dehors, avec la tasse et tout, vite vite vous refermez la porte qu’est-ce que ça caille  ce matin c’est pas vrai, et vous donnez sa pâté à Feelgood qu’est pas là.

Alors ? Ca vous a plu ?

Bon c’est pas tout ça là faut urgent que j’apprenne un truc mons-tru-eux, un cours qu’est tombé hier. Ya peu de chance que je vous en parle un jour. Parce que franchement pour vous faire marrer avec les nerfs effecteurs de la sphère bucco-faciale, même Gad Elmaleh il s’en sort pas.